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Opinions

L’Algérie dans l’œil du Cyclone

Par Yacine Temlali
avril 12, 2014
L’Algérie dans l’œil du Cyclone

Ce texte est la version intégrale d’une contribution d’Omar Benderra* traduite et publiée par Al Safir Al Arabi (Liban). Pour l’auteur, tous les ingrédients d’une crise algérienne majeure sont réunis : affrontements d’une rare violence au sein du régime – et même de l’armée, perspective d’effondrement des revenus de l’Etat tirés principalement des hydrocarbures, action d’acteurs régionaux et de grandes puissance pour lesquels « une Algérie durablement affaiblie est un avantage certain pour le développement de leurs stratégies ».

 

 

La crise au sommet du pouvoir algérien, encore contenue dans les limites des cercles dirigeants, prend une tournure critique à l’approche de la date de l’élection présidentielle et, donc du moment où seront prises ou entérinées des décisions « organiques » importantes par le président qui sera élu le 17 avril prochain. Ou, plus précisément, qui sera réélu, car le succès du candidat-président Abdelaziz Bouteflika semble d’ores et déjà assuré par une administration rompue à l’exercice. Comment cette élection sera-t-elle reçue par une population qui dans sa très grande majorité ne répond que très faiblement aux convocations électorales du système ? Ce quatrième mandat est vécu comme une insulte et une humiliation de plus par l’immense majorité des Algériens. L’écœurement est général et bien réel, les Algériens sont ouvertement roulés dans la boue. Cette triste farce destinée maintenir le régime dans sa forme actuelle avec un vieillard très malade comme figure de proue est une marche de plus dans une interminable descente aux enfers.

L’opposition, entre l’inamovible – il dirige les services de la police politique depuis 23 ans – général de corps d’armée Mohamed-Lamine Mediene alias « Toufik » et son supérieur hiérarchique nominal le vice-ministre de la Défense et Chef d’état-major le général de corps d’armée Ahmed Gaïd-Salah appuyé par le Président Bouteflika, est devenue publique sur fond de mises à l’écart de généraux des services de renseignement et d’algarades par voie de presse. A la virulente remise en cause de la compétence du chef du Département Renseignement et Sécurité (DRS) par un secrétaire-général du FLN a répondu, très provocateur, un général qui émerge brutalement de sa retraite pour s’en prendre à Abdelaziz Bouteflika, à son chef d’état-major et aux clientèles qu’ils incarnent. Ce dangereux déballage de linge sale a contraint le chef de l’Etat, par une lettre rendue publique le 18 février, a tenter de mettre le holà et, sur le ton de l’imploration, d’imposer le silence dans les rangs. Avec un certain succès car, effectivement, depuis la supplique présidentielle aucune personnalité d’un des deux bords du régime n’a surenchéri. Mais ce relatif silence ne trompe pas grand monde. Même s’il est assourdi, le conflit est en cours et devra se décanter tôt ou tard par le départ d’une des forces en présence. Le contrat de pouvoir instauré au début des années 1990 sous les auspices des généraux Belkheir (décédé) et Nezzar (retraité) a vécu. La cassure dans le groupe de pouvoir est précipitée par le nécessaire renouvellement générationnel rendu urgent par les échecs patents en matière de prévention et de lutte antisubversive, notamment dans le sud saharien du pays et au Sahel. Ce climat délétère est nourri également par des divergences de vue autour de la perspective sur fond de corruption généralisée d’un quatrième mandat présidentiel pour Abdelaziz Bouteflika dont l’état de santé est gravement détérioré. Les échanges verbaux entre porte-paroles des deux groupes ont de ce point de vue situé les enjeux de pouvoir et les risques pour le pays.

Après ces bruyantes passes d’armes, la campagne, parfaitement surréaliste, pour la présidentielle dont le premier tour est fixé au 17 avril 2014 a reconquis tant bien une peu convaincante existence médiatique. Le principal candidat, hors d’état de se déplacer ou de s’exprimer plus de quelques secondes, a délégué au très impopulaire Abdelmalek Sellal, le rôle curieux d’animateur électoral. A. Sellal a donc temporairement abandonné sa charge de premier ministre pour celle de bateleur en chef, en mal d’improbables mots d’esprit et de saillies déplacées. Il a cependant du restreindre son programme de cette étrange campagne in abstentia car ses apparitions suscitent bien plus de manifestations de mécontentement qu’un mouvement d’adhésion à son candidat…Du côté des candidats « appointés » par la police politique le spectacle n’est guère plus réjouissant. Les performances de personnages sans envergure ni crédibilité chargés de servir de lièvres à Abdelaziz Bouteflika sont en deçà de tout ce que l’on pouvait craindre, réussissant tout au plus à produire une pénible parodie de campagne. Tout comme l’opposition factice autorisée à prôner le boycott ou à rejeter le quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika ne parvient pas à remplir les salles mises à sa disposition. Dans la grande tradition des rituels vides de tout contenu et d’une gestion des apparences de moins en moins soucieuse d’un minimum de réalisme, la campagne électorale a atteint des degrés inédits de grotesque, même selon les standards algériens. Cette pure mascarade bureaucratique n’a d’autre effet que d’alimenter l’exaspération populaire.

 

Indifférence civile

 

Car, il n’est nul besoin d’être grand clerc pour le constater : la population blessée par la guerre contre les civils des années 1990 et méprisée par les barons-voleurs du système est partagée entre indifférence et indignation. Résultat tangible de l’étouffement de la vie politique et des manipulations permanentes, les algériens ne se reconnaissent en qui que ce soit et ne reprennent aucun mot d’ordre quel que soit son origine. La perte de confiance est totale et irrémédiable ; pour l’immense majorité des algériennes et des algériens, les individus que les médias présentent comme « hommes politiques » ne sont que des agents en service commandé, des démagogues au service de la corruption au pouvoir. En dehors de ceux qui appartiennent aux clientèles et bénéficient des miettes de rente, les citoyens n’écoutent pas les partisans de la sclérose politique et sociale déguisée en « stabilité ». Ni ceux d’ailleurs qui focalisent sur le rejet du quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika et considèrent comme secondaire la remise en question d’un système politique liberticide, inefficace et profondément corrompu. Ainsi le « Mouvement Barakat », animé par des personnalités spontanément apparues et inconnues du grand public mais appartenant visiblement à la classe moyenne, lui aussi n’embraye pas sur l’opinion. Les manifestations de rues que tente d’organiser ce mouvement, malgré (ou à cause ?) d’un vrai relai médiatique et d’un activisme intense sur les réseaux sociaux réunissent plus de policiers que de sympathisants. Il suffit de passer sur les télévisions algériennes ou françaises pour être immédiatement discrédité. Les montages approximatifs n’y font rien : la télévision publique peine à masquer les mouvements hostiles provoqués par les représentants du président-candidat qui alternent flagornerie, plaisanteries douteuses et promesses budgétaires à tous vents. Du côté des prétendants « décoratifs », la candidate censée représenter « la gauche » dans un pays sans repères prononce de longs discours axés sur le danger de la « main de l’étranger » face à des parterres parfois essentiellement composé d’enfants, les autres ne mobilisent pas au-delà de leurs entourages personnels. Cette campagne qui voudrait briser le mur d’indifférence civile érigée par la société est sans écho : les quartiers populaires des grandes villes sont à des années-lumière des agitations plus ou moins impulsées par les relais du régime. Et pour beaucoup il vaut mieux qu’il en soit ainsi car s’il elle venait à être libérée la colère réelle des populations exclues des bénéfices de la rente et abandonnées à elles-mêmes emporterait tout sur son passage, le régime, ses clientèles mais aussi, et ce qui inquiète nombre d’observateurs, tout le reste de la société et du pays.

Mais, si la population n’accorde aucun crédit aux élites médiatiques, elle est au moins aussi méfiante s’agissant des mouvements du style « printemps arabe » et n’a aucune espèce d’appétence pour les bombardements « démocratiques » occidentaux. Les Algériens qui dans leur ensemble n’avaient guère de sympathie pour le colonel Kadhafi n’ont pas du tout apprécié de voir un autre pays arabo-musulman, la Libye après l’Irak, détruit au nom d’une pseudo-libération démocratique, par d’anciennes puissances coloniales appuyées par les Etats-Unis. Les Algériens n’ignorent pas que la seule révolution arabe authentique est celle menée par le peuple tunisien. Toutes les autres, du Yémen asphyxié par l’Arabie-Saoudite à celle de Syrie transformée en champ de bataille géostratégique en passant par l’Egypte sous dictature militaire ont été perverties par les influences étrangères. D’un point de vue populaire, les enjeux politiques au Moyen-Orient sont envisagés sous l’angle fondamental de la cause du peuple palestinien. Voir les occidentaux et les rois du Golfe voler au secours des « oppositions » armées dans ces pays n’a d’autre effet que de les discréditer aux yeux d’Algériens qui ont payé dans l’effroyable solitude des années 1990 le prix d’une guerre pour la rente livrée au peuple par une camarilla d’aventuriers. Autant que son histoire récente, c’est bien cette sensibilité particulière qui caractérise l’Algérie et explique la patience d’une population qui mesure exactement l’étendue des turpitudes de ses tyrans. Le constat saute aux yeux : L’Algérie n’est pas gouvernée et livrée à toutes les formes de pillage par ceux-là mêmes qui sont censés défendre l’intérêt général et assurer l’avenir des générations montantes.

 

Gabegie, corruption et inefficacité

 

La dés-administration quasi-complète du pays et l’affolante corruption des centres de pouvoirs sont d’autant plus insupportables que la fin de la rente fossile d’un pays dont les revenus proviennent à 97 % de l’exportation des hydrocarbures, n’est pas une vue de l’esprit ni une prédiction de Cassandre.

De fait, les exportations de gaz n’ont pas dépassé 45 milliards de m3 en 2013. Une part de ce recul est sans doute la conséquence de l’assaut terroriste contre le site gazier de Tigentourine le 16 janvier 2013, qui aurait entraîné une perte de capacité d’exportation de 8 milliards de m3. Mais, selon des experts pétroliers algériens le constat de la tendance baissière de la production a été opéré avant même cet événement. Le pic de la production gazière a bien été atteint en 2005 avec 65 milliards de m3, loin des prévisions d’une production de 85 milliards de m3 en 2012.

La production de pétrole décline également, les découvertes ne portant plus que des gisements moyens. Selon un ancien dirigeant de la société publique de pétrole et de gaz, sans efforts substantiels dans l’exploration et sans efficacité énergétique l’Algérie pourrait ne plus être en mesure d’honorer ses contrats d’exportation à l’horizon 2030. Les experts confirment même que l’exploitation du gaz de schiste ne suffira pas à combler l’inévitable repli des capacités nationales. Les gaz de schiste ne permettront, au mieux, que d’atténuer la perte des quantités de gaz conventionnel des prochaines années.

Mais ces perspectives n’entament en rien l’avidité des dirigeants réels, des oligarques et de leurs clientèles qui conduisent depuis des années une véritable politique économique de la prédation. La politique de distribution de la rente extrêmement inégalitaire, le nombre de milliardaires surgis du néant en Algérie est aussi impressionnant que le degré de misère de catégories entières, contribue largement à empoisonner le climat général. La stratégie d’arrosage destiné à calmer localement et transitoirement les bouillonnements sociaux est tout aussi dispendieuse qu’inefficace : pour l’essentiel, la moitié des trente-cinq à quarante millions d’algériens sont mal logés, mal soignés et vivent dans la précarité. Comme le système de santé, le système éducatif, du primaire au supérieur, est complètement sinistré. Le chômage de masse, des jeunes en particulier, est le paramètre le plus éloquent qui caractérise une économie de comptoir fondée exclusivement sur des exportations d’hydrocarbures en régression et des importations (ou la part de la consommation finale est largement dominante) en croissance constante. L’Algérie ne produit pratiquement rien, achète tout ce qu’elle consomme, importe des voitures de luxe par milliers et dépense massivement pour « importer » également des infrastructures sans effet d’entrainement mais propices à tous les commissionnements illicites. Les chiffres officiels les plus récents reflètent une tendance à la dégradation, l’excédent commercial, qui était de 20 milliards de dollars en 2011, a été effacé. La balance des paiements se retrouve fin 2013 dans une situation de quasi-équilibre. Les recettes des hydrocarbures reculent nettement passant de 70 milliards de dollars en 2012 à 63 milliards en 2013. En revanche, la croissance des importations de l’ordre de 7% est soutenue. Les importations de marchandises dépassent les 55 milliards de dollars, alors que les importations de services se sont établies à 10 milliards. Seule note rassurante – mais pour combien de temps ? – les réserves de change s’élevaient à 194 milliards à fin décembre 2013 et le gouvernement peut annoncer des contrats mirobolants – un milliard de dollars chacun – pour des hôpitaux gérés par des structures étrangères spécialisées. Les scandales de corruption souvent révélés par des organes étrangers se succèdent et touchent l’ensemble des secteurs.

 

Une voix singulière dans le désert politique

 

Dans ce climat de tension les affaires continuent sans faire la une des journaux. Pourtant les luttes au sommet ont pour conséquence d’élargir les marges de manœuvres des journalistes et de brouiller les lignes rouges médiatiques, beaucoup de relais traditionnels de la police politique ne reçoivent plus d’instructions et une certaine liberté de ton gagne des journaux où traditionnellement seules quelques rares plumes se singularisent par leur réelle autonomie et leur indépendance de vue. Signe des temps, les journalistes prononcent sans hésiter le nom, Toufik, autrefois tabou du chef du DRS. Mais les éditoriaux ou des chroniques ne peuvent tenir lieu de vie politique pas plus que quelques journalises peuvent combler le vide politique installé en Algérie depuis le coup d’Etat militaire de janvier 1992. Ce vide est aujourd’hui quasi-total. La disparition d’acteurs politiques majeurs depuis le décès d’Abdelhamid Mehri et le retrait, pour des raisons de santé, de Hocine Ait-Ahmed, ce dépeuplement particulièrement ressenti entretient un vide analytique et référentiel particulièrement propice à la dépolitisation.

Mais dans ce désert politique une voix singulière s’est à nouveau fait entendre. Mouloud Hamrouche n’est pas particulièrement prolixe et ses interventions publiques, peu fréquentes, sont mûrement réfléchies et pesées. Les sorties récentes du chef de file des réformateurs du FLN et ancien premier ministre de l’ouverture démocratique au début des années 1990, mais aussi moudjahid de la guerre de la libération et colonel à la retraite n’en sont que plus significatives. L’homme qui a été formé au sein des appareils militaro-idéologiques du système algérien en connait intimement les rouages et les hommes, Il avait très courageusement tenté à la fin des années 1980 une évolution démocratique de ce système, une sorte de « soft-landing » de la dictature. Commencée en 1990, l’expérience réformatrice a été brutalement interrompue en juin 1991 par des généraux putschistes articulés sur la grande corruption et soutenus par l’ex-métropole coloniale pour aboutir au pronunciamiento de janvier 1992. L’homme, connu pour sa discrétion et ses propos mesurés, ne s’est jamais privé d’expression quand il le jugeait utile.

Mais ses récentes sorties tranchent nettement sur un discours usuellement très retenu et nuancé au point parfois – le reproche pour n’être pas toujours sincère n’en est pas moins fréquent – d’en être difficilement déchiffrable par les non-initiés. Mais visiblement l’ambiguïté constructive spontanément pratiquée par Mouloud Hamrouche, si elle ouvre des chemins improbables par son imprécision même, est un exercice sophistiqué dans un contexte de déclarations à l’emporte-pièce et de formulations simplistes. Dans ses récentes déclarations, notamment celles au Forum d’un quotidien algérois, Mouloud Hamrouche situe la crise dans les conflits inhérents à l’extrême difficulté d’organiser le départ des dirigeants actuels et le transfert des responsabilités militaires et sécuritaires à la nouvelle génération. Ce renouvellement est pourtant urgent. Les jeunes officiers sont beaucoup plus éduqués et mieux formés que leurs prédécesseurs. Dans un environnement international immédiat instable et imprévisible, ces cadres à la culture politique bien plus moderne que celle de leurs ainés devront mettre en œuvre la professionnalisation de l’armée et redéfinir ses rapports avec l’Etat et la Nation.

M. Hamrouche en impute nommément la responsabilité à trois protagonistes : le Président Bouteflika, les généraux Gaïd-Salah et « Toufik » Mediene. Cette crise met en péril ce qui constitue l’alpha et l’oméga de l’idéologie des appareils militaro-sécuritaire depuis la crise de l’été 62 et, surtout, la tentative de putsch contre Houari Boumediene du colonel Zbiri en décembre 1967 : la sacro-sainte « Unité/Unicité de l’Armée » – Wahadate el Djeich – principe fondateur de l’idéologie de l’Armée Nationale Populaire (ANP). Ces déclarations sont à prendre avec attention : si M. Hamrouche a choisi de citer des noms et de désigner des responsables c’est que les rapports continuent de se tendre et qu’ils sont proches du point de rupture. Hamrouche évoque même le risque « d’embrasement ». Dans la bouche d’un politique qui pratique comme une seconde nature l’ambigüité constructive et qui « euphémise » volontiers son propos, ces éléments de langages sonnent comme une alarme. Mouloud Hamrouche témoigne de la gravité de l’heure et joint sa voix à celles et ceux qui appellent à organiser le passage de générations à la tête de l’armée dans les meilleures conditions possibles. Car l’Algérie et son armée pèsent d’un poids certain dans les équilibres régionaux.

 

Le compte à rebours

 

S’il est clair pour tous les observateurs que nul ne souhaite une déstabilisation algérienne généralisée, tant les risques de contamination sont grands, il est tout aussi clair pour nombre d’acteurs régionaux et internationaux qu’une Algérie durablement affaiblie est un avantage certain pour le développement de leurs stratégies régionales. Une armée algérienne privée du soutien populaire et réduite à jouer le rôle de garde prétorienne crée pour ces milieux une situation conforme à leurs objectifs. L’Algérie, politiquement et économiquement invalidée, est diplomatiquement bâillonnée. Les événements dans le Sahel, la prolifération des groupes djihadistes et le retour militaire de l’ancienne puissance coloniale en témoignent. La neutralisation de l’influence de l’Algérie, notamment par son soutien aux causes justes, en premier lieu celle du peuple Palestinien, favorise les visées de ceux qui veulent maintenir le Maghreb dans son rôle d’arrière-cour. C’est dans ce contexte que se situe la visite de John Kerry, les américains n’ont aucune confiance dans les dirigeants algériens et les déclarations d’amitié sont de pure forme même si depuis le 11 septembre 2001 les protestations concernant les droits de l’homme ont été mises de côté au profit de la coopération dans la guerre éternelle contre le terrorisme. Washington se satisfait pleinement de ce statut et n’exige plus, autrement que de manière très convenue, la démocratisation d’un régime auquel John Kerry vient apporter une caution politique essentielle.

Mais les appuis extérieurs aussi important soient-ils, particulièrement lorsque le soutien populaire fait à ce point défaut, n’empêchent pas que le compte à rebours soit bel et bien enclenché. Si la sagesse et la raison ne l’emportent pas, l’Algérie pourrait entrer dans une zone de turbulences particulièrement périlleuse. L’Algérie sous la férule d’une dictature incroyablement médiocre et totalement corrompue est bel et bien dans l’œil d’un cyclone de désespoir exaspéré. Si un transfert du pouvoir n’est pas assuré à l’intérieur de l’armée vers les nouvelles générations d’officiers et si un nouveau compromis n’est pas trouvé entre toutes les forces politiques, y compris l’armée elle-même, l’avenir du pays est directement menacé. Car dans l’état actuel d’émiettement du front politique, les ruptures brutales ne sont pas de pures hypothèses d’école. De même qu’une sortie de crise sans implication de l’armée et d’une partie du système est illusoire. Si le consensus démocratique n’est pas atteint, la porte est ouverte au pire. Tous les ingrédients d’une crise multidimensionnelle aux implications incalculables sont réunis, depuis les tentations régionalistes, ultime stratégie de division d’une poignée de patriarches dévoyés et d’authentiques voyous jusqu’aux insatiables appétits des très puissants oligarques de la rente en passant par les très cyniques jeux de puissances.

 

(*) Consultant indépendant, cadre bancaire et ancien président de banque publique, chargé de la renégociation de la dette extérieure durant la période de l’ouverture démocratique sous le gouvernement de Mouloud Hamrouche. Auteur de nombreux articles et contributions sur la crise algérienne. Membre d’Algeria-Watch, association de défense des Droits de l’homme et du CISA (Comité international de soutien aux syndicats autonomes).

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