La décision d’ENI de fermer trois de ses raffineries dans un contexte d’ouverture annoncée de raffineries géantes en Asie et au Moyen-Orient soulève le problème de l’opportunité des investissements de Sonatrach dans le secteur du raffinage. D’autant que les nouvelles raffineries algériennes seront à moyen terme – vu l’explosion de la demande interne et le déclin de la production pétrolière – importatrices de brut.
Sonatrach s’est lancée dans un programme d’investissement de l’ordre de 15 milliards de dollars américains pour construire cinq nouvelles raffineries d’une capacité de 5 millions de tonnes/an chacune (90.000 barils/jour environ). Ces raffineries sont celles de Biskra, dont les travaux sont les plus avancés, de Ghardaïa, de Tiaret, de Hassi Messaoud et de Skikda. La compagnie nationale a également lancé un programme de réhabilitation des vieilles raffineries pour porter les capacités installées de 22 à 27 millions de tonnes par an. Ainsi, la raffinerie d’Alger devrait être en mesure de produire 3,45 millions de tonnes par an au lieu de 2,7 actuellement, celle d’Arzew 3,8 au lieu de 2,5 et celle de Skikda 16,5 au lieu de 15.
Selon le bilan 2012 de Sonatrach, la production des cinq raffineries en activité (Skikda, Alger, Arzew, Hassi Messaoud et Adrar) est en baisse comparativement à 2011 (24,9 millions de tonnes). Pour subvenir aux besoins du marché en la matière, Sonatrach recourt à l’importation (4,6 millions de tonnes, dont 85 % de gasoil et d’essences).
Crise de l’industrie de raffinage européenne
Les investissements de Sonatrach interviennent dans un contexte de crise de l’industrie du raffinage en Europe. Le 31 juillet dernier, l’italien ENI a annoncé son intention de réduire de plus de 50% sa capacité de raffinage (http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/08/13/de-nouvelles-raffineries-europeennes-menacees-de-fermeture_4470810_3234.html), au lieu des 35% envisagés jusqu’à présent, ce qui pourrait engendrer, à terme, la fermeture des sites de Tarente, Gela et Livourne, qui cumulent une capacité totale de raffinage de 304.000 barils/jour, et la disparition de 6.000 emplois. Ces trois raffineries s’ajoutent à une longue liste d’autres rayées de la carte énergétique mondiale depuis l’amorce de la crise financière internationale en 2008.
Le marché européen, qui ploie sous les surcapacités, souffre de la faible croissance en Europe et donc de la baisse régulière de la consommation ce qui met les industriels du Vieux- Continent face une concurrence asiatique et moyen-orientale de plus en plus redoutable. L’ouverture vers la fin de cette année et courant 2015 de raffineries en Chine, en Inde, en Iran, en Arabie saoudite et au Koweït inonderait le marché mondial d’offres moins chères.
La Chine ouvrira bientôt sa 49e raffinerie à Quanzhou (220.000 barils/jour), l’Inde sa 21e à Paradip (300.000 barils/jour), l’Iran sa 14e en mer Caspienne (300.000 barils/jours), l’Arabie saoudite sa 10e à Yanbu (400.000 barils/jours) et le Koweït sa 4e à Al Zour (615.000 barils/jour). Cette dernière sera la plus grande de la région et l’une des plus grandes au monde.
Aurait-il été plus judicieux de racheter des raffineries européennes ?
La baisse de la production pétrolière algérienne (due au déclin du gisement de Hassi Messaoud) risque d’affaiblir les avantages comparatifs de la compagnie nationale en matière de capacités de raffinage. Et vu la demande interne qui augmente de façon exponentielle, les nouvelles raffineries pourront devenir, à moyen terme, importatrice de pétrole brut. Ce qui pose le problème de l’opportunité de ce choix. Aurait-il été plus judicieux de racheter à l’euro symbolique des raffineries européennes en difficulté, qui seraient faciles à remettre en route en jouant sur l’intégration des coûts de production, notamment ceux du brut extrait des gisements algériens ? Car, si la baisse de production continue, les nouvelles raffineries se retrouveront dans la même situation que celles européennes, dépendantes de pays producteurs de brut et qui ont leurs propres raffineries. Le paramètre politique a-t-il pesé dans cette décision économique de Sonatrach ? La construction de raffineries génère des emplois, ce qui est politiquement correct mais, peu rationnel économiquement parlant.