En deux occasions, j’ai pronostiqué le ravalement du système politique algérien sans Abdelaziz Bouteflika à partir d’avril 2014. Ecrits basés sur des sources d’information sérieuses. Erreur complète. Excuses intégrales.
Des lecteurs pourraient légitimement penser à mal d’un article intitulé de manière quelque peu péremptoire « Pourquoi Abdelaziz Bouteflika va renoncer au quatrième mandat présidentiel », édité le 19 décembre sur Al Huffington Post Maghreb et publié le lendemain par Maghreb Emergent. Plus qu’un pronostic, cette tribune se voulait une lecture informée des dernières décantations à l’intérieur du pouvoir algérien. Un papier précédent, du 14 décembre sur Maghreb Emergent, intitulé un compromis « Bouteflika-ANP sur la candidature de Sellal se précise », rapportait le scénario d’une succession adoubée par toutes les parties. Tout faux. Les deux articles ont bien sûr évoqué avec prudence le risque de remise en cause à tout moment du scénario qu’ils rapportaient. Mais ils ont « vendu » clairement le récit d’une feuille de route qui devait déboucher sur des élections sans Abdelaziz Bouteflika le 17 avril prochain. Deux possibilités. Ou bien cet accord n’a jamais existé ou bien il était trop fragile pour être conduit à son terme. Dans le premier cas nous serions en présence d’une manipulation. Mes articles auraient, parmi d’autres, contribué à rendre attractives des élections présidentielles sans président sortant. Une sorte de remake de celles de 1999, les plus prometteuses de la jeune histoire pluraliste des présidentielles en Algérie. Dans le second cas, plus clément pour l’éthique professionnelle, l’accord existait mais les évènements ont tout simplement tourné autrement. Là aussi, la responsabilité journalistique reste engagée. C’est ici une courte, et un peu tardive, tentative de la restaurer. En faisant la part des faits.
Un accord avorté ou une manipulation ?
Les articles du 14 et du 19 décembre sur la forte probabilité du renoncement de Abdelaziz Bouteflika au profit de Abdelmalek Sellal, reposaient sur quatre catégories de sources : le DRS, par retraités des services interposés, la haute administration proche du palais du gouvernement, des états-majors de pré-campagne (Ali Benflis), et des personnalités politiques. Les journalistes se trompent. Souvent lorsqu’ils n’insistent pas sur les contre-sources, les informations contradictoires. Dans le cas particulièrement confidentiel de la stratégie électorale du cœur du pouvoir, il est vrai qu’il est difficile d’organiser des « contre-mesures » pour éviter le parasitage. A ce même moment de décembre, des voix continuaient à soutenir clairement que Abdelaziz Bouteflika ne renoncera pas. Elles auraient dû être rapportées avec un plus grand coefficient problématique dans ces deux articles. De ce que nous savons aujourd’hui, un « accord » à bel et bien était esquissé fin novembre pour que Abdelaziz Bouteflika redonne la main à l’institution militaire pour un nouveau candidat qui obtiendrait son assentiment. Plusieurs sources nous l’ont encore confirmé ces derniers jours, mais elles divergent sur le contenu de cet accord. Pour certaines, Abdelmalek Sellal devait juste devenir vice-président de Bouteflika 4, tandis que pour d’autres il serait le candidat du système à l’élection présidentielle. Le fait est que Abdelmalek Sellal a vite échoué à son examen de passage. C’est principalement le général Gaïd Salah, chef d’état-major et vice-ministre de la défense, aidé en cela par Amar Saadani, secrétaire général du FLN, qui s’est opposé à la désignation du premier ministre comme candidat de la succession. Cette évolution-rebondissement méritait un article « Sellal n’est plus le successeur pressenti de Abdelaziz Bouteflika », à la fin du mois de janvier lorsque tous les clignotants disait «défunte» l’option Sellal. Cet article plusieurs fois entamé n’a jamais été publié. Trop de paramètres flottants. Y compris le possible retour en grâce de dernière minute d’une « option Sellal » en cas d’impasse absolue. C’était sans aucun doute un manquement vis-à-vis de ceux qui auront lu, et donné un certain crédit aux pronostics contenus dans les articles du 14 et du 19 décembre derniers.
Le coût de l’échec pas calculé
Abdelaziz Bouteflika est donc candidat à sa propre succession. Avoir suggéré qu’il puisse en être autrement apparait aujourd’hui presque comme une pensée coupable. Le fait de savoir si un plan B de succession a bien existé ou pas, pourrait paraître futile. Il ne l’est pourtant pas tout à fait. Le système s’est cherché une autre solution qu’un président invalide pour se succéder à lui-même et a échoué à en trouver. Tout d’abord parce que le président Bouteflika et son frère Saïd, ont agi pour qu’une autre candidature ne soit pas réellement possible. Ensuite parce que la division entre le général Gaïd Salah, chef d’état-major et le général Toufik, patron du DRS, était beaucoup plus ample que ce que les médias ont pu en capter ces derniers mois avant les sorties de Amar Saadani et du général Hocine Benhadid. Enfin parce que le coût de l’échec dans la quête d’une candidature décente pour prolonger le système n’a été calculé nulle part. Les articles du 14 et du 19 décembre avaient un sous-bassement impensé : le régime réfléchit à ses intérêts vitaux. La plus grande erreur était de lui avoir prêté cette capacité résiduelle à le faire. Elle n’existe plus. Le quatrième mandat de Abdelaziz Bouteflika n’est pas un passage en force, c’est un emballage sous vide. Il redonne la légitimité pleine et entière à la violence sociale et politique des acteurs pour rétablir leur être. Les poètes humiliés l’ont déjà annoncé, comme Kamel Daoud (Algérie Focus), dans la violence des mots. Le destin de l’Algérie est inchangé. Il est celui d’avancer par la fresque des grandes foules généreuses. Celui de payer le coût de l’échec.