La semaine économique commentée par El Kadi Ihsane.
L’actualité de la semaine a été dominée par le listing des promesses de réformes économiques non tenues en l’an I de Bouteflika 4. Les cours du brut se sont affaissés en cours de route. L’urgence et la profondeur des réformes se sont amplifiées. C’est donc l’occasion d’être sceptiques en cette semaine des bilans sur l’avenir du quatrième mandat face à la crise qui se profile. Le Forum des chefs d’entreprise a rendu public son plan d’émergence à cette même occasion. La première clé de réponse du patronat se précise : ouvrir le champ de l’investissement à tous les secteurs qui sont encore fermés aux acteurs du privé. La modification de la législation et de la réglementation pour rendre possible l’investissement privé dans les transports aériens, maritimes, dans le e-commerce, dans l’enseignement supérieur et dans bien d’autres activités, ne suffira pas. L’autorisation d’investir ne rend pas l’acte d’investir automatique. Chakib Khelil l’a rendu possible dans la loi électricité de 2002 et aussi pour la distribution des produits pétroliers. Le goulot est toujours là. Les fils d’attente sur les stations d’essence de la semaine dernière viennent le rappeler. Là ou le système des prix et donc celui des marges est sur-régulé, le capital ne vient pas. Les bureaux de cambistes également sont autorisés mais n’ont jamais vu le jour. Comme pour le prix du carburant, la marge bénéficiaire de leur activité était trop faible pour justifier l’investissement dans un bureau de change légal. Au cœur de la réforme pour la diversification de l’économie algérienne se niche, comme entre 1988 et 1994, le système des prix. Plus les prix sont administrés, plus la distorsion de concurrence maintient le quasi monopole et évince les nouveaux acteurs entrants. Or le plus grand enseignement des derniers mois est bien celui là. Abdelaziz Bouteflika ne veut pas renoncer à ce système hypertrophié des prix administrés, avec comme moteur la subvention directe. C’est Brahim Hasnaoui, le très inspiré patron du groupe éponyme, un des leaders du bâtiment en Algérie, qui résume le mieux le préjudice d’une des manifestations extrême d’un système des prix sous cloche : le logement gratuit : « il alimente une demande qui ne peut pas être cernée, puisqu’elle n’est pas bornée par la solvabilité du demandeur. Il empêche les acteurs privés d’investir plus dans un logement de qualité en phase avec les besoins de qualité de vie d’une société algérienne plus exigeante ». L’effet d’éviction à l’investissement que produisent des prix faussés par l’intervention politique de l’Etat, voilà le vrai obstacle que n’évoque pas clairement le FCE dans son plan d’émergence. Pourquoi ? Parce que la subvention exagérée est le carburant même de la légitimation politique de l’ère Bouteflika.
Pourquoi le président Bouteflika tient il coute que coute à préserver un système de prix déformant l’acte d’investir ? Ce n’était pas sa démarche au début de son premier mandat. Deux paramètres ont changé. Le prix du brut est monté. Son entourage s’est enrichit sur le dos des grands contrats de l’Etat, eux même généré par le gonflement des moyens de paiement de l’Etat. Ce sont là les ingrédients de la seule constance des dix dernières années : l’achat d’une complicité de l’opinion par la déflation artificielle. Deux paramètres peuvent infléchir ce cours de politique économique de court terme. L’assèchement des excédents financiers algériens. C’est en cours. Le rétablissement d’une moralité « légitimante » du pouvoir politique. Et c’est ici que tout s’arrête. Cet attelage politique n’est pas capable d’aller au-delà pour affronter le risque systémique du gaspillage de la rente. Il a peur de l’opinion. Peur de ses propres turpitudes. Dans la semaine même de la première année du 4e mandat qui requiert l’engagement d’un grand virage vers la restauration de l’attractivité de l’acte d’investir en Algérie, le gouvernement, et au dessus le clan présidentiel, est plus que jamais à l’affut des annonces liées à la corruption de ses membres. Le livre français Paris-Alger, évoque ces mœurs filiales qui font que les filles de haut responsables algériens sont milliardaires à Paris comme l’atteste leur patrimoine immobilier. Des explications sont toujours possibles pour dissiper le soupçon d’argent mal acquis. IL semblerait par exemple que le ministre de l’industrie Abdeslam Bouchouareb était déjà un prospère homme d’affaire avant de se piquer de politique, et que la fille du premier ministre Abdelmalek Sellal est l’épouse d’un milliardaire libanais. Le malaise est intégral. D’autant que dans la même semaine un courrier explosif de la défense de Chani Medjdoub l’accusé principal de l’affaire de l’autoroute est-ouest, explique entre les lignes que le prévenu a été torturé et embastillé parce qu’il a refusé de rétrocéder son business d’intermédiaire à une haute autorité. La dernière fois que l’Algérie a connu une phase d’ouverture vers l’investissement du privé correspond à celle d’un démantèlement des monopoles publics sous la contrainte de la crise de la dette extérieure. Cela a bien sur aidé à la réforme puis à l’ajustement. Mais il n’y avait pas que cela. Kasdi Merbah, Mouloud Hamrouche, Sid Ahmed Ghozali, Réda Malek : les noms des chefs du gouvernement de cette période sonnent bien différemment sur le plan de la moralité patrimoniale que ceux des responsables actuels. Le pouvoir des années Bouteflika s’est trop laissé corrompre pour pouvoir parler et conduire une politique de vérité. Surtout pas une politique de vérité – même approximative- des prix. Pourtant elle pourrait déjà soulager Naftal, croulante sous le poids de files d’attente automobile.
L’économiste péruvien Hernando de Soto s’est frontalement attaqué cette semaine au phénomène Thomas Piketty. Bref rappel de qui est qui. Le premier est un économiste libéral, mondialement connu pour son travail sur l’intégration des secteurs informels dans les économies du tiers monde afin de réduire la pauvreté par la sécurisation du petit capital des pauvres. Le second est un français devenu à son tour star mondiale grâce à son livre « Le capital au 21esiècle », une longue étude sur les incidences des inégalités dans la distribution des revenus entre capital et travail. Hernando De Soto reproche à Thomas Piketty de tirer des lois économiques universelles à partir d’une observation euro-centrée. Son étude des statistiques d’une vingtaine de pays industrialisés, sur une période de plus d’un siècle, propose d’établir des corrélations entre les variations d’écarts entre salaires et profits et les variations de performances dans le capitalisme occidental. On y apprend notamment que lorsque cet écart devient trop important – c’est le cas depuis vingt ans – la croissance économique se bloque et la légitimité institutionnelle du capitalisme se lézarde. En gros Hernando De Soto reproche un postulat marxiste au livre de Piketty. Pour lui le problème dans les pays pauvres n’est pas le capital (et le chaos qu’il peut apporter), mais l’absence du capital. Plus précisément, il explique que les révolutions arabes ne sont pas nées de l’inégalité entre les parts de revenus du capital et du travail mais de l’impossibilité pour une partie de la société arabe à accéder au capital et au patrimoine qu’il assure. Illustration Mohamed Bouazizi lui-même. Ce n’était pas un salarié mais un entreprenant sapé par l’administration. Débat passionnant. Mais un peu factice. Piketty n’a jamais prétendu à l’élargissement de ses conclusions aux pays ou, en effet, le capital est absent ou rare. De Soto écrit avec brio « le problème de l’Occident au 21e siècle c’est le papier sans actifs, ailleurs ce sont les actifs sans papiers ». Capital financier devenu virtuel d’un côté chez les riches, petits actifs physiques non enregistrables chez les pauvres. Hernando De Soto a défendu les pauvres d’un point de vue anti-marxiste. Croustillant. A suivre.