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Algérie – La « République des décideurs » se défiera de la société tant que la société se défiera d’elle-même

Par Yacine Temlali
mars 19, 2014
Algérie – La « République des décideurs » se défiera de la société tant que la société se défiera d’elle-même

 

Pour le député du Front des forces socialistes (FFS) Arezki Derguini, il ne sert à rien d’organiser des élections aux résultats desquelles personne ne croit, ni le régime ni l’opposition ni les électeurs. « Dans le climat de défiance quasi-généralisée actuel, écrit-il, une période de transition est nécessaire » pour qu’émerge un consensus sur la direction dans laquelle doit aller le pays.

 

 

Ne pas participer, boycotter, disqualifier, manifester, se concerter, proposer une alternative au système politique, revendiquer une période de transition et construire un consensus : tels sont, en gros, les slogans des manifestants opposés aux élections ou à un quatrième mandat. Quel sens donner à toute cette opposition, comment ordonner une telle sémantique, par où commencer ?

La première question à laquelle il faudrait pouvoir répondre – et à laquelle il n’existe pas encore de réponse unique – est la suivante: existe-t-il une opposition politique?

Bien que le multipartisme ait une réalité en Algérie, il est une réalité que le système a dû concéder à son corps défendant. Il ne lui a permis d’exister que pour mieux le disqualifier[1]. Exister n’a pas pour finalité de gouverner mais de subsister en milieu hostile. N’ayant pu refuser la légalité, résister au cours des choses, les partis et les personnalités politiques qui n’appartiennent pas au pouvoir consomment leur crédit après l’avoir acquis en général au cours de leur clandestinité. Aussi certains se sont-ils rendus armes et bagages, alors que d’autres résistent et s’expriment comme ils le peuvent. Bon nombre d’entre eux sont réduits à l’état de porte-parole.

A l’heure des élections, face à un pouvoir qui ne leur concède pas le droit de gouverner, ils peuvent dénoncer ces élections, manifester contre leur tenue, les boycotter, mais les élections n’ont d’autre fin que celle de légaliser un choix qui a été fait en dehors d’elles. Tous les moyens sont soigneusement employés dans ce sens (marketing politique, dépolitisation, répression, fraude, etc.)

Se pose alors une deuxième question : quel sens donner à une action comme celle du boycott ?

Dans un système démocratique, la réussite d’une telle opération invaliderait le scrutin. Ceux qui sortiraient de ces élections seraient considérés comme illégitimes. Dans notre système cela n’a pas été le cas en 1999 quand tous les candidats, hormis le candidat du système, ont rejeté les élections. Quand le rejet des élections conduit à une faible participation il y a recours à la fraude pour pallier à une telle déficience et à la manipulation de la participation en faveur d’un candidat comme cela a été le cas pour d’autres élections. La « république des décideurs » ne tient pas à ce que les élections donnent au peuple des représentants. Qui ne le sait pas encore, qu’il participe ou boycotte ? Veut-on s’en prendre à l’indifférence de la société ?

Se pose alors une troisième question, plus fondamentale : pourquoi les décideurs ne croient pas aux élections dont ils fabriquent les résultats ? Pourquoi les décideurs se défient toujours de la société et de ses choix ? Les « citoyens » eux-mêmes ne participent-ils pas d’une telle défiance ? Si les citoyens, dans leur majeure partie, savent ce qu’ils ne veulent pas, savent-ils ce qu’ils veulent ? Sont-ils prêts à se soumettre à une discipline commune, à une loi qu’ils se donneraient ? Une loi qu’ils pourraient réviser avec le changement de leur volonté collective et de leur gouvernement ?

Je soutiens que la réponse est négative. Tous manifestent une défiance contre la société, les uns contre la société globale, les autres contre leurs semblables. Tous refusent de « faire société », chacun dénie le droit à l’autre de faire société. Dans cette défiance généralisée que peuvent signifier des élections dont on n’acceptera pas de toute façon les résultats[2] ?

 

Les « décideurs » contre la société, la société contre elle-même

 

La bonne démarche consiste donc à commencer par répondre à la dernière question : pourquoi nous-défions-nous de la société et des élections ? A quelles conditions sommes-nous prêts à nous soumettre à une loi commune, celle d’une société dont il faut se prémunir des dépassements, sans laquelle nous ne pouvons nous défendre ? Après avoir répondu à ces questions les élections ne seront pas une porte ouverte sur l’inconnu et leurs résultats ne seront pas contestés. Car à quoi sert une élection honnête et transparente si l’on peut contester ses résultats ?

Pour aller à une Constituante, qui nous donnerait les règles pour nous gouverner, il faut que nous ayons d’abord la volonté de « faire société ». Autrement, une telle Constituante n’offrirait que les scènes de nos discordes et dissensions, de notre impuissance.

Avant de nous donner ces règles, il nous faut donc changer de disposition. Il faut rétablir la confiance en nous-mêmes et ses conditions. Il faut fonder notre volonté commune de faire société, trop vite considérée par certains comme une évidence. Une fois que les prémisses d’une telle volonté pourront s’exprimer, des consensus pourraient prendre forme. Dans le climat de défiance quasi-généralisée existant, une période de transition est nécessaire pour qu’émerge de telles dispositions, de tels consensus.

Quant aux élections actuelles, elles ne peuvent que sanctionner un certain consensus au sein de la « république des décideurs ». Consensus lui-même tributaire de celui, dominant, dans la société. En effet, la défiance de la « république des décideurs » s’appuie sur la défiance de la société vis-à-vis d’elle-même. Aujourd’hui, il n’est pas certain que les élections puissent accoucher du bon consensus, il n’est pas sûr que cela ne soit pas un consensus pour mieux affronter le monde et la société confondus dans la même adversité.

Les luttes au sein des décideurs ne mettront pas en cause la nature adverse du rapport Etat-société. Ce n’est qu’une fois que sera apparue une réelle volonté de « faire société » au sein des gouvernés que commencera à vaciller sur ses fondements le rapport adverse de l’Etat vis-à-vis de la société. Et cette volonté de faire société ne pourra apparaître que dans les cadres dans lesquels pourra s’exprimer librement la société.

La société doit consentir à sa transformation. Autrement, certains trouveront toujours le moyen de tirer avantage de ses divisions. Une vraie opposition existe entre les citoyens : ceux qui veulent tirer avantage des divisions de la société et ceux qui veulent qu’elle se réforme pour être à la hauteur de ses défis. Avant qu’une telle volonté n’advienne, la défiance des décideurs vis-à-vis de la société sera justifiée par cette même défiance de la société vis-à-vis d’elle-même. Pour le moment il semblerait que les profits de cette défiance généralisée soient plus importants que les coûts pour une bonne part de la société active.

 

Notes

 

[1] L’historien Mohamed Harbi et moi-même avons parlé d’un parti unique clandestin qui a la charge d’effectuer une telle disqualification.

[2] Voir dans ce sens l’article d’Ahmed Henni « A propos du putsch égyptien : le naufrage des gauches du monde arabe se confirme ».

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