Les Algériens veulent la paix et la démocratie et les deux sans violence. Voilà le programme, très consensuel, que partagent les algériens. Mais comment sortir du « cirque infernal » ? Là est la question. Ici, le point de vue, de la journaliste Ghania Mouffok.
C’est depuis Oran que le premier ministre Abdelmalek Sellal a annoncé officiellement la candidature du président Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat, entre Shwarzenegger et l’Afrique verte réunis dans cette ville pour parler de développement durable. Un développement durable qui se porte aussi mal que le président Bouteflika, ce que ne cache pas M. Sellal, également président de la Commission nationale d’organisation de l’élection présidentielle : « Certes, reconnait-il débonnaire, il n’est pas en mesure de faire tout par lui même… », mais quelle importance puisque « son intelligence à elle seule, suffit à tenir les rênes de ce pays. » (le Quotidien d’Oran/le 23 02 14)
La preuve ? « Bouteflika, vous le connaissez tous, c’est une référence, une icône universelle; tous les émirs viennent lui rendre visite. » Plus modeste à son propos, se posant à lui même la question de savoir pourquoi il n’était pas lui même prétendant au poste de président, il répond : « L’Algérie est trop grande pour moi, elle me dépasse ». Comment ne pas le croire ?
On comprendra à la lecture de déclarations aussi invraissemblables dans un pays partageant les frontières sahélo-saharienne, avec guerre au Mali et intervention militaire de la France, milices armées en Lybie, Niger convoité, enclave du Sahara Occidental sous protection de l’armée algérienne investie par des 4X4 en ballade enlevant des étrangers, affaires Tiguentourine, Tunisie en pleine révolution, échanges de tirs aux frontières Algéro-marocaines fermées, que les algériens se demandent si la préparation des élections présidentielles en Algérie est une farce ou un cauchemar ? Un cauchemar en développement durable.
Le ton de cette campagne inédite, que même un auteur de politique fiction aurait jugée impossible, tant elle dépasse les possibles de l’imaginable, avait été donné par le secrétaire général contesté du FLN, Amar Saâdani. « Le président est connu pour être un homme qui aime ménager le suspense et prendre son temps », avait-il donné en guise d’explication au silence du président. Puis quelques mois plus tard, dans un langage aussi vulgaire qu’incroyable, il interpellait non pas le général major Mediene, comme le veut la culture de l’ex parti unique, mais « Toufik ». Prenant à témoin les opinions sidérées, il déclare : « Je milite pour la séparation des pouvoirs. Pour un état civil. Je dis par contre que si un mal m’arrive, ce sera l’oeuvre de Toufik. »
Putativement donc, le général-major Mohamed Mediène, patron du tout puissant DRS, Département du Renseignement et de la Sécurité, ne serait qu’un vulgaire assassin, doublé d’un incompétent notoire, incapable de protéger le président Boudiaf, assassiné, et incapable de protéger les zones pétrolières avec l’affaire de In Amenas. La république tremble …à peine.
Rivalisant de vulgarité, la réponse ne s’est pas faite attendre. Hichem Aboud, ancien militaire devenu « journaliste et écrivain », auteur de « La mafia des généraux » et devenu directeur de journaux sans problèmes notoires, dans une lettre faussement candide de journaliste d’investigation, demande au frère du président Saïd Bouteflika de confirmer ou d’infirmer s’il est bien « un pervers » aux mœurs dissolues, un corrompu et un corrupteur, le patron du narco-trafic, le roi du détournement d’argent public et de la corruption. Ce n’est plus un petit frère, c’est Terminator 4. Terminator 4 prend les devants et décide de rendre publique cette nouvelle méthode de journalisme d’investigation. Ce tableau de ce brillant débat politique ne serait pas complet si on n’ajoutait pas que A. Saadani serait le porte-parole, sous couvert du FLN, du « clan présidentiel » et H. Aboud, sous couvert du journalisme, l’un des portes parole de l’autre « clan » qui lui en a plusieurs.
Récapitulons : Entre un président qui « ne peut pas tout faire » et donc qui délègue les restes, un premier ministre que « l’Algérie dépasse », un patron du DRS sans voix, ni visage, des institutions élues comme l’Assemblée nationale ou le Sénat hors jeu, un conseil constitutionnel en vacance, une alliance présidentielle sans partis, le FLN en crise, le RND sans leader, le MSP divisé en deux après avoir quitté l’alliance, le décor d’une historique élection présidentielle en première mondiale est installé.
Etre journaliste en Algérie
A ce niveau d’opacité, être journaliste se résume à décrypter le langage des signes, dans le meilleur des cas, et/ou à regarder par les trous de serrure du sérail, du Palais présidentiel à la citadelle des Tagarins, et vice-versa. Dans un tel cas de figure, toutes les spéculations, à ne pas confondre avec l’information, sont possibles, l’une et son contraire aussi convaincantes les unes que les autres. On peut soutenir et écrire que le Président bien que diminué a terrassé le DRS, présenté il y a encore quelque mois comme le faiseur de roi, de fortune, de carrière avec droit de vie et de mort sur 38 millions d’habitants. Comme on peut affirmer, au contraire, que le DRS n’a rien perdu de sa puissance et qu’il n’a pas dit son dernier mot. A moins que tout ceci soit juste un écran de fumèe qui finira par se dissiper parce que quelques milliards de dollars méritent bien quelques compromis. Le suspense continue… Toutes ces spéculations médiatico-politiques ne servent en définitive qu’à participer de la confusion et plus grave encore, à tétaniser la population, les opinions, qui en sont réduites à prier Dieu tout Puissant de punir les méchants, à Lui de les reconnaître, et à épargner l’Algérie, « Allah istar. » On en vient à oublier que l’Algérie ce n’est pas la rue Didouche.
Etats des lieux
L’Algérie c’est 38 millions d’habitants, le plus grand pays d’Afrique depuis la partition du Soudan, un pays posé aux frontières immenses entre Sahel et Sahara, voisin de sept pays tous en pleine redéfinition : le Mali, le Niger, la Tunisie, la Mauritanie, le Maroc, le Sahara Occidental et enfin la Libye. On en vient à oublier que c’est dans la capitale de ce pays, Alger, que se sont réunies toutes les polices d’Afrique, de l’OUA, sans le Maroc, donc, pour décider de la naissance d’Afripol, en février 2014. Enumérer même hâtivement les fléaux que cette nouvelle police africaine se propose de combattre donne la mesure des enjeux à l’échelle du continent auquel nous sommes arrimés : crime organisé, terrorisme, trafic d’armes, narco-traficants, blanchissement d’argent, transfert illégal de devise, trafic d’oeuvres d’art et en passant « gestion démocratiques des foules » (ici les foules c’est nous) et enfin organisation d’une force de police africaine capable de rétablir l’ordre sans l’intervention des puissances militaires étrangères et en passant gestion démocratique des foules. Suivez mon regard, du Mali à la Libye, entre Africom, version US, plan Serval à la française, l’espace sahélo saharien dont nous sommes, espace mondialisé par les armes et ses richesses exploitées par les multinationales quand les états affaiblis comptent les devises, est en pleine redéfinition stratégique, lourd de menace pour l’ensemble du continent désormais riche de plus d’un milliards d’habitants. Pendant qu’en méditerrannée au nord du pays, des rapaces pêchent nos thons en voie de disparition et croisent des bateaux d’infortune qui s’échouent telles des baleines crachant de leurs ventres des petits africains, dont nous sommes, morts de détresse.
L’Algérie, c’est également une économie totalement dépendante du cours du pétrole, sans lequel nous serions incapable de nous nourrir, nous vêtir, nous soigner et faire tourner l’industrie épargnée par des politiques néo-libérales imposées et partagées par les partenaires nationaux qui ont érigé en dogme la puissance du marché, alors même que rien ne permet ni de mettre en place ces marchés et encore moins de les contrôler. L’Algérie, c’est encore un chômage structurel qui pénalise le passé d’une génération mise à la porte avec des retraites de misère et l’avenir d’une autre, plus jeune, réduite au rang d’improductifs dépossédés. Une génération de chômeurs et de chômeuses de longue durée, pénible, insuportable qui pour les plus chanceux, à moins que ce ne soit l’inverse, se retrouve endettée de quelques milliards de dinars par des plans ANSEJ et compagnie qui s’apparentent, de par leur manque d’intelligence économique, plus à du gaspillage d’argent public qu’à des plans de soutien à l’emploi. A Belcourt, à Jijel, sirotant des sodas qui transforment leurs corps en pneus de la tête au pied comme un futur diabète, de jeunes chômeurs surveillent leur camions flambants neufs et inutiles achetés grâce à des crédits alloués à la jeunesse dont les traites ne seront jamais remboursées faute de demande de leurs services. Des chômeurs propriétaires endettés de camions au chômage. L’Algérie c’est aussi l’inflation qui appauvrit les honnêtes gens pendant que les inégalités sociales s’aggravent et que l’argent sale coule comme des dalles de béton insultant l’effort et le travail.
Penser le changement
Penser c’est agir. Derrière ces ombres qui font figure de marionnettes d’épouvante, on pourrait se poser des questions toutes simples comme par exemple : qui gouverne aujourd’hui l’Algérie ? Qui sont « les décideurs » ? Si ce n’est plus le DRS ? Le clan présidentiel ? Mais c’est qui le clan présidentiel ? Un vieux monsieur malade dont le regard d’une tristesse inouie, un regard absent nous rappelle celui de nos parents assis dans nos salons et menant leur dernier combat d’êtres humains contre la vieillesse ? Si ce n’est lui, c’est donc son frère ? Mais alors d’où tiendrait-il un tel pouvoir, sa force ? De l’intelligence surhumaine du président telle que la décrit un chef du gouvernement dépassé par l’Algérie ?
Que représentent chacune de ces ombres ? Que cachent-elles dans cette obscurité qui nous aveugle ? Pour répondre à ces questions, il faudrait se rappeler que l’Algérie n’est pas seule sur terre, qu’elle participe de l’histoire du monde et que le monde est aujourd’hui en pleine restructuration, le monde se partage. Depuis la fin de l’URSS, l’Algérie n’est plus derrière le mur de glace, insérée dans l’économie mondiale, ceux qui nous gouvernent ont fait des choix économiques et politiques calamiteux dictés par les dogmes neo-libéraux de la Banque Mondiale et du FMI des années 90.
Les pires des choix. Endettée jusqu’au cou, ils ont livré l’Algérie à un plan d’ajustement structurel en 1994, dont aujourd’hui nous payons le prix par les effets sociaux qu’ils ont induits sur la société. Le passage d’une économie centralisée, étatiste à une économie dite de marché a été une calamité pour l’écrasante majorité de la population, pour l’industrie nationale et pour les institutions qui ont été incapables de se réformer dans le même temps. Rentrer dans l’économie de marché cela s’organise, c’est ce qu’explique, avec bon sens et intelligence, Joseph E. Stiglitz depuis des années, prix nobel d’économie et loin d’être un gauchiste. Dans « La grande désillusion » il écrit : « Avec la chute du mur de Berlin a commencé l’une des plus grandes transitions économique de tous les temps. » Nous en étions. Et, il rappelle l’importance des institutions pour une économie de marché réussie, des institutions qui installent des « cadres juridiques et réglementaires ».
Nous, nous avons une bourse en béton pendant qu’à découvert, les devises s’échangent à même la rue, pendant qu’à proximité les policiers en uniforme canalisent les embouteillages de voitures achetées à crédit. E. Stiglitz écrit : « Dans les pays qui ont des économies de marché parvenues à maturité, les cadres juridiques et réglementaires ont été édifiés pendant un siècle et demi, en réaction aux problèmes que sucitent un capitalisme de marché sans entrave. » Dans le même ouvrage, il témoigne des grands débats d’école autour du passage des anciens pays à économie centralisée étatiste à une économie de marché, entre l’école « thérapie de choc » et « l’école gradualiste. » A quelle école l’économie algérienne s’est-elle arrimée à votre avis ? Privatisation sans banque, ni marché financier, destruction des monopoles d’état remplacés par des monopoles privés sans concurrence, libération du commerce de terre et de la propriété sans marché foncier, ni cadastre, libéralisation de la force de travail sans marché du travail réglementé livrant la classe des travailleurs à des négriers du sud au nord du pays, ouverture du marché national à l’import -export entraînant la destruction de milliers de petites PME nationales quand, dans le même temps, étaient démolies au bulldozer les firmes publiques qui ne seront remplacées par rien d’autre que le néant, aggravant le chômage, déjà structurel depuis les années 80, aggravant l’inflation. Heureusement qu’il y a le pétrole, le gaz. Et, si on parlait du pétrole, de la rente pétrolière et de la manière dont elle est gérée, depuis la surexploitation de nos ressources naturelles jusqu’à la redistribution des ressources financières qu’elle procure, cela nous permettrait peut-être d’y voir plus clair que le concept inopérant de « clan ». En attendant, l’argent du pétrole avec des réserves de change historiques, qu’en ont fait ceux qui nous gouvernent ? On sait que le pouvoir a remboursé rubis sur ongle sa dette, mais on ne sait pas si c’était une très bonne idée. On sait également que le pouvoir a prêté quelques 5 milliards de dollars au FMI …sans conditions, pour renflouer le capital financier qui détruit les états, de l’Algérie à la Grèce. On ne sait pas si c’était une bonne idée, nous n’avons pas été invités à en débattre, trop occupés que nous étions à décrypter les signes des ombres, tels des cardinaux attendant le choix de leur pape. On sait également que le plan de relance économique du Président mobilise quelques 300 à 500 milliards de dollars ou de dinars, on ne sait plus le chiffre exact, cela dépend des sources. Ont-ils sorti l’économie algérienne de l’ornière, préparé l’après-pétrole, la dépendance suicidaire à une seule ressource en devise, pendant que le cours du pétrole baisse avec nos réserves naturelles, ont-ils créé de l’emploi, de l’industrie, modernisé nos villes, nos écoles, nos hôpitaux ? Ou ont-ils été avalés par les multinationales « bienvenues chez nous », leur a dit Mr HamidTemmar, japonaises, chinoises, françaises, américaines, turques et compagnie, entre surfacturation et corruption, transfert illégal d’argent public, pendant que, magnanime, l’état redistribuait dans le chaos les miettes pour acheter la stabilité sociale, amadouer les pauvres classes dangereuses ? Mobilisant dans le même temps des forces de police inouïes quadrillant le pays, devenu familières de notre paysage comme une seconde peau, à tel point que lorsque nous voyageons dans les autres pays, il nous manque quelque chose, des uniformes, y compris dans les pays frères en pleine révolution. Entre redistribution des miettes et maintien de l’ordre, les algériennes et les algériens sont camisolés dans la politique du tout sécuritaire, c’est là la seule option stratégique de ceux qui nous gouvernent en clan, en meute ou en tribu.
Du tout sécuritaire au chaos
Au moindre conflit social, autour du logement, du droit au travail, à la moindre revendications de droits démocratiques, comme le droit d’association, le droit syndical, le régime déploie des forces de l’ordre, cantonne les manifestants et peut prétendre, ravi, au « retour au calme ». C’est ce que l’on appelle « la gestion démocratique des foules. » Et si la police ne tire que très rarement sur les manifestants, craignant les réactions internationales, combien cela nous coûte-t-il en terme d’argent public, ce déploiement quotidien de force de l’ordre ? Combien cela coûte, l’ordre sans la stabilité ? Pas seulement en termes financiers, mais également en termes d’échine, de dignité, d’humiliation pour un peuple méprisé, dépossédé. Un peuple de qualité à la recherche d’une élite à sa hauteur.
Capable de donner du sens à ce qui se passe sur notre terre, d’être à l’écoute de ses combats méprisés, réduits au concept « d’émeute » depuis l’aube des temps. Déjà, après le soulèvement d’octobre 88, Saïd Chikhi, ce brillant sociologue dont l’intelligence et l’humanité nous manquent tant aujourd’hui, écrivait : « …évoquer le chômage, la question du logement pour expliquer le soulèvement d’octobre, c’est tout à la fois dire tout et rien, confondre causes et effets et, surtout, opérer une réduction de la complexité des rapports sociaux en œuvre par l’évacuation de ce qui constitue le nœud central de l’Algérie d’aujourd’hui : le champ de la marginalité. » Ce constat est toujours d’actualité. Empruntant à Sami Naïr, il expliquait que ce qui caractérise « les groupes sociaux » relevant de ce champ de la marginalité c’est « La tendance à accéder de façon partielle et marginale aux ressources du systéme de production, leur exclusion radicale par rapport aux avantages et bénéfices liés à l’institutionalisation politico-sociale, enfin un ethos de vie fondé sur ce que l’on pourrait définir comme une culture de la survivance. »
Ce soulèvement , ajoutait-il, « consacre la faillite d’un système de pouvoir qui prive la scène politique de ses possibilités d’ouverture et de régulation en interdisant l’expression de revendications opposées, en étouffant toute initiative émancipatrice de la connaissance critique et en plongeant la société dans une profonde indigence morale et intellectuelle. »
Cet étouffement de toute initiative émancipatrice est productrice de violence, prédisait-il, déjà.
Le passage du parti unique au multipartisme a échoué sur des flots de sang. 20 ans plus tard, l’analyse est toujours aussi pertinente mais il faudrait y ajouter qu’elle s’est aggravée comme l’illustre sans appel la situation actuelle du pays. Aujourd’hui l’utilisation des armes n’est plus du seul ressort de l’état incapable de rétablir l’ordre, il fait désormais appelle à des agences de sécurité privées, pendant que les multinationales revendiquent le droit de s’auto-protéger pour défendre leurs intérêts, l’affaire Tiguentourine faisant office de preuve. C’est pour quand les mercenaires étrangers vérifiant nos pièces d’identité algériennes à l’entrée des bases pétrolières secondées par des agents algériens, si ce n’est déjà fait ? Le champ de la marginalité s’est élargi avec l’installation d’un chômage de longue durée , le pré-emploi en guise de béquille, avec la dévalorisation du statut de producteurs, qu’il soit salarié ou petits patrons de PME, la destruction du métier de paysan, du métier d’artisan qui ne sont mêmes plus représentés. Aujourd’hui, c’est presque la majorité des algériens qui est marginalisée.
Etre salarié ne confère même plus le statut d’intégré au système, l’UGTA est devenue incapable de remplir cette fonction, jouant le garde-chiourne de nouveaux intérêts privés, comme le montre les nouveaux statuts de son « élite », à la fois sénateurs et homme d’affaires, comme le montre ses dépôts de l’argent des travailleurs dans la Khalifa bank aujourd’hui disparue pendant que Sidi Saïd est à la barre des témoins. Pendant qu’à l’ombre de la destruction de 50 ans d’indépendance naissait les nouveaux riches, milliardaires qui ont su entre rente pétrolière et marché mondial accumulé un capital que nous sommes incapables d’évaluer mais qui est désormais un nouvel acteur de la scéne politique et économique. Il participe de l’ombre. Cette nouvelle force économique et politique alliée de ce que J.F Gayraud, appelle « Le nouveau capitalisme criminel », ou le capitalisme mafieux, n’ayant de cesse non seulement d’affaiblir, les états mais aussi de le privatiser, les souverainetés nationales et de piller le monde. Croyant se renforcer en interdisant l’émancipation des différents groupes sociaux, entre el khobza et l’assa, rendant invisibles ces intérêts contradictoires, le régime algérien a produit un monstre politique qu’il s’avère incapable de maîtriser, les murs de façades qu’il a laborieusement construits à coup de propagande, de mensonge et de repression s’écroulent et son incapacité à trouver un candidat consensuel n’est que la partie visible de l’iceberg.
L’armée algérienne, l’institution des institutions, qui se revendiquait « héritière de l’ALN » n’est plus une force intouchable garante des équilibres du régime, c’est A. Saadani qui nous l’a appris depuis son siège de secrétaire général du FLN contesté par un « clan » rival. Le FLN, l’ex parti unique, se dispute comme une vulgaire association à caractère politique ou une malheureuse ligue des droits de l’homme, un sigle qui a définitivement perdu sa capacité à mobiliser une clientèle même sur des bases mensongères mais patriotiques. Quand Saadani nous explique, sans sourciller, que Chakib Khelil, ex ministre des Mines et de l’énergie, impliqué dans des scandales de corruption entre ENI et Lavallin évalué à des centaines de millions d’euros, exécutant d’une loi sur les hydrocarbures concoctée par des américains aux services des intérêts de leur pays, a sauvé le pays, la messe est dite. Le FLN de la nationalisation des hydrocarbures, en 1971 est mort. Et il est à craindre qu’à l’avenir, nous le regrettions. Qui dirige l’Algérie en 2014 si ce n’est plus l’ANP/FLN ? A force de débats confus participant de la désinformation, on en vient à oublier cette autre ombre de la campagne : le peuple des électeurs.
Peuple invisible
Un peuple rendu invisible, interdit de se réunir, interdit de s’organiser, interdit de manifester, criminalisé, sous haute surveillance depuis son portable jusqu’à son recoin de terre. L’avez vous remarqué ? Quand Mr Hamrouche Mouloud, le chef contrarié de l’ouverture démocratique, communique, il s’adresse à l’armée. Quand Mme Louisa Hanoune, leader du Parti des travailleurs, se lève c’est pour aller rencontrer le chef d’état-major. Un journaliste, de qualité pourtant, parmi les meilleurs de sa génération analyse : « Et au moment de payer la facture, l’Algérie se rendra compte qu’elle est le grand perdant de cette affaire, alors que l’armée jouera un double rôle, celui de victime et coupable à la fois. Coupable parce que c’est l’armée qui a parrainé le président Bouteflika avant de le maintenir au pouvoir. Victime parce qu’elle a été neutralisée, réduite à l’impuissance, alors que c’est elle qui devra relancer la machine quand sonnera l’heure du renouveau. » Pourquoi, « elle », toujours « elle » ? Pourquoi ce serait encore à « elle » de « relancer la machine » à l’heure du renouveau ? Alors que si l’on en croit cette analyse «elle » serait « réduite à l’impuissance », et cela après avoir interdit à la société des civils de « relancer la machine », en bras armé zélé de notre impuissance actuelle. Tout ça pour ça ? Tout ces morts, tous ce gâchis pour un résultat aussi pitoyable, pour que 50 ans après l’indépendance l’Algérie ne soit plus que le pays du père Ubu ? Il serait peut-être temps que les algériens et les algériennes prennent en main cette maudite machine qui depuis des années nous mène de chaos en chaos au nom de la souveraineté nationale, de la stabilité nationale, de l’unité nationale, de la défense des institutions, de la défense des constantes nationales etc…Il serait peut-être temps que les élites médiatico-politiques sortent de cette équation : « elle » c’est la stabilité, « nous » c’est le chaos. Comme dans la vallée du M’zab ?
Citoyenneté ou identités meurtrières ?
Et si ce qui se passe dans la vallée du M’zab préfigurait notre avenir plutôt que des résidus du passé ? Un avenir où des communautés se disputeraient à coup de massue croyant servir leurs ancêtres, mobilisant leurs mémoires, leurs différences, pour ne servir en définitive que de chair à canon à des planqués sans autre identité que celle de leurs comptes en vrac et au noir, cachée dans des sacs poubelles. Et si dans la vallée du M’zab les enjeux étaient contemporains de l’affaiblissement de l’état où la propriété de terre disputée, de cours d’eau, de lots de terrain en situation de rareté ne se défend plus devant des tribunaux mais à coup de hache ? Un état qui privatise la violence au service d’intérêts privés plutôt que d’être garant de l’ordre public, si cher à nos gouvernements quand en vérité leurs pratiques participent, si elles ne le créent, du désordre. Alors que des algériens prétendants à la citoyenneté manifestent avec douleur devant les institutions de l’état, les mairies, les daïra, les wilaya, les organismes publics, que fait l’état ? Il les renvoie à leur tribu en s’inspirant des cartes de l’armée française datant des années 1800, à la recherche de sages du villages capables de punir les enfants de la tribu qui n’embrassent pas la main du caïd. L’Algérie n’est pas un village et nous sommes en 2014. Dans la vallée du M’zab pour la première fois depuis l’indépendance des listes concurentes de mozabites se sont disputées des APC, de jeunes mozabites faisant exploser les représentations communautaires, les deal entre de vieilles structures négociant leur droit à la différence contre le soutien au régime. Et, vous savez quoi ? Ce sont ces listes d’indépendants, de partis comme le RCD ou le FFS qui ont remporté des sièges. A Metlili les mêmes stratégies étaient à l’oeuvre sur des territoires chaamba. Dans les universités des jeunes énamourés chaambis et mozabites se regardent dans le désir de fonder une famille interdite par des identités meutrières. Et si l’enjeu, c’était aussi le ventre des femmes, la descendance à venir entre une communauté, les mozabites, minoritaire qui se vit encerclée et qui souhaite ne pas disparaître et les arabes majoritaires moins soucieux du partage des femmes. Dans tous les cas, quels intérêts ont-elles aujourd’hui à transformer ces terres d’oasis que ces communautés ont inventées, travaillées, labourées en terre de saccage ? Se renvoyant une pureté ethnique, chacune invitant l’autre à retourner à son territoire d’origine, les banous hillal contre les rostomides, alors qu’ils sont tous installés sur ces terres d’accueil et de vieux exils et qu’ils se sont sans doute bien plus mélangés biologiquement qu’ils ne le pensent. Interdire la construction d’une citoyenneté algérienne, à l’école, devant les tribunaux, dans les rues, les commissariats, les casernes, les médias c’est condamner les algériens à s’inventer des identités meurtrières. Et, nous qui sommes nous ?
Nous ne sommes pas des tubes digestifs
Nous sommes pourtant un peuple qui ne devrait pas avoir honte de son histoire. Nous sommes un peuple, et c’est exceptionnel, dont l’icône de sa libération est une femme : Djamila Bouhired, fille de la Casbah qui, torturée par les paras français en pleine guerre pour l’indépendance du pays (1954_1962), éclate de rire à la gueule de ses tortionnaires qui lui annoncent qu’elle va être guillotinée après la bataille d’Alger. Ce symbole presque magique n’est pas sorti du néant, il est arrimé à une longue histoire d’un pays de résistants à bien des despotes, romains, berbères, arabes, français, un peuple partie prenante de l’histoire de la méditerrranée, de l’Afrique et de l’humanité toute entière, comme n’importe quel peuple du monde. Ni plus, ni moins. Et, « Vous assistez passivement à l’appauvrissement de votre pays. Tous les biens de votre pays sont dilapidés par des gens occultes que nous ne connaissons pas et qui se sont transformés en mafia. » nous a reproché un vieux monsieur, Brahim Chergui, il avait l’âge du PPA, du FLN, canal historique, venu au cinéma l’Algéria rendre hommage à un compagnon de lutte pour la libération nationale. Il faut cependant rendre justice aux exclus qui, en dépit de l’horreur traversée et à venir, se battent pour que leur citoyenneté soit respectée contre « ces gens que nous ne connaissons pas ». S’organisant en comité de chômeurs, en comités de quartiers, en syndicats autonomes, tentant d’élire des délégués dans des conditions extrêmement difficiles, ils font grève, ils manifestent pour une redistribution équitable des logements, pour des routes, des hôpitaux. Ils font rendre justice aux fonctionnaires qui, à travers leur mouvement, en revendiquant des salaires décents, défendent quoiqu’on en dise, ce qui reste de service public, dans l’enseignement, la santé etc…
Il faut rendre justice à tous ces combats collectifs et individuels contre la corruption, le gaspillage d’argent public, à toutes ces résistances populaires qui, depuis le bas du monde, tentent de recréer des solidarités, de la fraternité pour retisser le tissu social décomposé par deux guerres menées, dans le même temps,aux algériennes et aux algériens : une guerre civile et une guerre économique.
Tentant de défendre leurs intérêts de classes dangereuses, dépossédées de leur droit à la citoyenneté mais insoumis, en révolte perpétuelle, ils protestent contre les mécanismes de domination écrasants, domination de classe quasiment armée et ils revendiquent le droit à se construire en opposition. Ils interpellent l’état qui demeure pour eux le grand organisateur du monde, il lui demandent d’être le garant de la justice sociale et de la justice tout court. Ils revendiquent le droit de s’organiser pour défendre leur droit au travail et le droit du travail. Ils sont la modernité de ce pays et non pas son chaos, car ils demandent des régles et des réglements qui s’appliqueraient à tous contre l’anarchie, le droit du plus fort, contre le mépris et pour la fierté.
« Mais si ces jeunes, ces marginalisés, écrivait encore Saïd Chikhi, ont indiqué la cible, ils ne peuvent en revanche, montrer la voie. (…) plus motivés par la rage d’appartenir au champ marginal que par des utopies de transformation sociale. » Nous en sommes là, les marges construisent de l’opposition mais sans être portées par des utopies de transformation.
Peuple de qualité cherche élite
Alors, oui, peuple de qualité cherche élite à sa hauteur. Le job est difficile, il demande des sacrifices, une grande opinion de la liberté, de la pensée et de l’engagement, une capacité critique à penser l’épaisseur du monde et peu d’avantages. Cette élite doit pouvoir se trouver dans les villes et les campagnes, les bourgs et les faubourgs, au sud comme au nord, dans la diaspora algérienne, dans les syndicats, dans les mouvements de protestations populaires, dans les universités bien que détruites, dans les mouvements de femmes, les mouvements des victimes de la guerre civile et de la guerre économique, chez les fonctionnaires, les ouvriers, les intellectuels, les artistes, dans les mosquées et les prisons, pour que les choses soient claires.
La feuille de route consiste à montrer qu’ « En réalité la cause structurelle de la crise est l’impasse d’un ordre social traditionnellement établi dans le pays et qui laisse toujours percer les contours de la permanence, de ce qui dure, de ce qui ne bouge pas au niveau de formes archaïques et sans cesse renouvelées de la domination politique et du contrôle social. » ( Saïd Chikhi, in Mouvement social et modernité, NAQD/ SARP 2001)
Et, d’ajouter que : « Cette situation résulte non pas de l’absence de différenciation au niveau économique et sociale mais du fait principal que la classe dirigeante interdit l’expression autonomne de revendications opposées, refuse l’institutionnalisation du conflit social et réprime tout mouvement social pouvant servir de levier à la formation d’une action organisée en stratégie. »
En plus clair : « Autrement dit, la crise dont il s’agit n’est pas seulement le produit de la dérégulation économique ou l’effets de rapports sociaux capitalistes mondialement organisés. »(S.C)
Même, si « Ces paradigmes s’imposent mais non seulement ils ne suffisent pas pour expliquer totalement le système global mais ils risquent, en occultant, de servir d’alibis à toutes les stratégies politiciennes aussi contradictoires soient-elles. » (S.C)
Du genre : les foules sont manipulées par « la main étrangère » pendant que le pouvoir défend la « souveraineté nationale » alors que dans le plus grand secret, les puissances militaires s’installent à proximité de leurs intérêts stratégiques. En conséquence, pour construire collectivement des utopies de changement social, il faut revendiquer, haut et fort, le droit à « l’expression autonome de revendications opposées », « le droit à l’institutionnalisation du conflit social », contre la répression « du mouvement social » et pour « une action organisée en stratégie » seule force « susceptible de conduire à un changement historique. »
La route sera longue et difficile car il s’agit d’inventer collectivement un nouveau calendrier, de construire de l’intelligence collective aujourd’hui émiettée, d’être créatifs, inventifs pour que les algériennes et les algériens soit égaux en droit, libres de choisir leurs représentants en fonction de leurs intérêts de groupes sociaux, en peuple souverain, tel un roi en son pays.
Ce n’est pas la lutte des classes mais c’est mieux que la lutte des clans, si nous voulons vraiment que l’heure du renouveau sonne, parce que l’alternative au chaos c’est d’abord nous…avec ou sans « elle ». Ce que nous voulons, m’a dit un jour un intellectuel au chômage, fils du désert : « nous voulons la paix et la démocratie, les deux, et sans violence parce que cette fois-çi, nous ne nous ferons pas avoir. » C’est là toute l’exigence algérienne que les autres ne comprennent pas car ils ne connaissent pas les chemins que depuis des siècles nous escarpons.