Par Hicham Rouibah, Doctorant en socio-économie, Institut de Recherche pour le Développement, affilié à l’université d’Oran 2 et de Paris 7.
En juillet dernier, et en application de la Loi des Finances 2020, le président Tebboune avait ordonné d’exploiter les gisements miniers de Ghar Djebilat et d’Oued Amizour. Depuis, trop de bruit raisonne autour de cette décision. Je connais relativement le dossier du gisement d’Oued Amizour depuis mes premières années à l’université où j’étais en stage dans une entreprise chinoise en 2010 « Shaolin Hydraulique ». Celle-ci a été invitée par un autre groupe compatroite NCF (China Non ferrous Metal Industry’s), afin de participer, en sa qualité d’actionnaire, aux explorations avec l’australien Terramin. Ce qui témoignait jadis de l’incapacité technique et financière de la société australienne à assumer le projet ; une entreprise qui jouit de la réputation de son pays et qui décroche pour la première fois un permis d’exploitation[1]…Mais ceci est un autre sujet. Bref, à l’époque j’avais pu mettre la main sur des documents importants et avais pris plusieurs notes que j’essaye de présenter succinctement dans ce texte. En somme, le projet minier d’Amizour porte une « balance bénéfice – risque » déficitaire à la fois sur le plan écologique et économique :
1- Ecologique : désastre sanitaire et environnemental
Il est fondamental de comprendre que dans l’exploitation des mines, notamment dans les pays à faible industrialisation, la majorité écrasante de la matière extraite est un rejet généralement à haute teneur d’acides. Dans le cas d’Amizour, il n’y a que 7% de métaux à exploiter entre Zinc, Plomb, Cuivre et Fer ; soit 93% sera une déchèterie toxique. Ces rejets transiteront sans doute, la plupart des cas, par le sol, l’eau et l’air ; c’est-à-dire très difficiles à évincer sans dispositifs rigoureux de traitement. C’est d’ailleurs ce que le groupe canadien Breakwater Resources avait exigé en 2001 en essayant de renégocier les charges d’exploitation, en l’occurrence la veille environnementale, ce qui a causé une mésentente avec les autorités algériennes et un abandon de la société nord-américaine [2]. On comprend par-là que le pouvoir renonce aux investissements lourds sur les mesures sanitaires. En effet, il s’agit d’infrastructures très coûteuses (digues de retenue, usine de traitement des eaux, recouvrements, etc.) pour faire face aux différents types de rejets et résidus (concentrateurs, stériles, boues de traitement, etc.). C’est ce que rapportent les deux jeunes ingénieurs, Azri et Zerara, de l’université de Bejaïa dans leur étude de cas sur la mine d’Amizour[3].
L’OMS et Global Health Observatory nous ont mis en garde sur les conséquences de l’exploitation du Plomb et du Zinc, de manière directe ou indirecte [4]. Directe par l’air ou l’eau pollués ; indirecte par les produits agricoles ou les animaux de consommation (bétail, volaille, poissons) contaminés. La liste des maladies publiée par ces deux structures internationales est effrayante : dyspnée, nausées chroniques, asthénie, myalgies, affaiblissement du système immunitaire, indigestion et problèmes intestinaux, irritations de la peau, anémie, complications respiratoires, affection cutanée et surtout des cancers qui atteignent principalement les enfants et les femmes enceintes.
En 2017 au Pérou, précisément à Pasco, des anciennes mines de Plomb ont causé une mortalité historique des enfants suite à la contamination de l’air par les particules de Plomb [5]. Même dans les pays les plus développés comme la Norvège ils ont subi les conséquences de la pollution d’eau à cause de l’exploitation du Zinc [6]. Ça ne s’arrête pas là, bien évidement que les sous-sols et la végétation y sont impactés aussi. L’excellent article de Chibuike et Obiora « Heavy Metal Polluted Soils: Effect on Plants and Bioremediation Methods » est très bien détaillé sur ce point[7]. De plus, cette pollution peut durer des décennies, en Zambie par exemple où les conséquences perdurent depuis un quart de siècle ont causé la contamination d’un tiers de la ville de Kabwe [8]. Même en France il y avait un scandale sanitaire autour des mines [9] et plusieurs plaintes des habitants touchés sont en cours [10].
Remarque : je laisse de côté la question des expropriations de terrain et de déplacement des familles parce qu’elle a une forte dimension symbolique pas commode à évaluer. Elle requiert une enquête de terrain.
2- Economique : faible rentabilité et régime rentier
Dans un rapport publié par l’Agence nationale des activités minières en 2013, le total des ressources de la mine d’Oued Amizour s’élevait à 68 millions de tonne (mt) avec un taux de 1,1 % de Plomb et de 4,6 % de Zinc. Pour être plus précis, il y a 30 mt de minerais exploitables rapidement (P1) et il n’y a que 5,41 mt de Zinc et 1,39 mt de Plomb [11]. Sachant que sur le marché mondial c’est plutôt le Plomb qui est demandé, le Zinc connait une dégringolade depuis quelques années. Outre son abondance sur terre et la rude concurrence mondiale qui le caractérise, il y a bien d’autres raisons animant la chute du Zinc. Il y a fort à parier que ce point est l’une des raisons du retard dans l’entame du projet, car les australiens avaient compris que le Zinc n’allait pas leur rapporter grand-chose, c’est pourquoi Terramin avait du mal à lever des fonds ; les marchés financiers ne sont pas dupes. Comme le démontre le rapport de MMG de 2017 actualisé en février 2020 « BMO Global Metals and Mining Conference », le Zinc n’est pratiquement plus rentable voire à taux négatif dans la conjoncture actuelle où les courbes des coûts d’exploitation s’entrecroisent avec celles de la vente [12]. Dans une interview donnée en septembre 2012, Ronald Wildmann ingénieur et investisseur au BI Physical Commodity explique que les coûts marginaux de production du Zinc, du Nickel et d’Aluminium sont très élevés car les infrastructures coûtent de plus en plus chères et consomment beaucoup d’électricité et d’eau [13] [je peux comprendre pour l’électricité parce qu’on a le gaz mais pour l’eau c’est très problématique. Pour l’agriculture on nous dit souvent qu’on en n’a pas assez d’eau]. Par ailleurs, la Chine, premier producteur et consommateur, avait totalement inversé la courbe des prix du Zinc sur le marché international. De 2007 à 2017 elle a pu doubler sa production et multiplier les partenariats d’exploitation notamment au Kazakhstan et en Corée du Nord pour répondre aux besoins de ses industries en particulier l’automobile l’électroménager et les télécom.
De toute façon, il est très difficile de miser sur les métaux (bruts) non ferreux car ils sont très fluctuants sur le marché et subissent le rythme des valeurs cycliques [14]. On l’aurait compris le Zinc n’est plus prometteur, du moins pas pour le moment. Hormis la compensation de l’importation du Zinc brut pour la demande nationale [15], il faut oublier l’idée d’exploiter et d’exporter aussitôt les 100 à 150 000 tonnes/an d’Amizour.
Les regards seront donc tournés vers le Plomb qui, à mon avis, est la principale cible des australiens à Amizour. Son exploitation annuelle maximale est estimée à 40 000 tonnes pour en moyenne 30 ans d’extraction -en partant de l’hypothèse optimale que les conditions d’exploitation demeureraient linéaires, ce qui est techniquement très peu probable.
Contrairement au Zinc, la consommation du Plomb ne dépend pas principalement de la demande chinoise, les USA et les pays de l’Europe occidentale sont de gros consommateurs en l’occurrence l’Allemagne, la Grande Bretagne et la France pour les projets de « sortie du nucléaire » qui requièrent, entre autres, des chantiers de radioprotection à base de Plomb à l’image du fameux MYRHA (Multi-purpose hYbrid Research Reactor for High-tech Applications)[1]. Cette forte demande ne protège pas la cadence de production du Plomb qui se voit menacée par les industries de recyclage tenues essentiellement par les asiatiques (Inde, Chine, Japon et Corée du Sud) avec un taux dépassant les 50% de la consommation [16].
Le plomb, à l’instar de tous les métaux pratiquement, serait davantage rentable lorsqu’il est vendu traité ou (r)affiné, mais comme l’Algérie ne possède pas de fonderies ni de structures de transformations métallurgiques il sera vendu brut donc moins cher, exactement le même scénario du pétrole. Ce déficit industriel avait laissé les gouvernements successifs dubitatifs sur l’exploitation effective d’Amizour -et bien d’autres sites- car les études sur son potentiel minier existaient depuis des décennies ; la prospection étant faite par l’Office National de Recherche Géologique et Minière (ORGM) en 1989. Le pouvoir en place ne voulait pas revivre le cas de la mine d’El Abed, à Tlemcen, où le Zinc et le Plomb étaient acheminés vers le Maroc afin d’y être traités et réexportés [17] [c’est d’ailleurs l’une des motivations marocaines pour prendre Tindouf car ils sont bien avancés en exploitation minière, ils veulent bien mettre la main sur Ghar Djebilat].
Sans entrer dans les détails des types d’exploitation (dissolution, lixiviation, tunnels, foudroyage …) que je laisserai aux géologues le soin de commenter, le coût global dans ce type de mine est en moyenne autour de 35% du prix final au moins pour les 10 premières années. Ceci pour couvrir les coûts d’exploitation : l’amortissements des infrastructures, des équipements, la logistique et autres consommations intermédiaires. Si on prend l’exemple du Plomb qui est plus demandé que le Zinc, sur un Kg brut au prix moyen du marché à 1,84 $ vous n’aurez que 1.20 $ net vendeur. Cette estimation -évidement approximative car rien n’est figé dans les évaluations économiques- nous emmène à un profit annuel de 76 millions $ pour l’exportation du Plomb à partager avec les Australiens, soit environ 27 millions $ pour l’Algérie.
En effet, comme la mine d’Amizour est à 65% une propriété australienne (Terramin, Western Mediterranean Zinc) [18], elle sera la principale porteuse de la vente des matières premières extraites. La société a son réseau fournisseurs grâce aux carnets des groupes miniers australiens leaders de l’exportation mondiale. En attendant un « plan de fiscalité minière » de l’ENOF (Entreprise nationale des produits miniers non ferreux et des substances utiles), l’Algérie ne sera que le grenier qui offrira ses ressources naturelles bradées au péril de la santé des populations et de l’environnement. Ça sera donc une logique rentière comme pour les hydrocarbures avec des conséquences écologiques et humaines encore plus grave car le travail des mines est reconnu comme le plus dangereux au monde[19]. C’est un exemple vivant de ce qu’on appelle une « fuite vers l’avant » qui a toujours comme trajectoire la recherche active de la rente. On ne doit pas exploiter que pour avoir de la devise et la dépenser dans d’autres importations et salaires de fonctionnaires, on exploite parce qu’on a des projets de développement à bâtir et des industries à installer… telle est la bonne logique économique.
D’autre part, la politique du « mirage de la promesse » arrive toujours à gagner les foules[20]. On parle de 15 000 emplois et de salaires de 10 millions centimes par ouvrier. Une vraie supercherie pour amadouer opposants et chômeurs :
D’abord, parce que déjà le projet de l’usine de traitement de métaux prévue initialement à Amizour est tombé à l’eau et c’est la transformation industrielle qui fait employer davantage que l’extraction. Il faut noter que les mines sans industries d’exploitation ne créent pas beaucoup d’emploi (à peine 1% de la main-d’œuvre mondiale travaille dans les mines). Et lorsqu’une mine fait employer beaucoup d’ouvriers ceci est un très mauvais signe, c’est-à-dire que le site a une grande carence en matériels techniques (machines) qu’on substitut par des personnes sur des postes dangereux et coercitifs. C’est le cas des petites mines rurales dans l’Europe pendant la révolution industrielle et actuellement en Amérique latine, en Asie orientale et en Afrique australe[21]. Ce qui crée réellement des emplois grâce aux mines ce sont les complexes industriels, sidérurgies et métallurgies d’exploitation directe ou indirecte (automobile, batteries, essence, fusibles, imprimerie, revêtement anti-corrosion, isolation radiation, couverture BTPH, fabrique plomberie, …). Il est presque inutile de vous rappeler qu’on n’a pratiquement pas d’industries en Algérie et avec la mine d’Amizour il faut se contenter de quelques 300 à 400 postes d’emploi précaires.
Puis, la question des salaires élevés pour les travailleurss algériens n’est qu’un rêve. Plusieurs collaborations étrangères existent en Algérie (chinois, turcs, français, allemands, …) et les ouvriers algériens ne sont pas pour autant très bien payés, bien au contraire ils sont vus comme une main-œuvre bon marché en vue du SNMG (Salaire National Minimum Garanti) en Algérie. Les entreprises étrangères qui s’installent dans les pays sous-développés sont justement intéressés par les coûts bas de la main-d’œuvre et se plient, généralement, à la législation du travail du pays concernant la rémunération.
3- Doit-on rappeler les défaillances technico-juridiques ?
L’Algérie est une « jungle » en termes de droits de propriété, de mesures d’hygiènes, de qualité et d’environnement, d’évaluation d’externalités négatives, de coûts sociaux, etc. Croyez-vous que les autorités qui peinent à empêcher les déchets ménagers de finir dans les rivières et la mère seraient-elles capables d’empêcher l’infiltration du Zinc et du Plomb dans les sols et les nappes phréatiques ?
Ce type de projet passe par une publication officielle d’un « guide méthodologique appliqué à la gestion des sites et de l’environnement ». Tous les pays qui se respectent le font. Je vous mets en bibliographie l’exemple du centre BRGM en France qui a été mandaté par le ministère de l’environnement pour faire un rapport sur l’exploitation du Plomb [22].
Une étude sur les répercussions locales selon la socio-géographie de la région doit être faite par les universitaires et ingénieurs sans attendre les autorités. Le grand public doit être éclairé même s’il y avait déjà une étude qui a été faite. L’étude pour le compte de l’entreprise et/ou des autorités doit d’abord être publiée puis relue par des citoyens experts. In fini, il ne faut surtout pas se taire parce qu’il y a un beau document qui a été rédigé car après tout c’est le concret sur le terrain qui prime ; la santé des populations et de l’environnement ne tient pas à des promesses verbales ou écrites.
Dans la logique démocratique, sans vraie séparation de pouvoirs, une justice indépendante, des médias professionnels et objectifs, un contrôle citoyen sur les décisions politiques … il serait très difficile voire impossible de réussir des projets d’investissement public car dans la plupart des cas ce n’est qu’une démarche de maintien au pouvoir par la rente !
Références :
[1] https://www.elwatan.com/pages-hebdo/sup-eco/vers-un-desastre-minier-a-oued-amizour-avec-un-petit-partenaire-01-10-2007
https://maghrebemergent.net/le-51-49-a-lepreuve-de-la-mine-de-zinc-de-oued-amizour/
[2] https://www.africaintelligence.fr/industrie-miniere_exploration-production/2006/03/01/le-zinc-de-oued-amizour-trouve-preneur,18088062-art
[3] http://www.univ-bejaia.dz/jspui/handle/123456789/6126
[4] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/lead-poisoning-and-health
https://www.lenntech.fr/francais/data-perio/zn.htm#ixzz6jk5beFBB
[5] Mortalité d’enfants au Pérou à cause du Plomb :
https://fr.euronews.com/2017/06/23/des-enfants-meurent-du-plomb-etat-durgence-au-perou
https://initiative-multinationales.ch/exemple/une-mine-contamine-des-enfants-aux-metaux-lourds/
[6]http://www.fao.org/3/ap671f/ap671f.pdf
[7]https://www.hindawi.com/journals/aess/2014/752708/
[8]https://www.sciencesetavenir.fr/sante/pollution-au-plomb-en-zambie-25-ans-apres-la-fermeture-de-mines-selon-hrw_136545
[9] https://www.francetvinfo.fr/sante/environnement-et-sante/pollutions-de-3-500-anciens-sites-miniers-francais-enquete-sur-un-scandale-sanitaire_2176625.html
[10]http://lyon.tribunal-administratif.fr/A-savoir/Communiques/Pollution-des-sols-causee-par-l-exploitation-de-mines-de-plomb
[11]http://minerals.usgs.gov.minerals/pubs/country/2013/myb3-2013-ag.pdf
[12]https://www.mmg.com/wp-content/uploads/2020/02/Feb-2020-BMO-MM-Conference-1.pdf
[13]https://www.letemps.ch/economie/lexploitation-metaux-nest-plus-rentable-aux-prix-actuels
[14]http://www.mineralinfo.fr/ecomine/zinc-marche-fortement-deficitaire-en-2017
[15] Importé de France, de qualité médiocre puisque la France elle-même achète des Pays-Bas et de Belgique : http://www.mineralinfo.fr/sites/default/files/upload/documents/commerceexterieurfrancemetauxalcuznpbcoti141029_0.pdf . La consommation de l’Algérie avait triplé entre 2014 et 2020, passant de 21 à 100 millions $ :
https://fr.actualitix.com/pays/dza/algerie-zinc-importations.php
https://www.radioalgerie.dz/news/fr/article/20200708/195952.html
[16]https://www.planetoscope.com/matieres-premieres/427-production-mondiale-de-plomb.html
[17] Leveau Rémy. Grimaud (Nicole) – La politique extérieure de l’Algérie, 1962-1978. In: Revue française de science politique, 35ᵉ année, n°5, 1985. pp. 931-934;
[18]https://www.terramin.com.au/project/tala-hamza-project/?lang=fr