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Face à la chute du cours des hydrocarbures, quelques propositions pour la relance de l’économie algérienne (contribution)

Par Yacine Temlali
mai 18, 2015
Face à la chute du cours des hydrocarbures, quelques propositions pour la relance de l’économie algérienne (contribution)

Dans cette contribution le Pr Abderrahmane Mebtoul* réitère ses propositions pour éviter que la chute des prix du brut n’impacte l’économie algérienne avec la même force qu’en 1986.

 

 

Un remaniement du gouvernement a eu lieu en Algérie mais sans vision stratégique, il sera sans effet. Tant sur le plan mondial que sur le plan interne, l’on se comporte comme un malade sortant de l’hôpital juste après avoir réchappé d’un infarctus, sans avoir changé ni son régime alimentaire ni son mode de vie, sans même avoir fait les examens nécessaires pour vérifier qu’il ne court plus de risque à court terme.

Pour l’Algérie, s’imposent des objectifs stratégiques et une gouvernance renouvelée, sans quoi les replâtrages organisationnels, tant institutionnels que ceux opérés au sein des entreprises, resteront sans résultats. Pour ne pas revivre les impacts de la chute des cours du pétrole en 1986, des ajustements économiques et sociaux douloureux seront nécessaires entre 2015/2020. Ils seront encore plus douloureux si l’on ne réalise pas une transition maîtrisée hors rente au-delà de 2020.

Quelles solutions pour réaliser une telle transition ? 

1. Créer une cellule de crise regroupant un représentant de chaque département ministériel, avec des experts indépendants, sous la coupe du Premier ministre, afin de prendre des décisions en temps réel.

2. Pour une cohérence globale, il faut un grand ministère de l’Economie nationale et un grand ministère de l’Education nationale intégrant la formation socioprofessionnelle, avec plusieurs secrétariats d’Etat techniques. Ceci est nécessaire pour éviter ces ministères dont les missions se télescopent.

3. Revoir le fonctionnement de notre diplomatie en mettant l’accent sur la dynamisation de la diplomatie économique, au point mort, sans laquelle la diplomatie politique a un impact limité, et utiliser avec précaution les réserves de change, support de la valeur du dinar. Pour le Fonds de régulation des recettes, il serait souhaitable à terme, pour plus de transparence dans la gestion, qu’il soit supprimé, les lois de finances devant être élaborées sur la base du prix moyen du marché, quitte à verser les excédents de recettes dans un compte pour les générations futures.

4. Geler les projets non prioritaires qui n’ont pas d’impacts économiques et sociaux, à l’instar des tramways dans les régions à faible densité démographique. L’autoroute des Hauts-Plateaux doit éviter les surcoûts de l’autoroute Est/Ouest (prévue à 17 milliards de dollars et qui coûtera finalement plus de 13 milliards de dollars sans être encore terminée).

5. Eviter de voir l’ennemi extérieur partout alors que les réformes structurelles supposent une nette volonté politique interne de changement. Il faut analyser objectivement l’impact l’Accord d’association avec l’Europe et l’éventuelle adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (85% la population mondiale et 97% des échanges mondiaux).

6. La majeure partie des importations proviennent de la dépense publique via les administrations et entreprises publiques ou via des commandes aux opérateurs privées. Il y a urgence de revoir ce mode de gestion où, selon un rapport de la Banque mondiale, les surcoûts varient entre 25 et 30% de plus par rapport aux normes internationales. Ayant été haut magistrat à la Cour des comptes entre 1980 et 1983, je dirais qu’il y a lieu impérativement de la réhabiliter cette institution.

7. Eviter que SONATRACH ne concentre ses investissements en s’autofinançant au détriment des autres secteurs de l’économie nationale accentuant ainsi la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures. Toute décision stratégique concernant l’énergie ne peut relever seulement de Sonatrach ou du ministère de l’Energie mais, selon la loi en vigueur, du Conseil national de l’énergie.

8. Ne pouvant continuer à subventionner sans ciblage (subventions et transferts sociaux représentent 27-28% du PIB), les subventions et transferts sociaux doivent être transitoires doivent être budgétisés par le Parlement.

9. Favoriser l’économie d’énergie (efficacité énergétique) qui permet d’économiser 20% de l’énergie consommée, notamment pour le BTPH et le transport.

10. Redynamiser la privatisation comme facteur de développement, le secteur privé national et international créateur de richesses ne pouvant être assimilé à des rentiers à prédateurs. Le but est de densifier le tissu productif, y compris les services marchands qui sont créateurs de valeur, et tisser avec tous les partenaires étrangers des co-partenariats gagnant/gagnant misant essentiellement sur une balance positive pour l’Algérie tant en devises que par le transfert technologique et managérial.

11. Donner une impulsion à l’agriculture en revoyant le système du foncier, les moyens et techniques modernes et en développant les unités de stockage comme facteur de régulation, corrélées avec la production saisonnière agricole, et ce, afin d‘éviter la spéculation sur les prix.

12. Développer le tourisme, l’Algérie ayant de grandes parentalités, et revoir la gestion des ports car il est scandaleux de voir des dizaines de bateaux en rade et l’Algérie payer annuellement des surestaries se chiffrant en millions de dollars.

13. Il y a urgence de réformer le système financier afin qu’il soit un véritable partenaire économique pour les entreprises. Il faut aussi imaginer d’autres modes de financement comme le leasing, le crédit-bail, et lever la contrainte sur le foncier, avec toutes ses utilités ainsi que les contraintes à la mise en œuvre d’affaires par une lutte sans merci contre la bureaucratie.

14. Tout en se confirmant aux règles internationales, le marquage fiscal peut être utilisé temporairement, au moyen d’un étiquetage indélébile, et soumis à impôt indirect par le biais d’une « taxe intérieure de consommation». Mais ne doivent être concernés que les produits tels que le tabac, les boissons, les produits nocifs à la santé et ceux de la contrebande.

15. Délivrer des registres de commerce à partir d’une taxe forfaitaire annuelle pour l’ensemble des marchands ambulants, ceux que l’on nomme improprement les « trabendistes » alors qu’ils sont de véritables entrepreneurs (étude de marché, coût de transport, cours des devises, etc.). Le paiement de l’impôt direct est le signe d’une plus grande citoyenneté, les impôts indirects étant une solution de facilité. A ce titre, tous les fellahs doivent payer un impôt forfaitaire en attendant l’instauration d’un fichier national pour leurs livraisons aux grossistes qui prennent souvent la plus grande marge.

16. Le crédit à la consommation doit être maîtrisée afin d’éviter l’endettement et, par la suite, en cas de chute durable du cours du pétrole, une crise immobilière. Cela peut concerner, dans le court terme, les nouvelles unités dont le taux d’intégration varie entre 10 et 15% mais dont le résultat d’exploitation prévisionnel est positif, sous réserve d’un engagement écrit d’arriver – au maximum au bout de quelques années – à un taux d’intégration de 40% ou d’avoir une balance devises excédentaire pour les exportateurs.

17. Dans le même esprit, concernant la fiscalité, revoir les modalités d’application de la taxe sur les superprofits contenues dans la loi des hydrocarbures de 2013 afin d’attirer les investisseurs étrangers car à un cours de 70-80 dollars, elle n’est plus attractive.

18. Alléger la règle des 49/51% pour les PMI/PME avec l’étranger pour les activités non stratégiques (à lister), en introduisant la minorité de blocage d’environ 30% afin d’éviter certaines délocalisations et l’obligation d’un transfert technologique, managérial et d’une balance devises positive.

19. Faire le bilan du crédit documentaire Crédoc qui n’a permis ni de limiter la facture d’importation ni de dynamiser l’appareil productif. Selon le bilan officiel de la Banque d’Algérie, la sortie de devises pour les importations de biens et services a été, en 2014, de 71,14 milliards de dollars (11,70 milliards pour les seuls services), sans compter les transferts légaux de capitaux des firmes étrangères, alors que les recettes de Sonatrach ont été de 58,34 milliards de dollars avec un cours moyen pour 2014 de 85 dollars. Il s’agira donc de réintroduire le Remdoc pour certaines petites et moyennes entreprises et d’adapter les règles aux besoins du tissu économique algérien au cas par cas.

20. Afin de limiter la sortie de devises du poste services au niveau de la balance des paiements, il faut – en partenariat avec les étrangers – favoriser la création des bureaux d’études d’engineering nationaux complexes pluridisciplinaires, sans lesquels il sera impossible d’atteindre le taux de croissance de 9-10% sur plusieurs années, taux nécessaire pour éviter des tensions sociales à terme.

(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management stratégique.

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