La semaine économique commentée par El Kadi Ihsane.
L’opinion publique ne sait pas pourquoi les ministres sont choisis. Ni pourquoi ils s’en vont. C’est la règle sous Bouteflika. Mais dans la conjoncture du pétrole à faible prix, les changements sur au moins trois postes économiques clés – l’histoire (énergie), l’actualité (finances) et le futur (TIC)- méritent qu’on s’y arrête. L’Algérie ne sait plus exporter assez de volumes d’hydrocarbures et ne sait pas engager une transition énergétique. Elle ne sait pas mobiliser les capitaux qui soulagent le budget de l’Etat. Elle ne sait pas entrer dans l’ère numérique. Il y a encore deux ans, cela était soutenable. L’urgence étant de faire réélire Bouteflika coute que coute. Aujourd’hui les contraintes du long terme se sont rapprochées. La faible performance de l’amont pétrolier algérien et le refus de réduire le gaspillage domestique de l’énergie font déjà crise. L’incapacité du ministère des Finances d’inventer des mécanismes de mobilisation de ressources pour l’économie qui soient autre chose que de la fiscalité pétrolière n’indiffère plus personne dans le système. L’impossibilité encore en mai 2015 de commercer électroniquement pèse sur l’économie physique, sur la circulation routière, sur le budget de l’Etat in fine. Les trois changements à l’énergie, aux finances et aux TIC sont clairement des mesures anti-crise. Inutile de chercher des causes cachées. Les trois ministres en place ne faisaient pas l’affaire. Logiciels anciens. Ils étaient trop dépendants de l’instruction politique et sécuritaire pour pouvoir innover. Mohamed Djellab n’a pas été écarté parce que Moumene Khalifa a mis en doute sa gestion d’administrateur de Khalifa Bank. Le penser signifierait que Abdeslam Bouchouareb, Abdelmadjid Tebboune et Abdelmadjid Sidi Saïd aussi devraient quitter toute fonction publique en attendant de se disculper, ou pas, devant un tribunal, dans cette même affaire. Youcef Yousfi était un cadavre politique depuis décembre dernier et le début de la résistante de In Salah au gaz de schiste. Des commentateurs se sont dits surpris de son départ, parce que le ministre de l’énergie est connu pour « sa probité ». Glissement édifiant des critères. Ce qui, dans la sélection des cadres ministériels, était un prérequis évident, devient un avantage comparatif. Il est vrai aussi que Youcef Yousfi a succédé à Chakib Khelil. Son bilan ? Convalescence interminable de Sonatrach, appel d’offres infructueux sur les blocs, réforme manquée de la fiscalité pétrolière, projets en panne dans le renouvelable, distribution de carburant chaotique, récupération reportée des gaz torchés, pétrochimie au ralentie, et tentative de passage en force sur le gaz de schiste au risque de mettre en situation insurrectionnelle le sud du pays. Bien sur que Youcef Yousfi n’est pas corrompu. A-t-on le droit d’aspirer à plus ?
Dans les trois changements des postes économiques clés pour dans la prévention de la crise qui arrive, celui des finances est le plus surprenant. Non pas à cause de l’identité de Abderahmane Benkhalfa, mais à cause de ses déclarations de ces derniers mois. L’ancien délégué général de l’ABEF tiens sur les plateaux des médias, un discours de vérité. Sur la tutelle étatique sur les marchés, sur le niveau des subventions, sur la parité du dinar, sur le gel du marché financier, sur le rôle de la régulation. Abderrahmane Benkhalfa a même fait un éloge appuyé aux réformes du gouvernement Hamrouche sur RadioM. Un discours de réformateur qui n’aurait pas du le conduire à la fonction qu’il occupe depuis jeudi dernier. Sauf à considérer le premier paragraphe de cette chronique. La situation devient sérieuse. Mais alors le ministre Benkhalfa va-t-il réduire le niveau des subventions – en particulier énergétiques – pour réorienter les ressources de l’Etat vers le soutien à l’investissement productif ? Laisser glisser le dinar pour réduire l’écart de valeur avec le marché parallèle qu’il souhaite encadrer avec des bureaux de change légaux ? Va-t-il remettre en cause toutes les sources de blocages à l’entrée des capitaux étrangers en Algérie ? Benkhalfa a même proposé sur RadioM d’agréer la première banque marocaine Attijariwafabank – en souffrance chez Laksaci depuis près de 10 ans – en contrepartie de l’entrée dans son capital – Fonds national de l’investissement ? – afin notamment de faire profiter de son implantation africaine des exportateurs algériens. Plus que réformateur, révolutionnaire. Mais que vaudra ce discours – peut être alléchant pour ceux qui pensent que la bonne piste pour l’Algérie est de ce côté-là- lorsque Benkhalfa arrivera devant Sellal avec une esquisse de plan d’action ? Pas grand-chose. Pourquoi. Parce que la première vertu de la réforme est d’être un mouvement collectif, une conviction politique adossée à une légitimité populaire. Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec résiste depuis de longs mois à l’Eurogroupe grâce à cela. Benkhalfa doit probablement apprendre très vite à nous expliquer pourquoi sa vision du changement n’est pas applicable sous Bouteflika-Sellal. C’est un excellent communicateur. Il saura le faire.
C’est finalement Zohra Derdouri qui résume le mieux, symboliquement, l’impasse de la gouvernance obsolète des années Bouteflika. La future ex-ministre des TIC était, mardi dernier, face à un dilemme protocolaire. Elle était invitée à deux évènements de son secteur quasi en même temps. La célébration des 40 années de Ericsson en Algérie et le lancement par Icosnet de Vazii une application algérienne concurrente de Viber (Israël). Plusieurs acteurs du secteur se sont arrangés pour honorer les deux invitations. La ministre a promis de venir chez Icosnet. Elle n’est allée que chez Ericsson. Dans les 40 ans d’Ericsson, pourtant, il y a un très long bilan de contrats de fourniture d’équipements aux opérateurs publics et privés du secteur IT algérien. Qui n’a toujours pas évolué en autre chose qu’une relation commerciale. Parfois sulfureuse. C’est presque l’archéologie de la relation d’affaire entre l’Algérie et ses fournisseurs. Dans Vazii et l’évènement de ICOSNET, il y a l’avenir de la recherche et développement qui peut changer le statut de l’Algérie dans le monde. Zohra Derdouri ne l’a pas vu. Elle témoigne du temps politique du gouvernement. Le temps court.
* Cet Article a été publié le 18 mai 2015 sur le quotidien El Watan.