Après d’intenses débats, le Sénat français a voté, dans la nuit de mardi à mercredi et en première lecture, un projet de loi demandant « pardon » aux harkis et tentant de « réparer les préjudices qu’ils ont subis ».
Près de soixante ans après la Guerre d’Algérie (1954-1962), ce texte se veut la traduction législative d’un discours du président français Emmanuel Macron, qui, le 20 septembre dernier, avait demandé « pardon » à ces Algériens ayant combattu aux côtés de l’armée française, mais qui furent « abandonnés » par la France.
Ce texte est « celui de la reconnaissance par la Nation d’une profonde déchirure et d’une tragédie française, d’une page sombre de notre Histoire », a souligné la ministre chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants Geneviève Darrieussecq. Pour la rapporteure Marie-Pierre Richer (droite), s’il « comporte des avancées importantes », le projet de loi « a un goût d’inachevé ».
Le texte, auquel l’Assemblée nationale avait donné un premier feu vert le 18 novembre, reconnaît « les conditions indignes de l’accueil » réservé aux harkis et à leurs familles, qui ont fui l’Algérie après l’indépendance en 1962. Près de la moitié ont été relégués dans des camps et des « hameaux de forestage », directement gérés par l’Etat.
Pour ceux-ci, le projet de loi prévoit « réparation » du préjudice avec, à la clef, une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures. Le nombre de bénéficiaires potentiels est estimé par le gouvernement à 50.000, pour un coût global de 302 millions d’euros sur environ six ans. Les sénateurs ont intégré « certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour rapatriés » dans la liste des structures éligibles au mécanisme de réparation.
40.000 oubliés des réparations
Mais la déception s’est cristallisée sur ceux qui ne sont pas inclus dans le champ de l’indemnisation, les quelque 40.000 rapatriés qui n’ont pas séjourné dans ces structures, mais dans des « cités urbaines ». « Leur seul tort est de ne pas avoir vécu entourés de barbelés », s’est insurgé le sénateur de droite Philippe Tabarot, fustigeant un mécanisme de réparation « à la fois partiel et partial ».
Le Sénat a adopté deux amendements visant à élargir les prérogatives de la Commission de reconnaissance et de réparation que crée le projet de loi.
Celui du gouvernement tend à garantir « à tous les harkis combattants » un accès à cette Commission, qui pourra examiner leurs situations individuelles et leur proposer « toute mesure de reconnaissance appropriée ». Le chef de file des sénateurs de droite (Les Républicains) Bruno Retailleau a souhaité voir plus loin en lui confiant, pour tous les harkis, le soin de « proposer toute mesure de reconnaissance et de réparation ».
Mais la ministre a mis en garde contre « les faux espoirs » que pourrait susciter cet ajout, car « la Commission ne pourra pas décider elle-même d’attribuer une indemnisation ». Députés et sénateurs vont maintenant tenter de s’accorder sur un texte de compromis. En cas d’échec, l’Assemblée aura le dernier mot.
Jusqu’à 200.000 harkis avaient été recrutés comme auxiliaires de l’armée française pendant le conflit. Une journée d’hommage de la nation leur est consacrée chaque 25 septembre, depuis un décret de 2003.
R.I/Agences