Directeur technique d’un hébergeur Lyonnais depuis 18 ans, il est aussi consultant dans les métiers d’urbanisation et de conception des Datacenter en France. Hicham Boulahbal est directeur générale de DATAGIX, une entreprise d’hébergement Internet leader sur le marché algérien, offrant des solutions complètes d’hébergement WEB en haute disponibilité dans ses propres Datacenter en Europe et en Algérie, qui héberge plusieurs plateformes des plus grandes sociétés en Algérie.
Quel est type le Datacenter nécessaire pour développer cette filière peu développée en Algérie ?
Il y a deux types de Datacenter qui existe dans le monde. D’abord les Datacenter propriétaire (Owners), comme le cas de Sonatrach qui possède son propre centre de données et qui gère ses différentes applications, ou encore Sonelgaz qui possède son réseau en fibre optique utilisé seulement pour gérer son réseau interne. Ces centres de données n’ont pas les critères de vraies Datacenter.
Le deuxième type de Datacenter, ce sont ceux qui sont commerciaux. C’est ce qu’on appelle des Datacenter tiers. Ils sont ouverts à tout le monde. Cela veut dire que toutes les entreprises du monde peuvent exister dedans, peerer (faire du peering) et connecter leur infrastructure sur des fournisseurs télécom présents dans ces centres de données.
Qu’est ce qui manque pour que l’Algérie puisse avoir ces Datacenter tiers ?
Aujourd’hui en Algérie, plus de 80% de la bande passante est gérée par Algérie Télécom. C’est pour cela qu’on ne peut pas parler de centre tiers, tant que la bande passante est monopolisée par un seul fournisseur.
Ailleurs dans les pays développés, quand un opérateur possède un Datacenter, ce sont les fournisseurs télécom qui viennent proposer leurs bandes passantes aux locataires du centre, ce qui n’est pas le cas en Algérie. D’ailleurs, la règle de base pour l’existence d’un Datacenter, c’est la disponibilité de plusieurs fournisseurs de bande passante et de plusieurs opérateurs télécom. C’est ce qui constitue le maillon faible de notre pays. Sans multiplication de fournisseurs de réseau, il n’y aura pas de centres de données au sens propre.
Y a-t-il des solutions urgentes pour rattraper ce retard ?
Pour pouvoir rattraper le retard et mettre en place des centres de données commerciaux qui vont booster l’économie numérique en Algérie, nous sommes obligés d’ouvrir les télécoms aux autres opérateurs (privés, publics ou internationaux). Cette libéralisation des télécoms permettra aux opérateurs de déployer leurs réseaux. A mon avis, il n’y a pas une autre solution. Les modes de gestion « soviétique » sont révolus et il n’y a pas de place à la monopolisation dans les temps modernes.
Que faut-il pour libéraliser les télécoms ?
Il faut tout simplement instaurer des lois. Le parlement algérien, depuis 2014, essaie de parler de la libéralisation des télécoms et inciter la tutelle des télécommunications à instaurer des lois, mais rien n’a changé jusque-là. Du moins pour l’ADSL ou encore pour la sécurité de nos données.
Actuellement, on n’est même pas capable de demander aux opérateurs de fournir les Last-Mile (le dernier mile). Tout est bloqué dans ce projet de loi qui tarde à être mis à jour. Je cite à titre d’exemple, notre entreprise DATAGIX qui projette d’installer un Datacenter en Algérie, on ne peut pas avoir notre propre réseau. Pour que cela arrive, on doit déployer notre propre fibre optique ou créer notre propre Backbone (le cœur d’un réseau informatique). Et dans ce cas aussi, on dépend toujours de l’unique opérateur existant en Algérie.
On appelle souvent le gouvernement algérien à organiser des assises numériques dans le pays et écouter les spécialistes et les personnes qui aiment faire le bien pour ce pays. Sans développement numérique, il n’y aura aucun autre développement dans tous les secteurs.
On peut comparer l’industrie du Datacenter aujourd’hui à l’industrie de Henry Ford dans les années 1900. Il a créé tout un énorme écosystème autour de cette industrie, en reliant à ce secteur les autres domaines composés de centaines d’autres métiers. C’est pareil pour le numérique et pour le Datacenter. Il faut que nos responsables sachent que le digital va apporter que du bien au citoyen, encore plus, on a 20 ans de retard à rattraper.
Pourquoi, selon vous, les pouvoirs publics n’accélèrent pas le développement du numérique en donnant le feu vert aux opérateurs privés d’investir dans ce domaine ?
A mon avis, il s’agit d’une lourdeur du législateur algérien. Comment on peut expliquer que depuis 2014, il y a eu une loi pour la libération du Last-Mile, mais elle est restée bloquée à l’APN ? D’abord, il n’y a aucun accompagnement technique sur les TIC aux députés pour pouvoir mettre en place une loi qui assure le développement technologique du pays. A ce stade du retard, je vous confirme que les pouvoirs publics et le besoin de la société en IT sont dans deux rives différentes.
Entretien initialement publié dans le Huffpost-Algérie