Algérie -Le statu quo en matière de dépenses budgétaires suggère un recours prochain au crédit extérieur (Samir Bellal) - Maghreb Emergent

Algérie -Le statu quo en matière de dépenses budgétaires suggère un recours prochain au crédit extérieur (Samir Bellal)

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Pour cet économiste, les efforts consentis dans les années 1990 pour assainir la situation économique du pays ont été dilapidés, après le boom pétrolier des années 2000 qui a généré, estime-t-il, « un laxisme budgétaire manifeste ».

 

 

Maghreb Emergent : « Un baril du pétrole à 50 dollars, des recettes budgétaires de 5.635,5 milliards de dinars, dont 2 845,4 milliards provenant de la fiscalité ordinaire et 2.200 milliards de la fiscalité pétrolière… Les chiffres de la loi de finances pour 2017 sont-ils réalistes compte tenu de la situation de l’économie du pays et de l’instabilité chronique des prix du brut? 

Samir Bellal : L’évolution de la situation est incertaine, mais il est fort probable que 2017 soit, sur le plan budgétaire, aussi difficile, sinon plus difficile, que 2016. La nouveauté est qu’en 2017, les marges de manœuvre sont nettement moindres comparativement à 2016. Le maintien du statu quo en matière de dépenses budgétaires indique clairement une volonté de recourir, très prochainement, à l’endettement extérieur. L’endettement extérieur présente l’avantage de ne pas aggraver, dans l’immédiat, le climat social.

Dans la loi de finances pour 2017, le gouvernement se base sur un prix du pétrole de 50 dollars le baril, alors que bien des experts prédisent son effondrement si la rencontre de Vienne venait à échouer. N’est-ce pas là un pari dangereux?

Le prix de référence (du baril de pétrole, NDLR) sert surtout à établir des prévisions et des projections budgétaires. A 50 dollars le baril, le déficit prévisionnel du budget de l’Etat est déjà énorme. La question n’est pas tant de savoir si le prix de référence est conforme ou non aux tendances réelles du marché C’est surtout la soutenabilité du budget qui pose problème. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que les arbitrages budgétaires ne sont qu’un élément, parmi d’autres, de la politique économique d’un pays.

Un consensus sur la suppression des subventions est là. Mais le Gouvernement a décidé de les maintenir, contre l’avis de certains de ses membres qui ont déjà plaidé pour leur suppression progressive, notamment le ministre de l’industrie, Abdeslam Bouchouareb. Pourquoi selon vous ? 

Le débat sur le maintien ou non des subventions est ancien. Il date des années 1990, lorsque l’Algérie a été amenée, sous la pression du FMI, à opérer un ajustement structurel dont l’un des éléments constitutifs était la suppression des subventions. Jusqu’à la fin des années 1990, la situation sur ce plan-là était relativement saine. Le boom pétrolier des années 2000 a généré un laxisme budgétaire manifeste, qui s’est particulièrement aggravé depuis 2011. Résultat des courses: tous les efforts consentis dans les années 1990 pour assainir la situation économique du pays ont été dilapidés, et l’on se retrouve, en 2015 et 2016 dans une situation qui ressemble étrangement à celle qui prévalait au milieu des années 1980. L’histoire économique du pays est, de ce point de vue, un éternel recommencement.

Encore une fois, le débat n’est pas économique. Il est fondamentalement politique. La question se pose, en effet, de savoir quel statut on veut conférer, dans les faits, au marché pour réguler l’activité économique. Quand on subventionne à tout-va, on réduit la sphère de l’échange marchand mais on crée du même coup des situations de rente, on favorise le gaspillage, et on décourage la production. Bloquer les prix est une pratique éminemment populiste.

La politique des subventions n’a pas véritablement de justification économique. Elle a un fondement politique: le populisme. Si cela ne tenait qu’à lui, le populisme supprimerait tous les prix pour que les hommes obéissent au politique, et non plus aux lois objectives du marché.

Qu’en est-il des subventions indirectes (exonérations, suppression de taxes, etc.) ?

Les subventions, cela commence à partir du taux de change. La surévaluation du dinar est la première des subventions, disait à juste titre l’ancien ministre des Finances Abdelatif Benachenhou. Les subventions dont on parle, ce sont celles qui favorisent la consommation et l’importation au détriment de la production. Il va sans dire qu’il peut y avoir une politique de subvention, directe ou indirecte, dont le but est de stimuler la production. Malheureusement, en Algérie, nous n’en sommes pas encore là. 

Quelle alternative peut-on proposer pour sortir de cette spirale rentière?

Il faut d’abord le vouloir ! Pour sortir du régime rentier, il faut une volonté politique qui, manifestement, est absente. Le personnel politique actuellement au pouvoir ne veut pas d’une rupture avec l’économie de rente.

Actuellement, nous avons un Etat dont l’essentiel de la légitimité provient de sa capacité à distribuer la rente. Une politique de rupture avec le régime rentier nécessite des choix douloureux et, surtout, beaucoup de sacrifices que le pouvoir politique n’est pas en mesure, faute de légitimité, de demander à la société.

Faute de volonté de rompre avec la rente, on continuera à entretenir, à coup de milliards de dinars, avec un secteur public structurellement déficitaire ; on continuera à soutenir les prix d’une très large gamme de produits et de services, à contrôler l’accès aux ressources et aux marchés, à maintenir une parité du dinar qui favorise l’importation au détriment de la production nationale, à garder nos frontières économiques grandes ouvertes à toutes sortes de marchandises et de services venues d’ailleurs au point où notre marché local est devenu un véritable déversoir…

 

Propos recueillis par Nadir Allam

 

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