Nous publions ici une réaction de l’analyste financier, Ferhat Ait Ali, aux dernières évolutions de la conjoncture économique en Algérie et aux réponses des autorités, notamment le lancement d’un emprunt participatif à taux zéro.
La lecture des propos du Ministre des Finances tels que rapportés à travers la presse nationale, laisse perplexe, autant sur l’interprétation de la situation économique actuelle, que sur les projections que le ministère se fait des voies et moyens de lui donner un tant soit peu d’équilibre.
Il est évident qu’une lecture biaisée ou politisée de la situation, et de ses faits générateurs, ne laisse pas beaucoup d’ouvertures pour y remédier efficacement, ni même pour éviter de s’enfoncer d’avantage dans les pistes sans issues explorées jusque-là.
Les propos du ministre ayant porté sur trois points en particulier, il utile d’apporter quelques précisions sur chaque point, ce qui en temps normal devrait être une évidence à ne pas être obligé de réitérer.
Sur le voler réduction du déficit de la balance commerciale par rapport à la même période de 2017, il est évident que, nonobstant l’amélioration temporaire des cours des hydrocarbures, durant la période débutant le mois de novembre 2016, la réduction des importations, n’est ni garantie pour l’année, ni le fruit d’une politique planifiée de réduction des importations par la seule voie possible, qui est la production interne.
La faiblesse des cours des principaux produits à l’importation y est pour beaucoup, et les différents blocages aussi bien du fait du non établissement des licences à temps que de diverses obstructions par voie d’instructions de la Banque d’Algérie et de différents ministères, ont fait le reste.
Et au delà du caractère aléatoire des effets de ces mesures sur la baisse de factures, leur caractère attentatoire à la liberté du commerce et à l’égalité des citoyens devant l’accès aux activités commerciales et à la vie publique en général, est non seulement anticonstitutionnel, mais risque de créer aussi bien des monopoles indus que des ententes en forme de cartels aux effets pervers aussi bien sur le marché intérieur que sur la valeur future de ces importations,
L’avenir proche seul pourra nous renseigner sur les tenants et aboutissants et effets de ce genre de mesures qui n’ont rien à voir avec l’économie de marché, ni avec l’économie dirigiste, dans une sorte d’hybridation qui privatise les monopoles et monopolise le commerce au profit de parties privées par intervention des pouvoirs publics. Ceci nous coupe définitivement de toute entreprise exerçant chez elle dans le cadre des règles universelles de liberté commerciale et de concurrence de terrain, au profit de toutes sortes d’entités aptes à négocier, ou arracher leur place en dehors de ces règles.
L’inflation de base générée par l’excédent d’offre monétaire
Pour le volet inflation, que le ministre situe à 8,2% sur la base des habituels calculs de l’ONS, il n’est pas utile de revenir sur le mode de calcul, aussi bien en matière de produits ciblés que de ménages enquêtés ou d’aires géographiques visées. Mais la question de base, est dans cette perception de l’inflation sous l’angle de l’indice des prix à la consommation dans un environnement aux tarifications erratiques et non conformes même aux marges déclarées officiellement.
Alors que l’indice des prix à la consommation est dans les faits le reflet d’un autre phénomène et non son fait générateur. L’inflation à la base, est générée par l’excédent d’offre monétaire par rapport aux produits offerts par le marché interne. Et il est assez facile de deviner que dans le cas de figure algérien où le gros des produits ou intrants est importé, le manque de dollars ou le manque de produits entraine par effet de restrictions, ou la baisse des capacités d’achat du dinar par effet de dévaluation, ce qui entraine le renchérissement du gros des produits importés.
Nous nous trouvons de ce fait devant une inflation monétaire, par excédent de monnaie M1 dans certaines poches et impossibilité de la résorber par une production interne, elle perd de ce fait de sa valeur par effet de perte de contrevaleur dans l’autre monnaie d’approvisionnement. Les techniques du gouvernement pour la resorber, débouchent toutes les deux sur le même résultat, et ceci à défaut d’un circuit bancaire et financier permettant de la transformer en M2 par captage au niveau des banques d’une plus grande partie de cette monnaie.
De ce fait, la restriction aussi bien que la dévaluation, créeront un renchérissement des produits qui poussera de plus grosses marges vers les mêmes circuits extra légaux, surtout avec le démantèlement tarifaire arrivé à son terme négocié. Il faut de ce fait trouver un moyen de résorber ces excédents fiduciaires ou limiter les opérations scripturales de crédit convertis en dollars, qui tout en creusant les réserves de change augmentent la masse monétaire M2, tout en fabriquant des actifs difficilement liquéfiables chez les banques, et en cassant la valeur globale de la monnaie du pays.
Emprunt plus hallal que participatif
Il semble que la solution choisie est la fuite en avant, qui consiste à reconduire les dispositifs qui ont échoué jusque-là, en l’occurrence la fameuse MCFV (mise en conformité fiscale) aux conditions rédhibitoires pour le gros des capitaux détenus par les particuliers, et là je ne parle pas des 7%, mais des suspicions non définies pour les voies et moyens de les lever.
Mais aussi de l’emprunt obligataire, qui dans sa première mouture a permis d’alimenter le trésor pour une partie de son déficit transformé en dette publique, génératrice d’intérêts donc de monnaie et de ce fait d’inflation, mais au prix d’un assèchement des détentions des banques sur les fonds déposés par les segments les moins opaques de la société du moins aux yeux du fisc et du gouvernement.
Dans sa nouvelle robe, cet emprunt à l’air de spéculer sur un facteur religieux, comme étant à l’origine de la défection des déposants locaux. Cette spéculation, qui parait assez peu vérifiable dans les faits, omet au passage de préciser que lors du précédent emprunt le gouvernement avait fait le maximum pour convaincre les déposant que le taux d’intérêt offert était plutôt un bénéfice sur les activités rentables de l’état, ce qui n’a pas été convainquant, et a même été démenti dans les faits, dans la mesure ou cet argent est parti en couverture du déficit du trésor qui lui est tout sauf d’origine industrielle ou commerciale.
La proposition actuelle, repose, elle, sur un glissement sémantique, qui fait que l’emprunt est passé d’obligataire à participatif, ce que des observateurs ont qualifié à juste titre de Halal, même si le ministre refuse cette dénomination, difficile à avaler. Mais il est aussi difficile d’avaler qu’une proposition qui porte en préambule le souci de répondre aux préoccupations d’ordre religieux chez les déposants, soit labellisée autrement que comme Halal, comme les viandes du même nom. Mais la grande inconnue reste la nature de ces projets et entreprises qui rapportent à l’état 8 à 9% par an qu’il se propose de partager avec ses nouveaux associés improvisés.
Je ne connais pas en dehors de la Sonatrach, de la Banque d’Algérie et de quelques entités cosmétiques, d’entreprises publiques qui ne soient pas en déficit chronique et sous perfusion de banques, elles-mêmes sous perfusion par effet de création monétaire sans objet faute de créances sures. De surcroit, un placement dans une affaire générant des revenus, ne génère pas de profits avant l’entrée en exploitation de ladite affaire, et ce n’est pas le cas des offres actuelles en matière d’emprunts gouvernementaux.
Chasser les billets dans les recoins de la maison
Il reste la dernière question concernant le caractère religieux de ce refus de laisser revenir la masse fiduciaire vers son émetteur initial. J’avoue que je comprends difficilement la logique qui octroie un caractère moral et confessionnel à la détention de sommes gagnées en dehors de toute sphère légale ou transparente, par un Etat qui dans le quotidien considère les activités générant ces détentions comme délictuelles et même criminelles pour certaines, en octroyant à leurs supposés auteurs une présomption de piété temporaire le temps d’avoir leur argent.
En termes de résultat, cette cogitation reposant sur les mêmes postulats et butant sur les mêmes vices rédhibitoires que la précédente, elle débouchera forcement sur les mêmes résultats. Et il serait souhaitable que les dinars qui dorment continuent à dormir, au lieu de rémérer temporairement, le temps de faire un tour par le trésor. Histoire de conforter des dépenses en dollars, et de reprendre une année après le même chemin, vers les mêmes poches, sous forme de nouvelles marges incontrôlables, générant d’autre dépenses en dollars, jusqu’à ce qu’il n y ait plus que des dinars, qui chez les uns ou les autres ne vaudront plus grand-chose.
Il est préférable de supporter un peu plus d’inflation que de recycler dans le circuit des sommes conséquentes qui pour le moment ne sont en fait que des chèques non émis en dollars. La solution n’est pas d’ordre budgétaire uniquement ou dans la chasse aux billets dans les recoins de la maison, mais dans la restructuration globale de notre vision de l’économie et des mécanismes qui ont induit cette situation. Ce qui ne semble être ni dans l’ordre du jour, ni du gout du gouvernement. Notre système hybride, ou rien n’est privé et rien n’est public tout en étant les deux à la fois, ne pourra générer que des désastres que le pétrole n’est plus là pour refouler, ou même camoufler.