Les négociations pour la retransmission de la CAN 2017 par la télévision algérienne ont échoué. En accusant le président de la CAF, Issa Hayatou, et le groupe beIN SPORTS, la partie algérienne occulte ses propres défaillances.
Une vague de one-two-trisme a accompagné l’échec des négociations entre la télévision algérienne et le groupe beIN SPORTS pour l’achat par l’Algérie des droits de retransmission de la coupe d’Afrique des Nations 2017. Trop cher, trop de gaspillage, de l’argent mal dépensé, arrogance qatarie, mauvaises décisions de la Confédération africaine de Football (CAF) : le discours ambiant, mêlant un brin de taqachouf (austérité) et une pincée de nif (sens de l’honneur), a utilisé tous les arguments pour camoufler le côté obscur d’une gestion approximative. Sur les réseaux sociaux comme dans la rue, les arguments mettant en cause « les Qataris de beIN SPORTS» et la CAF ont fait mouche auprès d’une partie de l’opinion.
Un spécialiste du sport, interrogé par Maghreb Emergent, a toutefois remis en cause ce schéma. Selon lui, Issa Hayatou, le président de la CAF, agit au sein de l’instance panafricaine « exactement comme le fait Mohamed Raouraoura au sein de la FAF». M. Hayatou a tissé, au sein du football africain, « des réseaux d’influence si denses et si efficaces qu’il peut agir à sa guise ». Cela lui a permis de faire avaliser par le comité exécutif de la CAF un contrat qu’il avait lui-même préparé avec le Français Lagardère, lequel a rétrocédé une partie de ces droits à la compagnie qatarie propriétaire de beIN SPORTS.
Doutes sur la gestion de Issa Hayatou
L’avocat Nasreddine Lezzar a décortiqué ces contrats. http://bit.ly/2iWv2qI. Selon lui, la démarche pêche par plusieurs défaillances graves : la durée du contrat, qui court jusqu’en 2028, la méthode utilisée, avec un contrat de gré à gré, sans recours à la concurrence. Selon le spécialiste du sport évoqué plus haut, le contrat est « forcément suspect » parce qu’il a été négocié par Issa Hayatou, sur qui pèsent de forts soupçons dans le cadre des enquêtes menées à propos de la gestion de la FIFA.
Sur les réseaux sociaux, où la parole est plus libre, les propos ne sont pas aussi prudents. Le nom de Issa Hayatou est souvent accompagné du mot corruption. « Les réseaux du président de la CAF restent omniprésents, mais quand ça va exploser, ça va être terrible », affirme un ancien haut dirigeant du football algérien, ajoutant : « il est impossible que le dernier contrat, qui va jusqu’en 2028, ne soit dénoncé tôt ou tard ». Il va dans le même sens que l’avocat Nasreddine Lezzar, qui est formel : « Seule une ‘’pluralité des offres’’ serait le signe d’une mise en concurrence de plusieurs soumissionnaires. L’attribution de ce méga contrat s’est faite de gré à gré. Le montant, aussi, n’a jamais été révélé », affirme l’avocat.
Montants « exorbitants » ? .. Pas si sûr
Mais ce volet CAF est très utile pour cacher l’incurie de la partie algérienne et la mauvaise gestion du dossier. Selon les informations de presse, beIN SPORTS aurait exigé de la télévision algérienne près de dix millions de dollars pour la diffusion de la CAN 2017 (1.35 milliards de dinars. Une somme qualifiée « d’astronomique » sur les réseaux sociaux, alors que la télévision algérienne parle, dans un communiqué, de « sommes exorbitantes exigées» par beIN SPORTS. Ces droits se situent à des niveaux qui « n’ont jamais été atteints auparavant ».
Cela donne libre cours au one-two-trisme. « Voilà comment tout un pays est pris en otage pour ne pas avoir su défendre ses intérêts », peut-on lire sur un site, qui ajoute que la CAF « impose son diktat ». Le site Tout sur l’Algérie de son côté que cela se fait avec « la complicité de certains présidents de fédérations ». Pour TSA, « les pays de l’Afrique du Nord sont les principales victimes de ce chantage médiatique ». (http://bit.ly/2jMkmLs)
Amateurisme
Un ancien haut responsable de la télévision algérienne tient un discours totalement différent, au moins sur deux points. D’une part, il soutient que les droits télé du football grimpent chaque année et atteignent de nouveaux records à chaque négociation. D’autre part, il affirme qu’une chaine de télévision de l’envergure de l’ENTV « peut rentabiliser un investissement de ce niveau ».
Pour le football, « tout est négociable », dit-il. « En Algérie, il est possible de trouver une multitude de sponsors pour les matches, les émissions concernant la CAN, l’avant-match, l’après match, etc. », dit-il. Et même dans le cas, « peu probable », où la chaine de télévision en question ne peut pas rentrer dans ses frais, « cela peut entrer dans l’une des deux catégories suivantes : elle réalise une opération de prestige qui va lui apporter un public pour la suite, et cela fait partie de sa mission de service public. Après tout, c’est l’équipe nationale. Elle mérite qu’on perde un peu d’argent pour elle».
Ce petit pays si encombrant
Mais pour cela, elle doit se préparer bien avant l’échéance. « On ne négocie pas la retransmission d’une compétition une semaine avant le premier match. Cela se fait des mois, voire des années auparavant », dit-il. « Aujourd’hui, la retransmission de la coupe du monde 2018 en Russie devrait être bouclée, pour commencer à chercher les sponsors potentiels et calculer ce que ça peut rapporter. A partir de là, on peut définir un seuil de négociation », précise-t-il.
Un spécialiste de la communication n’hésite pas à parler « d’amateurisme ». Il est conforté par un ancien diplomate qui, tout en se montrant « outré » par l’omniprésence des Qataris, se demande si c’est la bonne attitude à adopter envers ce pays, que l’Algérie va souvent croiser dans les années à venir. « De l’attaque de Abdelmadjid Tebboune (ministre de l’habitat), contre la star d’Al-Jazeera, l’algérienne Khadidja Benguenna, il y a des attitudes difficiles à expliquer ». D’autant plus, ajoute-t-il, que « la coupe du monde 2022 se jouera au Qatar. Comment expliquer ce contraste alors que l’ancien Emir du Qatar était en visite privée à Alger la semaine dernière, ce qui montre bien que des relations différentes sont possibles ».