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Comment les TIC ont aidé les journalistes à travailler sur les « Panama Papers »

Par Yazid Ferhat
mai 7, 2016
Comment les TIC ont aidé les journalistes à travailler sur les « Panama Papers »

Le 4 avril dernier, à Alger, Tunis et Casablanca, comme dans le reste du monde, éclate l’affaire des comptes offshore dite des « Panama papers » issue de la plus grande fuite de l’histoire avec 11 millions de fichiers extraits des serveurs informatiques du cabinet Mossack Fonseca basé au Panama. Dans ce labyrinthe des paradis fiscaux, l’utilisation de puissants outils informatiques a été déterminante pour révéler les scandales contenus dans ces 2.6 téraoctets de données.

 

Quel est le point commun entre le ministre algérien de l’industrie, Abdesselam Bouchouareb, l’ex chef de campagne du président tunisien Beji Caïd Essebssi, Mohsen Marzouk, et le secrétaire particulier du roi marocain Mohamed VI, Mohamed Mounir Majidi ? Au-delà d’être des hommes politiques maghrébins, tous trois sont rattachés à des comptes abrités dans des paradis fiscaux ouverts par l’intermédiaire de la firme panaméenne Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore. Une similitude qui leur a valu de se retrouver au matin du lundi 4 avril 2016 en première page des médias électroniques Mediapart, Inkyfada et le Desk, les trois pure-players (journaux existant uniquement sur Internet) ayant révélé les premiers les juteuses activités financières cachées de ces personnalités.

Pour aboutir à ces révélations fracassantes, qui ne sont pas terminées, la poignée de journalistes maghrébins ayant réalisé les enquêtes s’est attelée des mois durant à un minutieux travail de recherche, compréhension et décryptage des informations. Avec des moyens divers en fonction de leur statut : à Alger, Lyas Hallas, seul membre algérien du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), sur les 370 journalistes indépendants de 80 pays ayant travaillé sur les Panama papers, et à Tunis, Inkyfada, unique média tunisien membre de l’ICIJ, ont bénéficié de la base de données et des outils développés par le consortium. A Casablanca, en revanche, le Desk s’est débrouillé seul, n’étant pas membre de l’ICIJ. « On a tout reconstitué sans les documents fuités de Mossack Fonseca », raconte Ali Amar, directeur fondateur du site d’information et d’enquête le Desk. « Nous sommes partis de la réponse du Palais à un des journalistes de l’ICIJ qui avait transmis un questionnaire précis sur Mounir Majidi, le secrétaire particulier du roi marocain Mohamed VI », détaille Ali Amar. « Visiblement piqué par cette requête, le Palais a transmis le questionnaire au site 360.ma réputé proche du pouvoir ». A partir des informations publiées, le Desk creuse les pistes dévoilées, grâce aux trois journalistes d’investigation expérimentés du service « Enquête » du journal.

 

L’informatique au service du journalisme

 

Associés à l’enquête dès le départ, Lyas Hallas à Alger, Sana Sbouai et Malek Khadhraoui, co-fondateurs d’Inkyfada à Tunis, décortiquent à partir de l’automne les millions de données transmises par le lanceur d’alerte au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. Grâce à l’expertise du département « données et recherche » de l’ICIJ, le contenu crypté de la fuite – qui contenait 214.000 entités offshore créées ou administrées par Mossack Fonseca entre 1977 et 2015, dans 21 paradis fiscaux différents et pour des clients issus de plus de 200 pays et territoires – est rendu exploitable pour les journalistes. « L’équipe technique de l’ICIJ a extrait les métadonnées des documents en utilisant Apache Solr et Tika, puis connecté toutes les informations des données fuitées ensemble », explique un article intitulé « Transformer les documents fuités en données exploitables » publié sur le site de le start-up française Linkurious à l’origine du logiciel de « datavisualisation » (visualisation de données) qui à permis aux journalistes de représenter les schémas complexes des montages financiers et de les intégrer dans leurs articles. Dès lors, à travers cette immense base de données hautement sécurisée doté d’un moteur de recherche, les journalistes membres de l’ICIJ peuvent, après s’être identifiés, rechercher les informations concernant leur pays d’origine.

 

La collaboration, la clé de la réussite

 

En plus de cette assistance technologique, les journalistes maghrébins membres de l’ICIJ ont été aidés dans leurs investigations par des organisations régionales de journalisme d’investigation affiliés à l’ICIJ : ARIJ (http://en.arij.net/) pour le Moyen Orient et l’Afrique du Nord et l’ANCIR pour l’Afrique (https://investigativecenters.org/). « ARIJ a accompagné et coordonné depuis son bureau à Amman les enquêtes de sept journalistes à travers l’Algérie, la Tunisie, l’Irak, la Syrie, la Jordanie, le Liban et le Yémen », retrace Rana Sabbagh, fondatrice directrice d’ARIJ qui a suivi de près l’enquête du journaliste algérien Lyas Hallas sur le ministre de l’Industrie Abdesselam Bouchouareb. « Outre le support technique d’accès aux données et de sécurité des emails, nous avons aidé les journalistes sur le contenu en relisant la première et la dernière copie de leurs enquêtes que nous avons montré à un avocat afin de minimiser les risques pour les journalistes ».

Au sein de l’ANCIR, Sana Sbouai a surtout profité de « l’intelligence collective » comme la qualifie la journaliste d’Inkyfada. « Nous avons eu beaucoup de discussions entre journalistes africains du réseau, fortes utiles pour comprendre tel ou tel document, clarifier le rôle de telle ou telle personne, etc. ». Car, cette fois-ci, contrairement aux traditionnelles habitudes de « buzz » et « d’exclusivité » des médias, ce qui « comptait c’était le travail de fond et du groupe pour sortir des informations lourdes », relève Sana Sbouai qui salue les bénéfices de « cette nouvelle pratique de journalisme collaboratif ».

 

La sécurité, le nerf de la guerre

 

Si sensibles et explosives, les données des Panama Papers ont tout au long de leur chemin été hautement protégées et sécurisées par l’ICIJ grâce aux techniques de cryptage, cloud, sécurisation des forums de discussion, etc. Mais une fois publiées, il est revenu aux éditeurs d’assurer la sécurité de leurs sites ou plateformes de publication. Depuis son lancement, le journal marocain le Desk qui traite régulièrement d’informations sensibles, a ainsi mis en place un solide système de sécurité. « Nous avons sanctuarisé nos infrastructures informatiques à divers niveaux », témoigne Ali Amar. « Pour ce qui est des données confidentielles, celles-ci sont confinées sur des serveurs dédiés qui sont déconnectés de tous réseaux grâce à des sas cryptés », détaille le directeur. « C’est un système éprouvé que nous avons aussi mis en place pour notre Securedrop, une sorte de boite noire qui permet à des lanceurs d’alerte de nous communiquer des informations et des documents de manière anonyme y compris vis-à-vis de nos journalistes ». Grâce à ces installations, le Desk a traversé la tornade « Panama papers » sans turbulence.

Il n’en a pas été de même pour Inkyfada, victime d’un piratage quelques heures après la publication de son premier article « Mohsen Marzouk, en route pour l’offshore ». « Nous avons subie une attaque informatique de grande ampleur qui a commencé par une DDOS attaque [NDLR attaque par déni de service] qui fait que le site était inaccessible aux lecteurs », relate Malek Khadhraoui dans l’émission « Tous les internets » de arte.tv. « Pendant que notre équipe était occupée à résoudre cette attaque, il y a eu une intrusion sur notre base de données et les hackers ont réussi à injecter un article qui parle d’une autre personnalité politique ». Résultat : le site de Inkyfada a été mis hors ligne pendant 24 heures pour parer à cette faille, enlever le faux article et surtout sécuriser l’accès aux serveurs et au site, détaille le directeur de publication. Une opération rapidement réalisée. Une véritable tornade invisible de solidarité réconfortante pour les journalistes des Panama Papers qui ont été nombreux à subir de violentes attaques de dénigrement. 

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