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Amar Ghoul ou le secret d’instruction le mieux gardé dans le crime économique

Par Maghreb Émergent
5 mars 2014
Amar Ghoul ou le secret d’instruction le mieux gardé dans le crime économique

Les quatre ministres les plus emblématiques de l’action économique de Bouteflika 1 et 2 ne sont plus là : C’est Abdelaziz Rahabi qui le faisait observer, l’autre jour, sur Radio M : «Il n’y a plus de clan présidentiel, en dehors de sa famille.» Cela est partiellement vrai. Certes, la triplette Khelil-Temmar-Benachenhou s’est autodissoute. Zerhouni, ministre de l’Intérieur, qui apportait une touche «étatiste» en contrepoint de la triplette, a lui aussi disparu. Mais au cœur des années Bouteflika se trouve le rattrapage du retard infrastructurel. Et, de ce point de vue, un homme porte aujourd’hui seul, sur les plaines glacées du quatrième mandat, la continuité génétique du modèle économique Bouteflika. Amar Ghoul a eu la responsabilité de gérer, durant 11 ans, au poste de ministre des Travaux publics, la part la plus importante des dépenses d’équipement de l’Etat. Il est comme la calotte glaciaire de l’Arctique pour le changement climatique, le témoin géologique du réchauffement des dépenses de l’Etat algérien. Et de l’essor d’un affairisme de pouvoir de dernière génération. Le nom de Amar Ghoul est évoqué plusieurs dizaines de fois dans l’instruction judiciaire de l’affaire de l’autoroute Est-Ouest.

Ce sont les avocats des autres parties qui le disent. Sur les 16% du montant global du marché qu’a distribué en pots-de-vin le chinois Citic, 1,25% est allé à Tayeb Koudri, homme de confiance du ministre des Travaux publics. C’est Sid Ahmed Tadjeddine Addou, homme d’affaires, en détention préventive depuis 2009, qui l’a affirmé au juge d’instruction. Selon le montant final qu’auront coûté les deux lots du Centre et de l’Ouest de l’autoroute, les 1,25% de parts ministérielles peuvent varier de 30 à 100 millions d’euros. Le procès public devrait permettre d’établir la part de vérité dans les accusations de Sid Ahmed Tadjeddine Addou, mais aussi celles de Mohamed Khelladi, ancien directeur des nouveaux projets à l’Agence nationale des autoroutes (ANA), lui aussi embastillé après avoir accusé, dans la presse, son ministre de corruption.

L’autoroute Est-Ouest n’est toujours pas livrée en 2014 :  Les Japonais de Coojal avaient la section la plus compliquée, celle de l’Est. Mais ce n’est pas tout. L’administration a joué contre eux. Les 16% déduits des revenus par les Chinois pour graisser la mécanique ont fait la différence au profit des surcoûts des avenants. Le fonds de régulation est là pour quelque chose. Les malfaçons, sur les sections réalisées par les Chinois, s’accumulent depuis trois ans. Et le marché des équipements de l’autoroute a pris quatre ans de retard.
Amar Ghoul est l’incarnation la plus caricaturale du modèle économique des années Bouteflika : les plus grandes dépenses avec des entreprises étrangères à huis clos. Les plus gros pots-de-vin. La plus grande impunité.

Pour bien comprendre le 4e mandat présidentiel, il faut revenir à ce moment indicible de 2009 où, confondu dans l’enquête sur les pots-de-vin de l’autoroute Est-Ouest, Amar Ghoul est au seuil de la rupture. Et tout se retourne. Ce sont ses accusateurs qui vont en prison. Et l’instruction ne débouche toujours pas sur un procès jusqu’à aujourd’hui. Amar Ghoul est maintenu aux affaires. Il est la figure la plus en pointe pour la reconduction de Abdelaziz Bouteflika. Il a été mieux protégé que Chakib Khelil qui, pourtant, est un intime du président. Pourquoi ? Parce que dans les 16% de Citic, il y avait les 9% de Pierre Falcone, l’intermédiaire français, et l’arrosage du cœur du système, à la présidence de la République. A l’inverse de Khelil, Amar Ghoul n’était qu’un maillon secondaire dans l’attribution des deux contrats aux Chinois. La solidarité de 2009-2010 Amar Ghoul-famille présidentielle est devenue un immunisant vital pour tous. Les années Bouteflika sont scellées dans un sarcophage au coût inconnu : l’autoroute Est-Ouest. Un secret d’instruction doit-il rester un secret lorsque le procès qu’elle est censée préparer est bloqué durant 5 ans ?

C’est un dîner-débat avec Nabni, en début de semaine, qui a fini d’assombrir le tableau :  Najy Benhassine y a exposé les fondements théoriques de l’action que propose le think tank informel qui fait bouger les lignes en Algérie depuis trois ans. On y apprend comment d’autres pays ont tenté de lutter contre le syndrome hollandais. Et pourquoi ils ont échoué. Explications.
Le syndrome hollandais est un biais créé dans la balance d’un paiement par l’effet d’une rente, généralement pétrolière. La monnaie nationale s’apprécie artificiellement et les importations, devenant bon marché, prennent donc le pas sur la production locale. Le problème est que ce modèle n’est jamais durable à cause de la nature même de la rente. Il faut donc se préparer à un choc extérieur lorsque les revenus de l’exportation et les réserves de change accumulées ne permettent plus de soutenir le rythme des importations. C’est le fameux crash nocturne du Titanic contre l’iceberg qu’il n’a pas vu à temps pour l’éviter. La différence est là.

Nabni et un panel important d’économistes algériens, dont Abdelhak Lamiri, affirment que l’iceberg est en vue et qu’il faut sauter sur le gouvernail pour virer de bord. Sortir du syndrome hollandais. Créer d’autres sources de revenus extérieurs pour supplanter la baisse, puis la disparition, de la rente énergétique. Pourquoi le tableau s’assombrit-il alors ? Parce que les conditions pour corriger la faille de marché qui empêche une industrie compétitive d’émerger en Algérie paraissent clairement hors de portée  aujourd’hui. En réalité, cette correction – une politique industrielle soutenue – nécessite le niveau le plus vertueux de la gouvernance. Celui qui saute par-dessus les clivages inter-temporels pour prendre tout de suite des décisions douloureuses avec le risque assumé de ne pas être là pour tirer profit, dans 10 ou 15 ans, de leurs effets salvateurs.

Pour corriger la faille de marché provoqué par le syndrome hollandais qui emmène le Titanic algérien droit sur l’iceberg, il faut d’abord corriger la faille de gouvernance. Or, la présence de la rente a, partout dans le monde, beaucoup perverti les gouvernances. Autant dire que le crash était inscrit dans le menu de ce «sympathique dîner».

Article paru dans le quotidien El Watan

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