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Brahim Benabdeslem ou la douce schizophrénie du patronat algérien

Par Yacine Temlali
septembre 29, 2014
Brahim Benabdeslem ou la douce schizophrénie du patronat algérien

Brahim Benabdeslem a assuré une « pige » à la tête de la délégation du FCE lors de la dernière tripartite. Peu connu du grand public, il incarne bien la crise d’autonomie des patrons algériens, partagés entre des convictions « intimes » anti-autoritaristes et ce qu’ils croient être leur devoir de soutenir le régime.

C’est le ministre canadien des Affaires Etrangères, John Baird, qui réunit le cocktail en marge de sa visite officielle en Algérie à la mi-septembre 2013. Mais sur la pelouse de l’ambassade du Canada à Ben Aknoun, il n’est question, entre convives algériens, que du « coup de balai » de Bouteflika du 11 septembre, quelques jours plus tôt. L’ambiance est à l’abattement. Le président de la République a fait un retour fracassant de son séjour hospitalier parisien. Il a démis 11 ministres, supposés « tièdes » à son égard, et nommé une garde prétorienne de walis et de proches aux postes-clés qui lui permettraient une réélection. Les diplomates étrangers en sont gênés pour leurs hôtes.

Brahim Benabdeslem n’est pas le moins désabusé de son cercle d’amis. « C’est foutu, il va passer et personne ne pourra rien faire ». Vice-président au long cours du Forum des chefs d’entreprise (FCE), président de son conseil d’orientation stratégique (COS), une sorte de comité des sages, Brahim Benabdeslem n’est pas réputé jusque-là pour être un soutien zélé du clan présidentiel. Un peu comme l’est Omar Ramdane, premier président de la principale organisation patronale algérienne, dont il ne se tient jamais très éloigné politiquement. En petit comité, il est, en cette fin d’après-midi de la mi-septembre 2013 amer, sceptique sur l’avenir du climat des affaires et sur l’image de l’Algérie qui aurait à assumer le 4e mandat d’un président usé et diminué par la maladie.

Le jeudi 13 mars 2014 au matin, Brahim Benabdeslem est pourtant sur la photo de la quarantaine de membres du FCE qui votent à l’hôtel Aurassi le soutien au quatrième mandat présidentiel. Chef de la délégation du FCE à la tripartite du 18 septembre dernier, il incarne une tranquille schizophrénie largement répandue parmi les patrons algériens. Hostiles, pour leur grande majorité, en privé à la dérive autocratique du pouvoir présidentiel, ils en sont les supporters publics toutes les quatre années. A la demande.

 

Parcours à succès et double vie civique

Brahim Benabdeslem, sexagénaire bon teint au dynamisme débordant , n’est pas connu du grand public. Fondateur et directeur d’une business school à succès, le MDI, implantée dans un rutilant immeuble de verre à Cheraga, à Alger-Ouest, il a su anticiper une demande de formation de nouvelles élites managériales au tournant de l’économie de marché il y a plus de vingt ans. Une partie de l’encadrement – « staffing », disent les initiés – des PME en croissance ces dernières années se recrute aux portes du MDI, et les multinationales basées en Algérie viennent aussi y chercher des têtes. A priori, rien n’oblige, dans sa vie professionnelle, le vice-président du FCE à entretenir une double vie civique : l’une privée dédaigneuse du fait du prince, l’autre publique conseillant aux Algériens d’avaliser le quatrième mandat « dans l’intérêt du pays ».

Entre le 16 septembre 2013 et le 13 mars 2014, le président du COS du FCE ne s’est pourtant pas contenté de changer d’avis sur les « bienfaits » du 4e mandat. Il a travaillé à mobiliser le « camp du soutien » au sein du FCE, dès lors que la candidature de Bouteflika était devenue officielle, le 22 février 2014. Un zèle qui a fait contrepoids à l’attitude réservée du président du FCE. Réda Hamiani, tenté – à demi-mots – par la sanctuarisation politique de son organisation, a finalement laissé, avec une pointe de complaisance, Brahim Benabdeslem organiser « la logistique » institutionnelle du « vote » demandé avec force pressions par les grands patrons pro-Bouteflika, Ali Haddad et Laïd Benamor en tête.

Ni petit ni gros, juste dépendant

Le Forum des chefs d’entreprise (FCE), moins de 200 membres cotisants au premier 1er 2014, n’est pas une organisation patronale au sens classique si on la compare aux 14. 000 entreprises actives au sein de l’UTICA Tunisienne. La démission de son président Réda Hamiani, le désistement de l’ex-haut fonctionnaire intérimaire, Ahmed Tibaoui et l’arrivée de Brahim Benabdeslem à la tête de la délégation du FCE à la tripartite du 19 septembre dernier consacrent l’affaissement du système de cooptation de l’organisation. Pas assez d’adhérents, pas assez d’influence, plus de figure légitime à sa tête. A sa décharge, Brahim Benabdeslem ressemble à l’archétype du patron algérien qui approche le cap du milliard de dinars de chiffre d’affaires : il perd toute autonomie vis-à-vis de l’instance politique. Pas assez petit pour être invisible, pas assez gros, comme Issab Rebrab, ou assez impétueux, comme Slim Othmani, pour afficher son opinion.

Brahim Benabdeslem est, tout compte fait, un patron sage et avisé. Il ne se trompe jamais sur le sens du vent politique. Dans le portefeuille clients du MDI, il existe, bien sûr, des entreprises publiques, comme la Sonatrach, qui contribuent à amplifier un succès d’affaires par ailleurs tout à fait justifié par la qualité de l’enseignement assuré. Le président du COS espère sans doute une Algérie sans autocrate hégémonique sur l’activité des privés. Mais il pense que l’intérêt du moment est d’agir pour le statu quo. La double vie civique du patronat algérien est le premier marqueur de l’archaïsme de l’économie rentière.

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