La gestion administrative du commerce extérieur gagne du terrain. Le ministre du Commerce par intérim M .Tebboune annonce vouloir « réorganiser » complètement les importations du pays. Avec beaucoup de risques à la clé.
Les résultats du commerce extérieur pour les 2 premiers mois de 2107 apportent à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle c’est la réduction du déficit commercial. Elles est sensible : Le déficit a atteint 1,7 milliard de dollars sur les deux premiers mois de 2017, contre 3,7 milliards sur la même période de 2016, soit une baisse de l`ordre de 2 milliards de dollars correspondant à un recul de 55% entre les deux périodes.
La mauvaise nouvelle c’est que cette réduction de plus de moitié du déficit commercial au cours des 2 premiers mois de l’année en cours est imputable presque intégralement au redressement des cours pétroliers. Grâce à l’augmentation du prix du baril, qui a dépassé les 54 dollars en janvier-février, les exportations d’hydrocarbures ont représenté 92,4% du total des exportations et ont atteint 5,6 milliards de dollars contre 3,7 milliards à la même période de 2016.
Un niveau d’importation incompressible ?
Les importations en revanche sont totalement stabilisées depuis le début de l’année 2017 et donnent ainsi l’impression de buter sur une sorte de plancher incompressible dont le niveau se situerait actuellement autours de 45 milliards de dollars . En s`établissant à 7,75 milliards en janvier-février 2017 contre 7,71 milliards en janvier-février de l`année dernière , elles connaissent même une légère hausse de 0,5%.Il s’agit en particulier d’une très mauvaise nouvelle pour le gouvernement de M . Sellal qui continue d’afficher des objectifs très ambitieux en matière de réduction des importations au cours des prochaines années après les bons résultats obtenus dans ce domaine depuis 2 ans. L’extrapolation des résultats de janvier –février à l’ensemble de l’année 2017 donne en effet un niveau d’importation supérieur à 46 milliards de dollars alors que les services du premier ministère, après quelques cafouillages de M.Sellal, annonçaient encore voici quelques jours , à l’occasion de la Tripartite de Annaba, un objectif de 35 milliards de dollars d’importations en 2017. On est donc aujourd’hui très loin du compte.
Des licences d’importations « pour tous les produits » ?
Ce décalage entre les chiffres des premiers mois de l’année et les objectifs affichés est sans doute à l’origine du durcissement, annoncé récemment, de la politique du gouvernement en matière de gestion du commerce extérieur national. « Tous les produits qui entrent en Algérie seront désormais soumis à une licence où une autorisation » a déclaré voici une semaine à Alger le ministre du Commerce par intérim, M. Abdelmadjid Tebboune. Le ministre a fait savoir qu’une réunion concernant la délivrance des licences d’importation et la détermination des quotas , présidée par le premier ministre, pourrait avoir lieu dès cette semaine : « Nous allons nous réunir de nouveau en fin de cette semaine ou en début de la semaine prochaine afin d’arrêter approximativement les montants pour l’année 2017 », a déclaré M.Tebboune.
Quels arbitrages ?
A la veille de ces arbitrages, le gouvernement semble être face à 2 options .Une option « minimale » avec la reconduction, probablement révisée en baisse, des quotas déjà fixés en 2016 pour le ciment , le rond à béton et les véhicules de tourisme pour lesquels on évoque un quota de 40000 unités au titre de l’année en cours. Cette démarche pourrait être étendue en 2017 à l’ensemble des « produits de la revente en l’état ». Elle devrait avoir un impact limité sur la réduction de la facture d’importation ;l’essentiel des économies réalisables sur ces différents chapitres ayant déjà été effectué au cours des dernières années .A titre d’exemple la facture d’importation de véhicules de tourisme qui était encore de 7, 3 milliards de dollars en 2013 n’a représenté qu’un montant légèrement inférieur à 1,3 milliards de dollars en 2016.Les produits de la revente en l’état qui semblent principalement visés par la nouvelle démarche évoquée par M.Tebboune sont constitués de leur côté par les produits de consommation non alimentaires(hors médicaments ) et les produits alimentaires hors produits de première nécessité qui ne représentent que nettement moins de 10 % des importations nationales .Dans le cadre d’une telle démarche le déficit du commerce extérieur ,bien qu’en diminution très sensible par rapport aux presque 18 milliards de dollars en registrés l’année dernière, devrait encore rester proche de 10 milliards de dollars en 2017.
Le FMI recommande une « réduction progressive » des déficits
Une option beaucoup plus lourde de conséquences serait constitué par une extension de la démarche de fixation des quotas à l’ensemble des produits importés ,y compris les biens d’équipement et les demi produits qui ont représentés au total près de 80 % des importations nationales au cours des 2 premiers mois de l’année. Elle aurait en particulier des conséquences importantes sur l’activité économique hors hydrocarbures qui a déjà ralenti sensiblement en 2016 .Un risque contre lequel la mission du FMI présente à Alger depuis une quinzaine de jours vient justement de prévenir les autorités algériennes en les invitant à ne pas rechercher « une réduction trop brutale des déficits mais à privilégier plutôt une démarche progressive »
La capacité de régulation du marché par l’administration sur la sellette
Même limitée aux produits de la revente en l’état, la « réorganisation complète » (sic) du commerce extérieur algérien annoncée par M.Tebboune pour les prochains mois n’est pas exempte de risques qui paraissent élevés. Cette gestion administrative vise selon le ministre du commerce par intérim à « organiser le marché et éviter l’anarchie, notamment les cas d’abondance excessive des marchandises dans certaines périodes de l’année et leur pénurie dans d’autres périodes ». L’ennui c’est que la procédure des licences et des quotas vient d’être expérimenté en 2016 pour la banane et que c’est elle qui a précisément provoqué l’anarchie, la pénurie et une hausse vertigineuse des prix. C’est M .Tebboune lui-même qui le dit : « Personne n’a bloqué les importations de bananes. Les licences de 2016 étaient arrivées à échéance. Maintenant, il faut de nouvelles licences qui vont arriver bientôt », promet-il
Mieux encore, selon le ministre dont les propos ont été rapportés par l’APS, « les licences d’importation des produits de bases tels que la semoule, le blé, l’huile, le sucre, le lait et les médicaments seront renouvelées automatiquement pour éviter toute rupture sur le marché » : « Nous ne réduirons pas d’un kilogramme tout ce qui est importé en matières de légumes secs, de céréales, d’huile et de sucre », a déclaré le ministre.
Il est donc bien clair, y compris pour M.Tebboune, que les licences d’importation vont créer des « ruptures sur le marché » .Comment pourrait –il en être autrement ? Par quel miracle le ministère du commerce qui a été incapable de gérer les quotas d’importation de la seule banane en 2016 pourrait -il être capable de gérer l’approvisionnement du marché pour « tous les produits » en 2017 ?
La « professionnalisation » des acteurs en question
« Nous devons professionnaliser le marché à travers une meilleure organisation et l’amélioration de la qualité. Je ne peux concevoir qu’un seul opérateur puisse importer 30 produits différents allant du blé au rond à béton », a expliqué M. Tebboune.
Dorénavant, les importations de bananes et de viande seront confiées « à des spécialistes » a t’il précisé. « Il y a des gens qui travaillent depuis 20 ans dans l’importation de bananes, qui connaissent le marché national et international et qui ont investi dans des très grandes surfaces de froid et de stockage allant jusqu’à 20.000 m2 a ajouté M. Tebboune qui a précisé que l’importation de ce fruit sera confiée exclusivement à « 7 ou 8 opérateurs activant dans le domaine ».
Spécialistes ou non, ils bénéficieront d’ailleurs seulement d’une autorisation limitée dans le temps « dont la durée devrait être fixée à 3 mois » pour la viande par exemple. Comment éviter que cette véritable pluie d’autorisations et de licences à « durée limitée » et pour « tous les produits » se transforme en un puissant instrument de développement du clientélisme et de la corruption ? Mais au fait est ce que l’objectif de la « réorganisation complète » du commerce d’importation prônée par M. Tebboune est vraiment d’ « éviter » une telle situation ?