Chiffres de contamination, hospitalisations, admissions en réanimation, décès par Covid, séquençage des types de variant. Tout est faux, incomplet ou absent en Algérie. Les Algériens font avec.
La scène se déroule au cimetière d’El Alia à Alger au premier jour de la semaine dernière. Un médecin sexagénaire – non vacciné – va être enterré par les siens. Emporté par la 4e vague du Covid. Un nouveau carré a été fraichement inauguré à quelques 300 m de celui des martyrs. Les cortèges funèbres s’entremêlent à cette heure de la journée, après la prière d’ El Dhor. Il faut chercher sa tombe. Six ont déjà été comblées depuis le début de la journée. Tombes Covid, reconnaissables à leur amas de terre particulièrement élevés à cause des cercueils, et de la profondeur des fosses. L’Algérie est en plein 4e vague de Covid, une combinaison de variant Delta résiduel et d’Omicron déboulant dans les courbes épidémiologiques. Mais personne à El Alia ne saura de quel variant est décédé son proche. Le séquençage ne se fait que sur les échantillons qui vont à l’institut Pasteur. C’est à dire, ceux, marginaux, qui visiblement donnent depuis mars 2020 des chiffres ridiculement bas du nombre de cas de contaminations journaliers. Les Algériens ont apprit à vivre avec cet écart abyssal entre les chiffres rachitiques du docteur Fourrar, porte parole du comité scientifique de suivi de la pandémie, et la réalité des morgues et des cimetières. Le soir même de ces enterrements à la chaine à El Alia, le comité évoquera 9 morts pour toute l’Algérie. Un chiffre fallacieux, assumé tous les jours tranquillement depuis le début, sans scrupules éthiques. A deux reprises au moins, lors de la 2e vague d’octobre novembre 2020, puis de la 3e de juillet-aout 2021, l’écart était devenu totalement indécent entre les chiffres officiels des contaminations et des décès et celui de ce qui était constaté à travers, les centres d’analyses et d’imageries, les services Covid des hôpitaux et les permis d’inhumer dans les APC. L’insoutenable déni sur la gravité de la situation (crise de l’oxygène en illustration) avait laissé penser qu’une meilleure collecte et une plus grande transparence sur les chiffres interviendrait pour la suite. La 4e vague est arrivée sans que rien ne change.
Mensonge assumé
Le comité scientifique a continué à mentir sans broncher alors que le nombre de décès en un jour dans un seul CHU d’Alger était supérieur au double du chiffre national officiellement annoncé fin juillet 2021. Toutes les précisions « posthumes » sur le fait que les chiffres officiels ne prennent en compte que les cas déclarés après test PCR – à l’exclusion de tous les autres (antigénique, scanner thoracique), ne sont qu’écran de fumée. Dans les statistiques de l’OMS consolidées à l’échelle mondiale, ce sont les chiffres officiels qui sont retenus et ils donnent un tableau totalement sous-dimensionné de la situation épidémiologique en Algérie. Les Algériens ont choisi de ne retenir des chiffres officiels que la tendance. Montante ou descendante. Le débat public porte sur le facteur par lequel il faut multiplier les chiffres officiels pour se rapprocher d’une statistique réaliste. Les propositions vont de 10 à 50. Ce dernier multiplicateur peut paraître excessif. Mais appliqué aux cas de contaminations donnés dans le chiffre officiel du 14 janvier 2022, il donnerait environ 27 500 nouveaux cas en un jour, ce qui dans un contexte ou l’institut Pasteur évoque une montée rapide de l’infection par Omicron (symptômes de rhinopathies) est sans doute plus proche de la réalité. De même que le facteur 20 pour le nombre de décès quotidien donnerait 180 décès par jour , un chiffre qui corrobore plus facilement le scénario rapporté au cimetière d’El Alia, à un moment ou cette vague continue de se renforcer.
La vaccination victime du biais
Le ministre de la santé le docteur Abderrahmane Benbouzid, premier responsable de cette distorsion brejnévienne des chiffres de la pandémie en Algérie a du répondre à une question de député cette semaine sur la situation sanitaire. On y constate l’une des conséquences indirecte de la politique des chiffres sous évalués. La campagne de vaccination est un échec. Seuls 5 763 106 personnes avaient accédé à un schéma vaccinal complet (2 doses) au début du mois de janvier. Prés de 7 millions n’avaient reçu qu’une seule dose et 147 250 une 3e dose. Les chiffres officiels ont crée un biais grave dans l’appréciation de la situation dans le pays. L’Algérie dispose d’un des nombres de décès par million d’habitants des plus faibles au monde. Il est de 146 par million d’habitants. Pour comparaison, il est de 2178 par million d’habitant en Tunisie, et de 405 par million d’habitants au Maroc ou les autorités reconnaissent qu’il est sous-évalué. De même que lorsque l’appareil statistique tunisien comptabilise 65 535 cas de contamination par million d’habitants, le ministère de la santé de Docteur Benbouzid n’en compte que 5117 par million d’habitants. Ce n’est sans doute pas un hasard également que les pays voisins dont les statistiques épidémiologiques sont plus réalistes, sont aussi plus efficaces dans la vaccination. 51,4% de la population cible a été doublement vaccinée en Tunisie, 62,2% au Maroc. La politique des faux chiffres s’est retournée contre la principale riposte de santé publique contre le Covid, la vaccination. Il reste maintenant à espérer que le variant Omicron, évalué par l’institut Pasteur à prés d’un tiers des nouvelles contaminations, prenne rapidement le dessus et provoque une immunité grégaire salutaire en Algérie à la suite du monde.