Le gouvernement algérien poursuit sa lente marche arrière sur le crédit documentaire en défaisant, à petit pas, le dispositif d’exception mis en place par la Loi de Finance Complémentaire (LFC) 2009.
C’est le Président de la commission des finances de l’APN, M.Khalil Mahi, qui l’a annoncé il y a quelques jours : Le gouvernement vient de rétablir la remise documentaire, comme second moyen de payement des importations, conjointement avec le crédit documentaire. La mise en œuvre de cette mesure a pris effet à partir du 1er janvier 2014. Les importateurs auront le choix de payer leurs importations, soit par remise documentaire, ou par Credoc, a indiqué à l’APS M.Mahi.
Le tabou du crédit documentaire avait reçu un premier coup de canif lorsque la remise documentaire, tout comme le transfert libre, avaient été rétablis partiellement, à la demande pressante des opérateurs économiques nationaux, dans la LFC de 2011, comme mode de payement des importations. Leur champ d’application avait été limité, cependant, aux seules entreprises de production qui recourent à des importations d’urgence dont le montant annuel ne doit pas dépasser les 4 millions de DA.
Constat d’échec
L’élargissement de l’application de la remise documentaire à toutes les importations vient après « l’échec du Credoc à freiner l’envolée des importations et à réguler les opérations du commerce extérieur, » a déclaré en substance M. Mahi, qui est la première personnalité exerçant à ce niveau de responsabilité, à dresser un tel constat, alors même que le ministre des finances, M.Karim Djoudi, continuait il y a encore quelque semaines, à défendre la pertinence de cette mesure.
Le Président du FCE, M.Reda Hamiani, a réagi à cette annonce en estimant que l’obligation du crédit documentaire « a surtout profité aux fournisseurs étrangers, aux banques de la place, qui ont eu beaucoup de facilités pour confirmer les lettres de crédit. Il a éliminé du jeu économique ceux qui ne pouvaient pas suivre, parce qu’il fallait disposer de la trésorerie pour pouvoir importer. Il a forcé les producteurs à constituer des stocks pour faire face à la lourdeur de la mécanique d’importation ». La confiance, qui était placée par les fournisseurs étrangers sur les importateurs, a été érodée, a constaté le président du FCE. “C’est un dégât qu’on a causé à l’économie par une simple mesure prise unilatéralement”, a-t-il déploré.
Un tabou présidentiel
De nombreuses sources confirment que c’est à la demande expresse du Chef de l’Etat, au cours d’une réunion convoquée en urgence en juillet 2009 dans le but d’endiguer la croissance exponentielle des importations, que la décision d’imposer le crédit documentaire comme moyen unique de règlement des importations aurait été prise. Régulièrement critiquée depuis cette date, notamment dans les milieux patronaux ainsi que par beaucoup d’experts indépendants, son application n’a fait l’objet, jusqu’à ce jour, d’aucune évaluation globale de la part des autorités algériennes.
Les chiffres définitifs des importations pour 2013 ne seront connus que dans quelques semaines, mais l’on s’attend généralement à ce qu’ils marquent une nouvelle envolée de nos achats à l’extérieur. Une projection récente de la Direction des Douanes évoque une facture probable de 57 milliards de dollars d’importations pour l’année qui vient de s’achever.
Conclusion : non seulement la progression des importations n’a pas été freinée, puisqu’elles ont encore augmenté de plus de 50% en 4 ans, mais de surcroît, et précisément au cours de la même période, la structure de nos achats à l’extérieur s’est sensiblement modifiée en faveur des biens de consommation durables et au détriment des biens d’équipement. Difficile d’imaginer une meilleure démonstration de l’inefficacité du crédit documentaire en tant que moyen de contrôle des importations !
Un instrument inadapté et coûteux
Beaucoup de spécialistes avaient, dès son adoption, attiré l’attention sur son inadaptation par rapport à l’objectif recherché. En fait, l’objectif de réduction des importations aurait impliqué, d’intervenir en amont, en désignant par exemple une autorité chargée de délivrer des accords – ou des refus – d’importation aux entreprises en fonction d’objectifs économiques nationaux. Cette solution, pas nécessairement la plus pertinente en raison de son caractère forcément bureaucratique, aurait au moins eu le mérite de prendre le problème à sa source et non pas à ses conséquences.
A défaut d’une autorité administrative unique, cette fonction de « sélection » des importations n’a pas pu, en tous cas, être assurée par les banques, dont ce n’est pas le rôle, et qui ont dû d’abord faire face en urgence au gonflement extraordinaire du nombre de Credoc provoqué par la LFC 2009, qui serait passé de 5.000 par an à plus de 60.000 aujourd’hui. Inadapté, le crédit documentaire s’est également révélé très coûteux. Selon M. Hamiani, « chaque année, nous avons payé 500 millions de dollars au minimum pour la confirmation de lettres de crédit. Sur trois ans (2010, 2011 et 2012), il y a eu une perte de 1,5 milliard de dollars ».