Acheter des entreprises françaises en difficulté ? Des entreprises tunisiennes et marocaines l’ont déjà fait. Des privés algériens sont tentés, malgré les obstacles de la législation.
Une partie de l’establishment économique privé algérien semble l’avoir compris. Il existe une opportunité historique de procéder à un vrai transfert de technologie et de savoir-faire, grâce à des acquisitions d’entreprises outre-méditerranée et à des prix bas. Les caisses du pays sont pleines et les industriels algériens réussissent. Cevital est le porte-drapeau de cette dynamique. Après avoir acquis OXXO, numéro un français des portes et fenêtres en PVC (67 millions d’euros de chiffre d’affaires) en 2013, en s’engageant à investir 12 millions d’euros et à conserver 288 des 406 emplois – le premier groupe privé algérien ne semble vouloir s’arrêter à cette première expérience. FagorBrandt devrait être sa prochaine acquisition en Hexagone. Un des premiers fabricants européens de produits « blancs » (électroménagers) va très probablement tomber dans l’escarcelle de Cevital le 13 février prochain, date à laquelle le tribunal de commerce rendra sa décision définitive. Cevital est de loin le mieux placé pour reprendre les activités de FagorBrandt, qui pèse 14% de parts de marché dans l’univers de l’électroménager français. Mais il n’y pas que Cevital à profiter de la conjoncture économique française.
Cevital fait des émules
En 2010, les Laboratoires Salem, une PME pharmaceutique algérienne spécialisée dans les génériques, a repris une unité de production de la multinationale Bristol Myers Squibb (BMS), à Meymac, dans le sud de la France. Un vrai précurseur. Le dixième groupe pharmaceutique mondial, qui restructurait ses activités, a préféré son projet à celui d’une vingtaine de concurrents. Il lui a alors cédé ses locaux et ses équipements, pour un euro symbolique, et sans dette. Un coup de maître qui permet aujourd’hui au laboratoire Salem de partir à la conquête de l’Afrique et de proposer ses produits génériques dans une vingtaine de pays dans le monde. La France, nouvel eldorado pour les entreprises algériennes ? Sur le papier, et dans les comptes en banques, oui. « Nous avons 1,5 milliard de dollars de fonds propres, aucune dette et nous pouvons mobiliser plusieurs milliards de dollars pour acquérir des sociétés françaises » disait Issad Rebrab, le patron de Cevital au magazine français « Challenge », il y a un an. Sur le contournement du « barrage» de la Banque d’Algérie, qui interdit tout transfert de devises à l’étranger pour l’acquisition d’actifs, il a fait état de « conventions de financement avec les plus grandes banques, notamment HSBC, la Société Générale, BNP Paribas et Citibank. Et des fonds d’investissement qataris sont prêts à nous accompagner. Nous travaillons avec les plus grands cabinets d’audit, PricewaterhouseCoopers, Booz Allen et Ricol Lasteyrie, qui réaliseront les évaluations de nos futures acquisitions ». D’autres groupes algériens, à l’image de Haddad, Benamor, etc. veulent aussi sortir d’un marché algérien trop étroit. Mais il n’y a pas que les algériens à frapper aux portes de l’Hexagone pour faire « les courses » aux bonnes affaires.
Des conditions de rachat attractives
Dans ce contexte de crise économique, le tissu industriel français offre des opportunités et les pouvoirs publics français eux-mêmes qui posent les couverts et dressent la table. Jean-Marc Ayrault, le Premier Ministre, avait annoncé il y a quelques mois avoir établi, avec le Ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, la «liste des entreprises les plus en danger » qui seraient « environ 36», partout en France. Tous les secteurs industriels y sont listés. Une estimation initiale du syndicat CGT listait 46 entreprises en danger représentant 45.000 emplois menacés. Dans le lot, on retrouve de grandes marques françaises et internationales de l’automobile, telles que Renault et PSA ou IVECO. Mais pas seulement. La Redoute, Tilly Sabco, Alcatel Lucent ou encore Marine Harvest, Goodyear et Honeywell, et d’autres entreprises et sous-traitants moins connus. Et si cette grosse tranche de l’industrie française est mise en vente quasiment à la crié, elle s’accompagne aussi, luxe suprême, d’une ébauche d’avantages et de conditions de rachat attractives : usines opérationnelles, modernisation des infrastructures entamée, déménagements terminés, plans sociaux lancés, travailleurs qualifiés, conditions fiscales imbattables. Au niveau de ces entreprises, tout, aujourd’hui, est en place pour accueillir les futurs nouveaux propriétaires…
Les entreprises maghrébines s’y mettent aussi
«Avec la crise, c’est les soldes !», s’exclamait récemment le tunisien Badreddine Ouali, PDG de Vermeg. Fournisseur de logiciels pour la Banque de France et Société générale, la PME tunisienne s’est offert 24,45 % des actions de Business Solutions Builders (BSB) pour 5 millions d’euros. Avec la possibilité d’en prendre le contrôle d’ici à février 2014. Mi-janvier 2013, c’est Jet Alu, entreprise marocaine, qui a annoncé le rachat d’une PME française spécialisée dans les travaux de menuiserie métallique. Une acquisition faite à bon prix : 110.000 euros. L’entreprise Leblanc, dont le chiffre d’affaires atteignait 10,7 millions d’euros en 2011, avait été placée en redressement judiciaire. À Évreux (nord-ouest de Paris), les autorités locales se sont pliées en quatre pour accueillir Outsourcia, un centre d’appel marocain, pour revitaliser un bassin d’emplois sinistré par le départ du laboratoire britannique GlaxoSmithKline. Des opportunités existent mais les entraves existent. Première d’entre elles, le contrôle des changes exercé par les pays maghrébins (la sortie de devises est limitée 1,4 million d’euros en Tunisie et à 4,4 millions d’euros au Maroc). Si cet obstacle peut être contourné ou négocié en Tunisie ou au Maroc, il est, à de très rares exception, insurmontable en Algérie. La législation algérienne est un obstacle au développement à l’international des groupes privés.