Le professeur Abderrahmane Mebtoul s’étend, dans cette contribution, sur les perspectives moroses de l’économie algérienne avec la baisse du prix du brut, l’aggravation du déficit budgétaire et le maintien des importations à des niveaux inquiétants.
1. Le 21 janvier 2015, dans un contexte de baisse des cours pétroliers, le ministre des Finances avait écarté l’idée d’une loi de finances complémentaire lors d’une audition devant la commission des affaires économiques et financières au Conseil de la nation. Il espérait sans doute un retour à un prix du baril supérieur à 90 dollars comme ceux qui président horizon 2020/2025 un baril à 140 dollars à prix constants 2015.
Les fondamentaux sont la croissance de l’économie mondiale, notamment celle des pays émergents, actuellement en berne, la future structuration de l’économie mondiale et les enjeux géostratégiques, les spéculations financières n’étant que les conséquences et non les déterminants. Selon mes informations auprès d’experts de l’AIE, le pic énergétique, si pic il y aura, n’est pas prévu avant 2025/2030. Les calculs des ingénieurs algériens semblent hasardeux. Ils ignorent les mutations énergétiques mondiales et partent d’un modèle de consommation énergétique linéaire alors que la structuration du nouveau modèle de consommation énergétique mondial va vers un bouquet énergétique (mix énergétique) qui devrait subir de profondes modifications structurelles, sans compter les nouvelles technologies qui abaisseront les coûts des énergies traditionnelles et l’apparition de nouvelles énergies. Il s’agit aussi d’un faux calcul à prix courants qui n’a aucun sens économique. 25 dollars le baril selon les tableaux réactualisés de l’AIE en termes de parité de pouvoir d’achat mondial (évolution des prix de production et de consommation, évolution de la cotation du dollar, de l’euro) est l’équivalant de plus de 90 dollars le baril fin 2014 à prix constants. C’est comme votre salaire : 2000 dinars algériens en 1974, au moment où la valeur du dinar était plus forte que le franc français, équivalent, en termes de parité de pouvoir d’achat, à plus de 250.000 dinars 2015.
2. Les principaux déterminants du niveau et de l’évolution du prix d’équilibre budgétaire sont la politique de taxation de la rente, le niveau d’inflation, l’évolution du taux de change et, bien entendu, le niveau des dépenses publiques. Ainsi, pour rééquilibrer les finances publiques, l’on peut combiner une baisse des dépenses publiques, une hausse de la fiscalité et une dépréciation de la monnaie. La baisse du prix du pétrole, si l’on continue à ce rythme de la dépense publique et si le cours du pétrole devait se maintenir entre 2015/2020 en dessous de 80 dollars le baril, devrait dégrader encore davantage les finances publiques et les comptes externes du pays à terme.
Cependant, l’Algérie peut mobiliser l’épargne accumulée au cours de la période passée de hausse du prix du pétrole grâce au Fonds de régulation des recettes de l’Etat, des dépôts à la banque centrale et dans les banques commerciales pour assurer le financement des déficits budgétaires et externes et prévenir un ajustement macroéconomique brutal . Comme le note le FMI dans son dernier rapport, avec un baril de Brent qui serait coté à 60-70 dollars au lieu de 110-120 dollars, l’Algérie dispose encore de réserves pour amortir le choc, aussi bien en termes de réserves officielles de change que d’épargne publique. Mais le rythme des dépenses de l’Etat, ainsi que la valeur excessive des subventions et transferts sociaux qui ne vont pas nécessairement aux plus nécessiteux pose problème.
Le rythme actuel de la dépense publique conduiraient à la hausse des déficits budgétaires, lesquels engendreraient un retour à l’endettement public qui pourrait atteindre les trois quarts du PIB horizon 2020, avec comme conséquence une baisse de la croissance et une augmentation du taux de chômage qui a légèrement augmenté en 2014 par rapport à 2013. Or, les données officielles gonflent le taux de création d’emplois avec la dominance des emplois-rente – notamment au niveau de l’administration-, des emplois temporaires improductifs et les sureffectifs au niveau des entreprises publiques. Comme conséquence de la dégradation des équilibres extérieurs, il s’ensuivrait une baisse de la croissance tirée essentiellement actuellement par la dépense publique et qui peut se traduire par une baisse du niveau des réserves de change, l’Algérie ayant puisé rien qu’en 2014 dans ses réserves pour 10 milliards de dollars. Comme le cours du dinar est fonction, autant que le pouvoir d’achat, des réserves via la rente à plus de 70%, cela ne peut qu’entraîner la dépréciation du dinar, qui à son tour, entraînera une hausse des prix internes que l’on comprime actuellement par des transferts sociaux et des subventions mal gérées et non ciblées (60 milliards de dollars en 2014, soit 27-28% du PIB). On ne pourra donc continuer à subventionner à l’infini et le résultat final sera le relèvement du taux d’intérêt des banques primaires, que l’on ne pourra plus recapitaliser si l’on veut éviter leurs faillites. Il y aura alors le risque de bulles immobilières, où l’on distribue pour la construction de logements des intérêts bonifiés, sans compter les milliers de projets au niveau de l’ANEM et de l’ANSEJ sans études sérieuses de faisabilité à moyen et long terme (40-50% de faillites aussitôt les exonérations terminées).
3. Qu’en sera t –il du programme 2015/2019 ? En janvier 2015, selon le ministre des Finances devant le Parlement, « le gouvernement a donné son aval pour allouer un montant de 22.100 milliards de dinars au plan quinquennal 2015-2019 », soit, au cours retenu par la loi de finances 2015, (79 dinars un dollar) environ 280 milliards de dollars. » Et de préciser : « L’Algérie a décidé d’adopter dès 2014 un nouveau modèle de croissance, et à travers ce nouveau modèle, nous allons sortir graduellement du financement par le Trésor pour nous diriger vers le financement par le marché concernant tous les secteurs d’activité. » Mais là n’est pas le problème puisque 85% du financement de l’économie est assuré par les banques publiques, la Bourse d’Alger depuis sa création étant en léthargie et les banques privées, malgré leur nombre, étant marginales. Nous pourrions nous retrouver dans un cercle vicieux, les banques publiques étant malades de leurs clients étant les entreprises publiques.
Les assainissements répétés de ces entreprises ont coûté au Trésor public, entre 1971 et 2013, plus de 60 milliards de dollars et lors de la création des nouveaux groupes industriels en février 2015, le ministère de l’Investissement avait annoncé encore plusieurs milliards de dollars. Or, ce n’est pas un changement d’organisation qui permet de résoudre le problème mais une vision stratégique d’ensemble, multisectorielle, dans le cadre des nouvelles mutations de filières mondiales en perpétuelle évolution du fait des innovations technologiques. Nous avons assisté à des dizaines de réorganisations depuis l’indépendance politique (sociétés nationales, fonds de participation, holdings, sociétés de gestion de participation de l’Etat) Or, en 2014, les exportations algériennes étaient toujours dominée s à 98% par les hydrocarbures (y compris les dérivées) à l’état brut et semi brut, et 70% des besoins des ménages et des entreprises sont importés. Ce n’est donc pas une question de lois qui devraient limiter la valeur des importations de biens et services.
L’explosion des importations met en danger le Fonds de régulation des recettes. Créé en 2000, ce fonds est alimenté par les différences entre le prix du pétrole vendu sur le marché et le prix de référence (37 dollars le baril) retenu par la loi de Finances. Or, selon le rapport récent de la Banque d’Algérie, son niveau a chuté de 5.238,80 milliards de dinars à fin décembre 2013 à 4.773,51 milliards de dinars à fin mars 2014. La loi de finances 2015 prévoit des recettes budgétaires de 4.684,6 milliards de dinars et des dépenses publiques de 8.858,1 milliards de dinars, soit un déficit budgétaire de 4.173,3 milliards de dinars (plus de 52 milliards de dollars au cours de la monnaie nationale établi par la loi de finances, 79 dinars un dollar, autrement dit environ 22,1% du PIB) qui devait être alimenté par le fonds de régulation des recettes.
La loi de finances pour 2015, en réalité, se base sur un cours de 120 dollars le baril (37 dollars étant un artifice comptable peu réaliste). Le déficit sera donc plus important. Au cours de 60-70 dollars le baril, le Fonds de régulation, au rythme de cette dépense publique, devrait s’épuiser fin 2016 ou, au plus tard, à la fin du premier semestre 2017. Les réserves de change, selon la Banque d’Algérie, étant de 185,273 milliards de dollars, non compris les réserves d’or, la totalité des réserves à fin septembre 2014 en valeur, y compris l’or (7 milliards de dollars environ), seraient d’environ 192 milliards de dollars. Or, selon le ministre de l’Energie, à un cours supérieur à 85 dollars le baril en moyenne annuelle, les recettes de Sonatrach ont été de 59 milliards de dollars en 2014.
Les recettes de Sonatrach, sur la base d’un baril de brut à 60 dollars (le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole) peuvent être estimées à environ 35/40 milliards de dollars et sur la base d’un baril de 70 dollars entre 40 et 45 milliards de dollars. Comme les importations de biens ont été de 60 milliards de dollars en 2014 (auxquelles il faut ajouter entre 11 et 12 milliards de dollars de services et 7 à 8 milliards de dollars de transferts légaux de capitaux), la sortie de devises avoisinerait 80 milliards de dollars.
3. Pour éviter les impacts négatifs des années 1986-1994 (rééchelonnement suite à la cessation de paiement), je ferais dix propositions. Premièrement, définir une stratégie claire des segments hors hydrocarbures dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux lors de la présentation du programme 2015-2019. Deuxièmement, les projets nouveaux qui n’ont pas d’impacts tant sociaux qu’économiques à moyen terme doivent être ajournés. Troisièmement,se concentrer sur les restes à réaliser mais avec un tableau de bord pour une maîtrise des coûts qui doivent se conformer aux standards internationaux. Quatrièmement, pour l’administration, introduire l’outil de d’efficacité des choix budgétaires pour tester sa performance, geler les emplois dans les administrations excepté la santé et l’éducation/formation professionnelle. Cinquièmement, favoriser les co-partenariats public-privé local, opérateurs locaux-opérateurs/étrangers dans la sphère économique et axer sur les emplois productifs, le tourisme, l’agriculture, les nouvelles technologies, la PMI-PME et certains grands segments industriels. Sixièmement, revoir l’organisation gouvernementale, plusieurs ministères se télescopant dans leurs prérogatives actuellement. Septièmement, comme je l’ai recommandé au Premier ministre – la sécurité nationale étant menacée à travers les évènement du Sud, du fait des tensions géostratégiques à nos frontières de plus de 6.000 km – encourager le dialogue productif qui est la clef de la bonne gouvernance, Sonatrach, société commerciale, chargé de la gestion, étant l’Algérie et l’Algérie Sonatrach. Huitièmement, une communication cohérente en direction de la société est fondamentale, avec un langage simple accessible, car les firmes, quelle que soit leur nationalité, sont mues, et c’est leur vocation, par la maximisation du profit. A ce titre pour éviter les débats stériles, je propose la création d’une institution indépendante chargée de suivre le dossier du pétrole-gaz de schiste, et présidée par une personnalité indépendante. Neuvièmement, je propose la suppression du Fonds de régulation des recettes, pour les futures lois de finances, le cours du baril du pétrole étant établi selon le cours moyen du marché des hydrocarbures quitte, si excédent il y a, à le verser dans une caisse pour les générations futures Dixièmement, j’attire l’attention du gouvernement, sur d’éventuelles tensions budgétaires entre 2015 et 2020 au cas où le cours du baril se maintiendrait entre 60 et 80 dollars le baril.
En bref, l’important est de diversifier l’économie algérienne, ce qui implique de profondes réformes structurelles, les recettes de Sonatrach étant, selon la Banque mondiale, d’environ 760 milliards de dollars entre 2000 et 2014 et les importations de quelque 575 milliards de dollars, la différence étant les réserves de change actuelles. En 2015, l’Algérie est encore une économie rentière qui doit tenir compte du marché mondial de l’énergie et imaginer un nouveau modèle de consommation énergétique. La politique économique nationale doit être repensée afin que les dépenses soient rationnelles, les salaires fixés en fonction de la productivité, et l’entreprise créatrice de richesses réhabilitée.
(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management stratégique.