Pour Alain Gresh*, »la campagne pour le référendum et les deux jours de vote ont témoigné de l’état d’exception dans lequel vit le pays ». Les appels à voter non étaient assimilés, en effet, a un acte de haute trahison. Pourtant, rappelle-t-il, la nouvelle Constitution garantit théoriquement les libertés, toutes les libertés.
La Constitution sera donc adoptée. Son texte ne présente pas une grande différence avec celui qui avait été ratifié par référendum lors de la présidence de Mohammed Morsi (lire Nathalie Bernard-Maugiron, »La Constitution égyptienne est-elle révolutionnaire ?« , OrientXXI, décembre 2013). Quelques améliorations ici ou là, mais rien de décisif. Comme la précédente, elle consacre (et renforce) le rôle de l’armée et la place au-dessus du pouvoir politique, l’état-major ayant acquis le droit pour huit ans de choisir le ministre de la défense.
Sur la continuité en Egypte entre l’ancien régime, la présidence des Frères musulmans et le pouvoir militaire actuel, on lira Peter Harling et Yasser El Shimy, »L’Egypte en quête d’elle-même« , OrientXXI, 14 janvier.
Même sous Moubarak, il y avait des droits… constitutionnels
Mais le texte a, finalement, assez peu d’importance. Ainsi, la torture est-elle interdite, mais c’était déjà le cas dans tous les textes antérieurs, ce qui n’a jamais empêché son utilisation, qui s’est intensifiée dans la répression à grande échelle contre les Frères musulmans ; elle garantit aussi la liberté d’expression, mais les médias, publics comme privés, ne laissent pratiquement plus aucune place aux voix dissidentes ; elle proclame le respect du droit de toute personne arrêtée d’avoir accès à un avocat, mais les jeunes révolutionnaires emprisonnés en novembre et décembre n’ont pu le faire. Et le pouvoir trouve toujours des juges complaisants pour condamner tous les contestataires…
La campagne pour le référendum et les deux jours de vote ont témoigné de l’état d’exception dans lequel vit le pays. Le Caire, comme toutes les grandes villes, a été saturé d’affiches pour le « oui », alors que les militants qui distribuaient des tracts pour le « non » étaient systématiquement arrêtés (« Egypt : Activists Arrested for ‘No’ Campaign« , Human Rights Watch, 13 janvier), amenant Egypte forte, la formation de Abdel Monem Aboul Foutouh (un candidat qui avait obtenu près de 20 % des suffrages lors de la présidentielle de 2012), à se retirer de la campagne.
Durant les deux jours de scrutin, tous les journalistes ont pu témoigner que la propagande pour le « oui » se poursuivait jusque dans les bureaux de vote. Comme l’écrit Delphine Minoui, la correspondante du Figaro, « Egypte : le vote qui conforte les partisans de l’ancien régime« , 15 janvier :
« La grosse dame aux fausses lunettes Yves Saint Laurent a mis ses souliers vernis réservés aux fêtes de mariage. “Ceux qui votent non à la Constitution sont des terroristes !”, s’époumone-t-elle, en glissant fièrement son bulletin dans l’urne. Ce mardi matin, pour soutenir le référendum organisé par le chef des armées en faveur d’une nouvelle Constitution,
Hystérie et chauvinisme
Amina Adly Kasseb est une des premières à avoir trottiné jusqu’au lycée Abbas al-Akkad du Caire, transformé en bureau de vote. Dehors, des soldats en uniforme montent la garde, l’œil alerte, sous une farandole d’hélicoptères qui rasent le ciel. (…) Dans ce quartier populaire du Caire, une petite foule en émoi piétine le trottoir qui longe le bureau de vote le plus proche. “Rien, pas même la mort, ne m’empêchera de voter !”, martèle Abdel Aziz, la trentaine, un pin’s du général Sissi sur sa veste. “Oui ! Oui ! Oui !”, répondent à l’unisson les quelque vingt personnes qui font la queue. »Autant pour la neutralité des lieux de vote…
L’hystérie et le chauvinisme dominent désormais et « la guerre contre le terrorisme », chère au président George W. Bush, a trouvé ses généraux en Egypte. L’attentat de Mansourah du 24 décembre a servi de prétexte pour criminaliser les Frères musulmans, accusés d’être une organisation terroriste ; ses membres deviennent passibles de lourdes peines, voire la peine capitale. Comme l’attentat a été revendiqué par le groupe djihadiste Ansar Beit-Al Maqdes (très critique des Frères) les services de sécurité ont publié un faux communiqué de l’organisation affirmant qu’ils avaient agi » en riposte aux actes de violence contre les Frères musulmans », une manière d’incriminer la confrérie. Inutile de dire que les médias égyptiens ont repris ce mensonge sans broncher (« The Ramifications of Designating the Muslim Brotherhood as Terrorist Group« , 14 janvier).
Le vote sur la Constitution met un terme à plusieurs scrutins (constitutionnels, législatifs et présidentiel) tenus depuis 2011 qui, pour la première fois dans l’histoire du pays, avaient permis l’expression de la diversité et du pluralisme de la société égyptienne. Les Egyptiens se contenteront-ils de la mascarade des 14-15 janvier ? On peut en douter.
(*) Journaliste et écrivain, Alain Gresh a publié plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient dont nous citerons De quoi la Palestine est-elle le nom? (Editions Les Liens qui libèrent, 2010), Israël, Palestine : Vérités sur un conflit (Editions Fayard, 2001) et Les 100 portes du Proche-Orient (avec Dominique Vidal, Éditions de l’Atelier, 1996).
Cet article a paru initialement sur le blog de l’auteur Nouvelles d’Orient. (*) Nous republions les articles d’Alain Gresh sur Maghreb Emergent avec son aimable autorisation.
Les intertitres sont de Maghreb Emergent.