La semaine économique commentée par El Kadi Ihsane.
La scène se déroule dans le jardin d’un hôtel de luxe à Djakarta au début de l’automne 1997. Il y a là trois ou quatre ministres de l’OPEP et leurs conseillers sirotant boissons et papotant sur la conjoncture en prévision de l’ouverture de la session ministérielle du cartel le lendemain. Au cœur des soucis du moment, la production vénézuélienne. Elle est trop au dessus du quota du pays que ne dirige pas encore Hugo Chavez. Les saoudiens, mais aussi les algériens, veulent faire rentrer Caracas dans le rang. A ce moment précis de la discussion la télévision dans un coin du patio, diffuse l’interview du ministre vénézuélien à son arrivée à l’aéroport de Djakarta. Silence des présents. «Je suis juste de passage ici. Ma véritable destination est Kyoto » ou va se dérouler le sommet sur l’environnement. Le Venezuela a fait fort. C’est l’instant précis ou le marché pétrolier va s’effondrer les semaines suivantes. Non pas parce que les traders n’ont pas apprécié la déclaration du ministre vénézuélien. Mais parce qu’un certain Ali Al Naïmi a blêmit devant autant de désinvolture d’un partenaire déjà controversé dans le cartel. Al Naïmi faisait partie des ministres dans le patio de l’Hôtel. Il s’est retourné vers Youcef Yousfi son homologue algérien et lui a juré que ce ministre vénézuélien viendrait en rampant à Riad dans trois mois pour réduire pour chercher une solution qui sauve les prix du pétrole. A Djakarta le lendemain, l’OPEP décidait, à la surprise générale, et sur pression saoudienne, une hausse de son plafond de production. Un mois plus tard débutait la crise asiatique et la baisse amorcée des cours du brut devenait brutalement une chute. L’Arabie Saoudite a mis à genou le Venezuela dans une guerre éclair de trois mois. Qui n’a pas laissé les traces de celle de 1985, lancée contre le brent de la mer du nord. Mais ce récit authentique en dit long sur ce qui peut déclencher une réaction saoudienne en rupture avec la politique de préservation des cours qui a été la doctrine dominante de l’OPEP depuis sa création.
Al Naimi a déclaré la semaine dernière que l’Arabie Saoudite ne bougerait pas pour le prix du baril même s’il descendait à 20 dollars. 17 ans après Djakarta, l’inamovible ministre de l’énergie saoudien ne vise plus le Venezuela. Mais contre qui l’Arabie Saoudite s’est elle lancée cette fois en guerre en maintenant ses dix millions de barils jour intacts sur le marché alors que les prix du brut dévissent ? La Russie et l’Iran comme cela s’est écrit un peu trop vite ? Le Brésil et les nouveaux producteurs d’hydrocarbures conventionnels chers ? Ou, il faut bien l’envisager ainsi, le pétrole non conventionnel américain qui, dans le sillage du gaz de schiste, est entrain de chambouler la donne énergétique mondiale. C’est la question qui hante les pairs saoudiens de l’OPEP. Car selon que l’objectif de Riad soit de cours ou de long terme, l’amplitude des dégâts se modifie comme sur Richter, une échelle exponentielle. Et à fin décembre 2014, Alger, pas plus que Abuja ou Téhéran, ne peuvent jurer que Riad n’a pas décidé de restaurer sa place monopolistique de grande puissance pétrolière et d’en payer le prix dans la durée. Si tel était le cas, cela veut dire que Al Naïmi dit vrai. Que les cours du brut vont durablement continuer de baisser, et tendanciellement demeurer bas. Ce n’est plus de l’activité tellurique, c’est du mouvement tectonique cataclysmique. Et c’est cela qui rend Abdelmalek Sellal soudainement si peu drôle. Plus les jours passent, plus s’amenuise à Alger l’espoir qu’il ne s’agit là que d’un coup de semonce des Saoudiens pour rappeler qu’ils sont encore les patrons du marché. Que reste t’il alors à leur opposer pour les ramener à la raison ? L’enseignement que les guerres des prix n’ont jamais réussit à éliminer vraiment la production « parasite » hors OPEP. Le Brent de la mer du nord a survécut à la guerre de 1985. Et il faudra sans doute plusieurs années pour réduire l’industrie du non conventionnel aux Etats Unis. Parce que Washington peut décider de la soutenir de différentes manières (détaxation, crédit d’impôts…) pour laisser passer le blitz saoudien. Les investissements dont le cout prévisionnel du baril extrait dépassent les 50 dollars ne sont, certes, plus certains d’être rentables dans les trois prochaines années. Ils sont en voie d’être coupés par les compagnies pétrolières. La prochaine séquence de rareté de l’offre de pétrole se met en place. Elle prendra plusieurs années pour devenir effective. Sellal ne rit plus.
Abdelmalek Sellal et Zohra Derdouri devraient se parler plus souvent. Face au trou d’air budgétaire qui se profile le gouvernement a voulut se montrer réactif. Il a pondu une série de mesures d’économie des dépenses qui rappelle combien la réflexion est restée vieillotte au sein de l’exécutif. Mais il a surtout voulu rassurer sur sa capacité à relever le défi de la diversification économique, nécessaire pour sortir de la dépendance au carbone. Dans la petite liste des secteurs prioritaires de l’investissement futur s’est donc glissé l’acronyme TIC. Grande nouvelle. Le gouvernement le plus retardataire du monde arabe (hors Somalie) dans les technologies de l’information et de la communication se réveille à la brise numérique ! Mais voilà que la ministre en charge de ce secteur, désormais stratégique au dire du premier ministre, annonce que la certification de la signature numérique prendra deux ans pour sa mise en place. Comment faire des TIC une locomotive du développement si un projet aussi vieux et basique que celui de faire des transactions en ligne continue d’être interdit aux Algériens deux années de plus ? Zohra Derdouri n’était peut être pas au courant que son secteur avait bénéficié d’une promotion virtuelle. Sans doute que Sellal était occupé à scruter les déclarations de Al Naïmi.