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Blog / Affaire El Kadi Ihsane : Le procès des libertés 

Par Maghreb Émergent
juin 13, 2023
Blog / Affaire El Kadi Ihsane : Le procès des libertés 

Dimanche 4 juin. À la Cour d’Alger (Ruisseau), la ligne rouge est franchie au moins cent fois. Sur les bancs du public, les personnes présentes sont en totale communion avec les avocats. Leurs voix résonnent sur les murs, dans les oreilles, au fond des esprits, affranchis. Des employés de Radio M et de Maghreb Émergent dont les locaux sont sous scellés, des militants du mouvement associatif réduits au silence, des amis qui ont payé cher leur soutien à la cause, au journaliste et aux médias.

Des sympathisants qui ont décidé de lancer une campagne sur Twitter  « un jour, un détenu d’opinion »  jusqu’à l’élection présidentielle, et… quelques rares journalistes… qui attestent que « les chemins de la révolte ont tous mené à Ruisseau, derrière la barre où à la barre ».

Quand les tribunaux deviennent une enclave de liberté dans un pays sans libertés 

À force de subir la dégradation des conditions dans lesquelles est rendue notre justice, l’antagonisme a fini ouvert et la plus grande juridiction, par le nombre d’affaires traitées, est devenue une enclave de liberté, dans un pays sans liberté. 

Merci aux avocats d’avoir permis cette infraction. Ils viennent d’inscrire une troisième fois leurs noms dans l’histoire, depuis l’affaire El Kadi Ihsane. La première, quand ils récusaient les magistrats, la seconde en boycottant l’audience, aujourd’hui ils ont scellé son sort.

Dans cette affaire, comme dans les autres, ce sont bien des avocats qui enquêtent, alors c’est sans appel : Il y a vices de formes. La première approche du collectif. Les faits et des textes qui vont étayer leurs plaidoiries.  

Les conditions d’arrestation du journaliste, sa détention illégale depuis le 15 janvier 2023, le changement de date de l’audience, la violation de la loi 182 et 183 du code de procédure pénale. 

Esté en tant que personne physique par la DGSI, des poursuites contre la société (personne morale), un procès-verbal de la gendarmerie qui n’a jamais engagé de procédure contre El kadi Ihsane, la justice s’est emmêlé les pinceaux et les militaires (DGSI) intervenus dans cette affaire n’ont pas signé les PV de leurs noms, ni révélé leurs titres et grades. « Ce n’est pas légal »!  Appuient les avocats d’un ton grave. 

Lorsqu’un vice de forme est mis en évidence, l’acte juridique est annulé, comme s’il n’avait jamais existé.

Irrégularités, violation du document juridique, pour lequel les formalités légales n’ont pas été respectées : Ces actes de procédure sont nuls. Du moins ils devraient. Réclame le collectif, pour qui la contestation a été suffisamment argumentée en fait et en droit pour faire constater par le juge, avant un débat sur le fond, l’inutilité de l’acte juridique. 

Recevable ! Contre toute attente, le procureur reconnait l’irrégularité des procédures, en quelques secondes

Il se joue alors une première manche sur le chemin de la reconnaissance. Elle sera de courte durée.  

Il existe bien des vices de forme dans la procédure pénale, mais elles ne conduisent pas à leur annulation. Le procureur rejette la demande des avocats. 

Pour l’annulation des procédures, les textes sont laissés à l’appréciation du juge. 

Me Zoubida ASSOUL et Me Nabila SMAIL se retournent en même temps vers le juge dans l’espoir d’obtenir son aval. Elles le renvoient au texte de loi appuyant du doigt le dossier sous son nez. 

Pour la prolongation de la garde à vue, Ihsane El Kadi aurait dû être présenté devant le procureur qui aurait pris cette liberté jusqu’à la fin de l’instruction. La loi a encore été bafouée argumente Me HABOUL, pourtant ça n’annule pas la procédure, pourquoi? On est vraisemblablement devant un texte de discorde. Sa pratique ne permet que très rarement l’annulation des procédures nous affirment les initiés aux rouages judiciaires. 

« C’est lui, ce n’est pas moi »

Comment simplifier les règles de procédure et non les rendre piégeuses? C’est dans un régime de séparation des pouvoirs que cette logique s’exprime. Aucun ministre de la Justice ne devrait pouvoir être désigné par l’exécutif. 

Mais, ces procès hors norme, voient aussi les avocats jouer un rôle fondamental qui les place, au-delà de leur serment d’obéissance aux autorités, dans une position privilégiée.  

Le tout-puissant couple parquet-police judiciaire a perdu de sa force répressive. 

Les symboles sont, aujourd’hui en ruines. Par deux, ou trois fois, le juge se décharge face aux avocats désignant du doigt le procureur de la république, qui représente l’état. « C’est lui, ce n’est pas moi », le geste est aérien et le sourire qui l’accompagne dédramatisent presque ce qui se joue dans nos tribunaux chaque jour depuis quatre ans : des vies. 

Plus c’est gros, plus ça passe « Me Fetta SADAT découd une affaire hors des textes  » tout le monde le sait, elle est politique. Les accusations ne tiennent pas debout ». 

« Recevoir un financement n’est pas un crime », la loi criminalise si cet argent a servi à commettre un crime. Abonde encore la défense dans ce sens. À tour de rôle, les plaidoiries s’enchaînent. 

Où sont vos mobiles? Interroge Me Abdelghani BADI. L’amplitude de sa voix donne d’un coup, un seul, toute la mesure de l’impair. L’avocat face au procureur, touche du doigt le fond de l’affaire. 

Montrez-nous l’acte matériel par le quel cet argent a servi à l’atteinte à l’Etat et à la propagande dans le but de nuire à ses intérêts. Assène-t-il.

Me BADI a clairement un problème avec l’acte criminel retenu comme grief dans l’accusation car jamais prouvé ni même identifié. L’antagonisme naturel à la tribune créé un climat que subit le juge sous tensions provoquées par la longue durée des explications des règles de procédures parfois complexes.  

L’audience dure depuis presque 4h.

Le ton monte. Dans la salle, on a pleinement conscience de ce qui se joue.

« Le ministère de la propagande n’existe plus depuis la deuxième guerre mondiale » chambre l’avocat, « le savez-vous? »  L’accusation de propagande est une ignominie, « où est la preuve de ce que vous avancez « crie-t-il à l’encontre du procureur visiblement très mal à l’aise avec l’article 95 bis sur la base du quel est poursuivi le journaliste. 

« Ce sont les pays sous-développés qui en parlent et en usent », ajoute Abdelghani Badi qui interpelle sans relâche le ministère public : Pourquoi n’accusez-vous pas les médias publics, de propagande? Ce sont eux qui font dans la propagande et qui mentent constamment aux algériens » fait-il remarquer. 

L’autorité du bâtonnier a rallié les plus sceptiques et le principe de l’omniscience juridique est battu en brèche. Comment la Justice va-t-elle reprendre de la hauteur? 

  » Vous ne seriez pas assis à votre place si nous n’avions pas arraché cette liberté. Ce drapeau derrière vous hna djebnah « 

Ces tensions ne sont que le symptôme d’une maladie qui ne craint pas les foudres d’une corporation à terre.

« Elle n’a pas l’expérience occidentale », le procureur se jette à l’eau avec maladresse ignorant les motifs de la plainte, (financement étranger et autorisation d’exercer), sa position de dédain et de mépris, face à une expérience inépuisable, l’enfonce tout profond. « L’Algérie est immature et ne peut pas prétendre à la liberté d’expression » « Regardez l’Irak, le rôle de la presse pour justifier la guerre  » (…) C’est comme acheter une arme, il faut une autorisation « . 

Un manque de jugement qui provoque l’ire de la défense qui ne va pas tarder à lui faire payer son impénitence. Est-ce par maladresse qu’il a péché? Qu’importe. 

Face à l’esprit étroit, la défense convoque l’histoire, le ferment de la conscience politique. Par deux fois, elle invite le printemps noir dans la salle d’audience et ses exigences sociales et identitaires auxquels l’état a opposé la répression la plus brutale qui a fait 123 morts (officiel) « [Le] nombre des civils blessés par balles présente une proportion de morts, variant […] d’un sur dix à un sur trois [qui] n’est comparable qu’avec les pertes militaires, lors des combats réputés les plus durs en temps de guerre ». Rapport de la commission d’enquête officielle rendue public le 7 juillet 2001. 

 » Vous ne seriez pas assis à votre place si nous n’avions pas arraché cette liberté. Ce drapeau derrière vous hna djebnah « . (C’est grâce à nous), Soumet du doigt Me Nabila Smail le juge, en rapportant les grandeurs des coulisses judiciaires d’une vielle dame meurtrie face à la décadence.  « Notre histoire née dans le feu de la guerre est le terreau initial sur lequel ont germé toutes sortes d’oppositions ». 

Le journaliste est le fils de Bachir El Kadi.  « son père a dirigé une base de renseignement pour le compte du FLN, pendant la guerre de libération. Il était membre de l’OS » abonde Me. Noureddine AHMINE.  L’indépendance et la liberté sont ses valeurs et son expérience avec la prison n’est pas nouvelle, en 1981, il y goûte avec les étudiants pour la reconnaissance de la langue amazighe et la culture berbère. 

Les magistrats sont assiégés

Combien de journalistes se sont fait tuer pendant la décennie noire au nom de ces mêmes libertés ? L’expérience du journaliste est inépuisable et Radio M en a été la preuve. L’armée, l’État profond, la corruption… Aucun sujet n’a été laissé de côté. Le journaliste ne connaît pas la censure. « Celui qui veut décrocher un poste dans la hiérarchie de l’Etat passe par Radio M et celui qui veut aller en prison aussi » résume le détenu imperturbable. 

Les propos du procureur sont une insulte à notre mémoire murmurent deux femmes âgées assises devant sur les bancs et les avocats le lui rende bien. 

Un homme vient vers lui, s’approche de l’estrade, lui murmure dans l’oreille. Le procureur quitte la salle en pleine plaidoirie. Me Zoubida Assoul constate, son intervention était une réponse pour lui, tant pis. Elle s’adressera au juge au-dessus de la mêlée. Les serviteurs de la cause, présents savent que le chemin sera long. 

À cet égard, il n’y a pour eux ni victoire ni défaite. Leur action est une contribution à l’œuvre de justice. Des libertés. 

Verdict attendu le 18 juin 2023. 

S.B

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