Abdelmadjid Attar* examine ici, l’un après l’autre, les risques inhérents à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels et conclut que ces risques, bien que réels, peuvent être maîtrisés. Il rappelle que la fracturation hydraulique et le forage horizontal sont déjà utilisés par Sonatrach, sans énormes dangers pour l’environnement, pour l’extraction d’hydrocarbures conventionnels et affirme que les volumes d’eau nécessaires à l’extraction des gaz de schiste et du tight gas ne sont pas aussi astronomiques qu’il est souvent écrit. Pour lui, la transition énergétique doit être basée sur un recours rationnel à toutes les formes d’énergie, le plus important étant d’utiliser les revenus énergétiques du pays pour mettre fin à sa dépendance des hydrocarbures.
L’objectif de ma contribution n’est ni de porter un jugement sur une politique ou une stratégie quelconque ni de proposer des solutions miracles aux futurs défis de développement, mais seulement de présenter un état des lieux du secteur énergétique en particulier, pouvant déboucher sur un débat qui est, de nos jours, non seulement national mais aussi international.
Il y a juste 6 mois, j’ai publié une contribution intitulée « Débats d’avenir ou de dérive ? Démocratie et citoyenneté, entreprenariat et gaz de schiste »,dans laquelle j’ai abordé, entre autres problèmes, celui de la dépendance de notre économie des hydrocarbures, ainsi que le défi relatif à une transition énergétique basée sur le recours à toutes les formes d’énergie, y compris les hydrocarbures non conventionnels.
Avant de revenir sur les défis énergétiques, je voudrais rappeler que l’eau, l’énergie, et l’environnement sont en fait les trois piliers de tout développement économique et social et du progrès de façon générale. Ces ressources naturelles vitales sont aussi étroitement interdépendantes en matière d’exploitation et d’usage.
Le volume d’eau à l’échelle de la planète est toujours le même, seules sa répartition géographique et sa qualité changent avec le temps du fait des changements climatiques et des activités humaines. L’énergie dont on a besoin est fournie essentiellement par des ressources non renouvelables (hydrocarbures et charbon), de plus en plus difficiles à trouver, coûteuses, et que nous consommons de plus en plus sans se soucier des gâchis.
L’environnement, qu’il s’agisse du sol, des produits à consommer, ou du confort de vie, dépend de la disponibilité et de l’usage de ces ressources.
Mais, hélas, la gestion, le mode d’exploitation et l’usage des deux premières richesses a souvent tendance à les mettre aussi en conflit entre elles et, surtout, avec l’environnement qui en pâtit de plus en plus. D’où le débat autour de ce qui est appelé « les hydrocarbures non conventionnels », que certains considèrent comme une nouvelle ressource énergétique à la place des hydrocarbures conventionnels dont les réserves et la production semblent avoir atteint leur peak-oil, tandis que d’autres les considèrent comme une véritable menace pour les ressources en eau et l’environnement.
Alors, faut-il croire que ces nouveaux hydrocarbures, et plus précisément le gaz de schiste, sont la clef de la transition énergétique ou faut-il en avoir peur et les rejeter ? Si la réponse à cette dernière question est négative, quelle est la solution de rechange ? Peut-elle aussi être mixte ?
1. Contexte énergétique mondial
La question est tout fait naturelle dans la mesure où :
– D’une part, comme vous le savez, la consommation mondiale, qui est actuellement de 12 milliards de tonnes équivalent pétrole (TEP) – dont 50% en hydrocarbures, 35% en charbon, et à peine 15% en renouvelables-nucléaire-hydroélectricité – passera, selon beaucoup d’analyses, en 2035 à 18 milliards de TEP, avec une progression presque identique pour chacune des ressources fossiles (entre 1 et 2%), et relativement importante pour les renouvelables et le nucléaire qui n’atteindront en 2035 que 22% de la consommation totale, avec un taux de croissance de 6,4%. (source : Energyoutlook 2035-BP 2014).
– D’autre part, il y a toutes les hypothèses émises par les défenseurs du peak oil qui tendent à confirmer que celui-ci a déjà été atteint dans la plupart des pays producteurs et que ce qui reste à découvrir sera de plus en plus coûteux à trouver, difficile à produire et, semble-t-il, dangereux pour l’environnement en ce qui concerne les hydrocarbures non conventionnels.
La scène énergétique internationale a subi durant la décennie passée énormément de bouleversements et de mutations sous l’influence d’une multitude d’évènements et de facteurs conjoncturels ou non. On peut citer parmi eux les plus importants qui sont :
1- L’avènement des hydrocarbures non conventionnels, plus particulièrement le gaz de schiste ou le tight gas, qui semble bouleverser la répartition géographique des réserves et les échanges futurs.
2- Les progrès technologiques, aussi bien en amont qu’en aval, depuis le gisement jusqu’au consommateur final.
3- L’apparition de nouveaux acteurs et de nouveaux marchés, ainsi qu’une tendance à la dérégulation des marchés.
4- L’apparition de nouvelles visions géostratégiques, notamment au niveau des pays gros consommateurs d’énergie.
5- Les problèmes d’environnement et la compétition ou la complémentarité avec les énergies renouvelables.
6- La volonté de certains acteurs à pousser vers la mondialisation de l’offre et de la demande et, par conséquent, de celle des marchés.
7- Et, enfin, des bouleversements économiques et géopolitiques plus complexes qu’ils n’en ont l’air, puisque nous assistons à une évolution vers une sorte d’économie mondiale à caractère libéral mais avec, d’une part, de moins en moins d’influence des pays développés, de plus en plus frappés par une crise multidimensionnelle sans précédent, et, d’autre part, une montée en puissance des pays émergents dont les besoins énergétiques connaissent un accroissement rapide et très important.
C’est ainsi que de nos jours, la sécurité énergétique est pratiquement au cœur de toutes les stratégies de développement.
2- Etat des réserves découvertes à ce jour
L’Algérie, étant un pays dont l’économie est plus que dépendante de sa production pétrolière et gazière, découvre aujourd’hui à son tour l’importance de la notion de sécurité énergétique et doit, par conséquent, tenir compte de tout ce qui affecte la scène énergétique internationale.
Commençons, d’abord, par jeter un coup d’œil sur l’état des lieux des ressources en hydrocarbures conventionnels.
L’état des réserves conventionnelles actuelles, leur répartition géographique, ainsi que le statut de leur exploitation, permettent de constater que :
– Les réserves restantes récupérables en 2012 étaient de 2,5 milliards de tonnes d’hydrocarbures liquides dont 72% prouvés et 4.500 milliards de m3 de gaz naturel, dont seulement 53% prouvés. Le reste est probable et possible.
– La majeure partie des réserves en hydrocarbures est renfermée dans les gisements de Hassi Messaoud et Hassi R’mel opérés par la Sonatrach seule.
– La majeure partie des réserves en pétrole algérien (51%) est exploitée par la Sonatrach seule.
– Seules 49% sont en association et la part de production qui revient aux associés est en moyenne de 20 à 25% seulement de cette portion.
– La majeure partie des réserves en gaz, condensat et GPL (80%) est exploitée par la Sonatrach seule.
– Seuls 18 à 20% sont en association, avec un système de partage de production relativement identique à celui du pétrole liquide.
3- Historique des travaux et résultats
L’historique des travaux montre, de son côté, que l’essentiel de l’effort de recherche en Algérie a été concentré sur la partie est du Sahara où sont concentrés 100% des réserves en pétrole et 92% des réserves en gaz naturel.
Mais le plus important qu’on constate est que :
– L’essentiel des réserves a été découvert avant 1970, puis partiellement renouvelé au cours des années 1990.
– Depuis, le nombre de découvertes est certes toujours le même et parfois en progression, mais les volumes découverts sont de plus en plus faibles.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de découvertes à faire mais même si elles sont nombreuses, elles n’assureront pas le renouvellement espéré pour couvrir un soutirage au moins égal à la demande (exportation + consommation interne).
Certaines analyses montrent aussi qu’au moins 50% des augmentations de réserves durant la décennie passée, aussi bien dans le monde qu’en Algérie, sont à comptabiliser sur les améliorations des taux de récupération des gisements existants grâce aux progrès technologiques (taux de récupération). Ce qui signifie qu’il s’agit d’un créneau de recherche et d’effort sur lequel il va falloir beaucoup se focaliser à l’avenir.
4- Potentiel et perspectives
L’industrie des hydrocarbures se porte bien aujourd’hui en Algérie puisqu’elle arrive à nourrir le pays avec une belle rente de 98% des recettes d’exportation, 70% du budget de l’Etat et 33% du PIB. Mais Pour combien de temps encore ? Là est la question principale.
Le potentiel en ressources spéculatives (espérées) dans le sous-sol est très controversé et peut varier de 1 à 5 selon les estimations disponibles:
– Hydrocarbures conventionnels en place : 2.800 à 6.000 milliards de m3 de gaz naturel et 3 milliards de tonnes d’hydrocarbures liquides.
– Hydrocarbures non conventionnels en place :25.000 à 168.000 milliards de m3 de gaz naturel (gaz de schiste et tight gas) et 20 à 30 milliards de tonnes d’hydrocarbures liquides.
– Il apparaît que le potentiel résiduel restant à explorer et à exploiter est essentiellement constitué d’hydrocarbures non conventionnels, plaçant l’Algérie au 3ème rang mondial (pour le gaz de schiste seulement) dans ce domaine après la Chine et l’Argentine. Mais il faut tout de suite préciser qu’il s’agit d’une évaluation spéculative qui nécessite d’abord d’être confirmée par des travaux d’exploration.
– Si on se base sur ce qui existe et ce qui pourrait exister ainsi en théorie on pourrait effectivement dire qu’il n’y a aucun souci à se faire pour une longue période même au-delà de 2030 ou 2040.
– Mais imaginons un instant que les choses ne se passent pas ainsi et que le potentiel futur est trop spéculatif pour qu’on puisse bâtir dessus une stratégie de développement économique. Il est admis, en général, qu’on peut arriver à découvrir au maximum 25 à 30% des ressources spéculatives ayant pu être piégées dans le sous-sol avec le temps. Il faut ensuite appliquer à ces découvertes un taux de récupération moyen de 30% et 75% respectivement pour le pétrole et le gaz conventionnels. Le mode d’évaluation des volumes en place d’hydrocarbures non conventionnels est différent du fait qu’ils sont renfermés dans des surfaces et non des pièges mais on ne peut non plus espérer qu’un taux de récupération de 10 à 20%. Par ailleurs, au stade actuel des connaissances et des technologies disponibles, les ressources restantes à explorer, qu’elles soient conventionnelles ou non, nécessitent de très lourds investissements, du fait de leur complexité technique : taille des accumulations, situation géographique (profondeur et offshore), et technologies d’exploitation nécessaires.
– Les réserves en hydrocarbures conventionnels sont, quant à elles, entamées à au moins 50%, et l’évolution de la production globale d’hydrocarbures en Algérie est en phase de déclin depuis 2008. Parmi les raisons invoquées, il y a certes le retard du développement des gisements récents, destinés à compenser la baisse de production, mais il y a aussi le fait que depuis plus d’une décennie, le taux de renouvellement des réserves est en moyenne d’un seul baril-équivalent de pétrole pour trois produits. On ne peut pas non plus ignorer le fait que les plus gros gisements vieux de plus de 50 ans sont en phase de plateau ou en déclin.
– Le domaine minier est certes inégalement exploré mais la probabilité de nouvelles découvertes sera caractérisée naturellement par des tailles de plus en plus petites à l’avenir selon la règle : « plus on découvre moins on découvrira à l’avenir, et plus ça coutera ».
Tel qu’un sol ne peut permettre qu’une production agricole céréalière, arboricole, maraîchère ou rien du tout, pour des raisons de qualité du sol, de climat ou de disponibilité d’eau et, bien sûr, de travail humain, une région peut renfermer des hydrocarbures et une autre pas du tout pour de très simples raisons géologiques. Une simple comparaison des volumes d’hydrocarbures générés et ayant pu être piégés au cours des millions d’années géologiques avec ce qui a pu être découvert à ce jour dans les différents bassins pétroliers permet de mesurer le potentiel réel de chacun d’eux.
– L’Agence ALNAFT a publié le 1er mai 2014 son bilan, qui indique qu’en 2013, il a été découvert 629 millions de TEP, dont 130 millions de tonnes de pétrole, 407 milliards de m3 de gaz, 64 millions de tonnes de condensat et 27 millions de tonnes de GPL. Cela correspond à environ 10% des réserves restantes. C’est le plus beau résultat depuis les découvertes des années 1990 dans le bassin de Berkine, et cela prouve déjà une chose : il y a encore des hydrocarbures à découvrir.
Mais il y a une précision qui manque : s’agit-il de réserves en place ou récupérables ? De révision des réserves existantes ? De réserves prouvées récupérables ou probables et possibles en place ? La précision est extrêmement importante parce qu’il s’agit, aujourd’hui, de réfléchir aux besoins du pays sur le long terme et de préparer un arbitrage entre la rente et la sécurité énergétique. Le problème qui devient de plus en plus crucial est celui d’une croissance effrayante et non maîtrisée de la consommation interne du pays.
5- Les besoins du marché intérieur
– On constate que le pays est en train de devenir l’un des modèles les plus énergivores en Afrique et en Méditerranée, avec un taux de croissance qui a atteint ou même dépassé les 14% par an pour l’électricité. La consommation énergétique nationale est en croissance importante et continue avec :
* +5,4% par an pour tous les HC (1,2 TEP/an/habitant) ;
* +8% par an pour les carburants ;
* +7% par an pour le gaz naturel.
Les prévisions de la CREG annoncent des besoins internes entre 42 (minimum) et 55 (maximum) milliards de m3 de gaz naturel en 2019. Sonelgaz prévoit quant à elle 75 milliards de m3 en 2030.
– Selon le bilan énergétique 2013 publié par le secteur, la répartition de la consommation d’énergie primaire est la suivante :
* Production totale : 154 millions TEP, dont 64% exportés et 36% consommés sur le marché intérieur (y compris pour la génération électrique) ;
* Consommation des ménages et autres : 15,5% ;
* Consommation des Transport : 13% ;
* Consommation de l’industrie & BTP : 7,5%.
La consommation algérienne d’hydrocarbures a doublé en 10 ans et le ministère de l’Energie prévoit une augmentation entre 2013 et 2030 de 16 à 30 millions de tonnes pour les carburants et de 32 à 60 milliards de m3 pour le gaz naturel. Il faut noter aussi que la consommation industrielle est relativement faible si on exclut la consommation pour la pétrochimie qui correspond à mon point de vue à une autre forme d’exportation indirecte.
La première question qu’il faut se poser en ne tenant compte que des réserves actuelles en hydrocarbures conventionnels est la suivante : à quel moment pourrait survenir une baisse inexorable de la rente et même de l’approvisionnement du marché intérieur et, par conséquent, un risque pour la sécurité énergétique du pays ?
La réponse est très simple : les prévisions d’exportation nécessitées par le besoin de rente pour assurer le développement économique, et les prévisions de consommation interne, laissent prévoir une baisse probable de la production et de la rente à compter de 2019-2022 en l’absence de nouvelles et importantes découvertes, qu’elles soient conventionnelles ou non.
La deuxième question à se poser est la suivante : puisque l’avènement des hydrocarbures non conventionnels témoigne certainement de la rareté des réserves conventionnelles exploitables existantes ou restant à découvrir, ne faut-il pas s’y intéresser et étudier dès maintenant leur exploitabilité ?
Ces ressources pourraient constituer une solution ou au moins une partie de la solution pour assurer la sécurité énergétique à long terme pour peu que les volumes soient prouvés, la technologie d’exploitation adaptée, les craintes de nuisance éloignées et, bien sûr, le rendement assuré.
6- Les hydrocarbures non conventionnels
C’est cette situation qui a amené les USA à intensifier leurs travaux dans ce domaine depuis une décennie. Le résultat s’est transformé en véritable miracle US, qui a permis l’augmentation de réserves et de production de façon extraordinaire, pour transformer les Etats-Unis en pays exportateur en 2017 semble-t-il.
Mais pour combien de temps encore ? On ne sait pas au juste même si certains analystes parlent d’une simple bulle de production à court ou moyen terme alors que leur avènement, plus particulièrement celui du gaz de schiste et du tight gas, a déjà bouleversé la répartition géographique des réserves et les échanges à travers le monde.
Il y a, par ailleurs, une véritable levée de boucliers contre ce type d’hydrocarbures pour des raisons environnementales, réelles dans certains cas mais pouvant être solutionnées par les progrès technologiques attendus, et contestables dans beaucoup d’autres cas.
Parmi les sept risques potentiels invoqués ici et là, le plus important à mon avis est celui de l’occupation intensive de très grandes surfaces et, par conséquent, leur affectation presque exclusive à l’exploitation gazière, du fait :
– D’un réseau de voies de communication (routes ou pistes) très dense supportant un trafic à haute nuisance ;
– d’une densité et par conséquent un nombre de plateformes de forage cinq à dix fois supérieur par rapport aux gisements conventionnels ;
– Et, enfin, des surfaces d’exploitation exclusives tout aussi importantes du fait que la productivité équivalente d’un km2 conventionnel, par exemple, ne peut être atteinte qu’en multipliant le nombre de puits par km2 et la surface à exploiter.
Les hydrocarbures non conventionnels en Algérie, ou du moins les ressources actuellement en cours d’évaluation, ne sont présents qu’au Sahara, et plus particulièrement au niveau des zones les plus désertiques qu’on ne doit pas comparer aux pâturages américains, polonais ou français. Si cela était à faire au niveau des périmètres agricoles du Sud mis ou pouvant être mis en valeur, ou encore la plaine de la Mitidja, du Chélif, etc., la situation serait alors préoccupante.
Le deuxième risque, tout aussi important, est celui des volumes d’eau utilisés pour la fracturation hydraulique des couches productrices. Il est effectivement inacceptable, quel que soit son volume, quand cette eau est prélevée d’un cours d’eau ou d’une nappe phréatique d’eau douce (proche de la surface) déjà exploitée, souvent aussi surexploitée, pour les besoins humains et agricoles. C’est le cas dans la majorité des exploitations gazières en Amérique et en Europe, d’où la révolte des paysans touchés par cette nuisance.
Ce n’est pas le cas de l’Algérie où :
– D’une part, les volumes d’eau ne seront prélevés que de nappes impropres à la consommation ou de nappes profondes, dont les réserves et le rythme d’exploitation actuels le permettent, avec obligation de réutilisation d’un puits à un autre. A titre d’exemple, et avec une moyenne de 15.000 m3 par fracturation (et non 15 millions comme le disent certains), le forage de 30.000 puits en 25 ans (encore faut-il les faire) nécessitera entre 3,5 et 5 milliards m3, soit 140 à 200 millions de m3 par an.
Les nappes profondes du Sahara (albien et complexe terminal) renferment plus de 45.000 milliards de m3, dont 3,23 milliards de m3 sont soutirés par an pour tous les besoins agricole, humains, et industriels (y compris l’exploitation actuelle des hydrocarbures conventionnels, 6 projets de transfert vers les Hauts-Plateaux pour 450 millions m3/an et Tamanrasset pour 36 millions m3/an). A titre d’exemple, la wilaya de Biskra, à elle seule, rejette 187.000 m3 par jour d’eaux usées, de quoi faire 12 fracturations. Qu’en est-il des pertes énormes et des soutirages souvent inutiles dus à de mauvais procédés d’irrigation ? Oued Ghir charrie, entre Ouargla et les chotts, plus de 300 millions de M3 par an d’eau polluée par les activités agricoles (engrais et lessivage du sel) et humaines, provenant d’un soutirage et d’une irrigation intensive dans ces régions. C’est là qu’il faut faire des efforts d’économie et de traitement de cette précieuse ressource.
– D’autre part, il existe au Sahara d’autres nappes d’eau dont la qualité saumâtre est impropre pour les besoins agricoles ou humain. Ces ressources pourraient convenir aux fracturations pour peu qu’on évalue leurs réserves et la possibilité de leur retraitement préalable.
– Et enfin, ne faut-il pas faire confiance aux progrès technologiques en cours concernant de nouvelles techniques de fracturation avec des méthodes sèches ?
Le troisième risque concerne la contamination des nappes aquifères par la fracturation, c’est-à-dire arrivée dans la nappe du gaz libéré et de l’eau de fracturation contenant des produits chimiques dangereux.
Or, ce risque ne peut exister que quand le réservoir à gaz (couche compacte ou couche de schiste) fracturé est en contact direct avec la couche aquifère, parce que les fractures provoquées ne dépassent guère une trentaine de mètres d’extension verticale. Il peut exister aussi quand la fracturation est provoquée à faible profondeur et en zone comportant des failles (fractures géologiques) préexistantes traversant aussi bien la couche à gaz que la couche aquifère.
Ce risque est effectivement survenu dans de rares cas similaires en Amérique du fait du non-respect, par les opérateurs pétroliers, de la réglementation de protection des aquifères. Cette situation n’existe pas en Algérie (Sahara) du fait que les couches à gaz et les couches aquifères sont séparées par plusieurs centaines, voire 1.500 ou 2.000 mètres, de couches imperméables rarement affectées par des failles préexistantes remontant jusqu’à la surface, et dans tous les cas décelées par les travaux géophysiques préalables à tout forage.
Enfin, une récente étude de l’Académie des sciences des USA vient de prouver que la majorité des cas de pollution de ce genre n’a aucune relation avec la fracturation et serait due, quand elle existe, seulement à l’absence d’étanchéité (cimentation) des tubages des puits, elle-même due à la mauvaise qualité du ciment pétrolier ou à des erreurs et à l’absence de contrôle des opérations de cimentation. Il faut rappeler qu’en Algérie, la fracturation hydraulique est pratiquée depuis plusieurs décennies dans les gisements conventionnels existant pour améliorer la productivité des puits. La fracturation en elle-même n’a jamais provoqué aucun risque de pollution des aquifères. Par contre, la mauvaise qualité des cimentations est survenue dans de rares cas provoquant effectivement des éruptions contrôlées ou des abondons de forage. Mais là aussi, Sonatrach a, à chaque fois, apporté la solution aux risques même quand cela a nécessité des coûts très élevés.
A ce titre, et plus spécialement pour toutes les régions situées entre Timimoun, In Salah, Adrar et Reggane, il y a un peu plus de trente gisements de gaz naturel conventionnel dont un sous la ville de In Salah et certains ont été découverts au cours des années 1950. Certains sont en exploitation avec des dizaines de puits, d’autres sont fermés ou en cours de développement. A ma connaissance, il n’y a pas un seul puits qui a donné lieu à une fuite de gaz vers l’aquifère albien ou autre du fait d’une mauvaise cimentation. Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir de fuite à l’avenir, mais que ce genre d’incident est très rare et tout opérateur pétrolier est en mesure de lui trouver la solution adaptée comme cela se fait dans ce genre de situation.
Pour ce qui est maintenant des risques de pollution des eaux par les produits chimiques effectivement utilisés dans les eaux de fracturation, il faut préciser ce qui suit :
– Le fluide de fracturation est composé de 99% d’eau et à moins de 1% d’additifs chimiques pour adapter le fluide à l’opération de fracturation.
– La majeure partie de ces additifs, dont le nombre ne dépasse pas la dizaine actuellement, sont non toxiques et même souvent utilisés comme additifs dans les produits domestiques habituels.
– Il est vrai que certains d’entre eux peuvent être toxiques à l’état pure ou à certaines doses élevées, mais pas dans le cas des formulations destinées aux fracturations. Cette composition est pratiquement la même que dans toutes les opérations de fracturation actuelles dans les gisements conventionnels algériens pratiquées depuis des décennies en Algérie. La solution ultime pour éviter toute crainte de nuisance est dans le contrôle du respect de la réglementation en matière de traitement obligatoire des rejets en surface et de stockage de tout ce qui ne peut pas être détruit.
Quant à la sismicité évoquée, aucune preuve scientifique n’a été avancée à ce jour dans la majorité des cas signalés. Pour quelques-uns d’entre eux, enregistrés à proximité de puits ayant subi des fracturations proches de la surface, leur intensité est inférieure à 1 sur l’échelle de Richter et rarement entre 1 et 2, pratiquement imperceptible par l’homme.
Enfin, le dernier problème évoqué est relatif à l’absence ou au non-respect de la régulation et du contrôle des activités à risque par les opérateurs pétroliers. Il est vrai que dans de nombreux cas, des opérateurs pétroliers aux USA et en Pologne, exploitant aussi bien les hydrocarbures conventionnels que non conventionnels, ont puisé de l’eau douce à partir de nappes phréatiques et de cours d’eau en surface, ont rejeté des déchets dans ces mêmes cours d’eau ou les ont abandonnés sur place sans retraitement. Mais il faut aussi préciser que la réglementation s’est énormément développée pour prévenir ce genre de situation dans les pays cités ci-dessus.
En Algérie, la réglementation en vigueur est très stricte dans ce domaine, et le plus important consistera donc à faire jouer strictement leur rôle de contrôle aussi large que possible aux agences nationales concernées que sont : ALNAFT et ARH pour le secteur de l’énergie, ANPE pour le secteur de l’environnement et ARH pour le secteur hydraulique. Il faudra aussi associer la société civile au contrôle.
7- Conclusions
– Il est incontestable que les premiers défis auxquels devra faire face l’Algérie sont la satisfaction des besoins alimentaires – et, par conséquent, le développement hydraulique – et la sortie de la dépendance pétrolière de notre économie pour passer de la distribution de la rente pétrolière à sa transformation en véritable économie diversifiée, créatrice de nouvelles richesses et surtout d’emplois durables. Mais sans ressources énergétiques, et par conséquent sans indépendance énergétique à garantir pour le long terme, rien de tout cela ne sera possible.
– Il y a encore des hydrocarbures à découvrir en Algérie mais pas facilement aussi bien sur le plan technique que financier. D’où la nécessité d’intensifier l’effort d’exploration. – Il y a aussi beaucoup de progrès à faire en matière d’amélioration des taux de récupération sur les gisements existant, ce qui correspondra probablement au meilleur résultat à l’avenir.
– Le potentiel de l’Algérie en hydrocarbures non conventionnels semble être très important mais nécessitera des investissements très élevés. Une exploitation peut être envisagée au-delà de 2022 ou 2025, en fonction des résultats travaux d’exploration à mener dès maintenant. Elle pourra alors participer à l’approvisionnement du marché intérieur au-delà de 2030, parce qu’il est peu probable que cette production soit suffisante avant cette date. Le défi sera beaucoup plus technologique qu’environnemental, parce que le contexte algérien en surface et en subsurface ne ressemble en rien à celui qui existe en Amérique du Nord ou en Europe.
– Mais le meilleur des meilleurs sera l’économie et la bonne gestion de toutes les ressources en combinaison avec les énergies renouvelables, à travers un arbitrage adéquat et évolutif entre la rente financière et la sécurité énergétique. De nombreuses opinions sont émises pour dire que les énergies renouvelables sont susceptibles de remplacer les hydrocarbures. Or, toutes les analyses et tous les programmes à travers le monde montrent le contraire, à savoir que leur part dans la consommation énergétique mondiale n’atteindra que 27% à l’horizon 2030. L’Algérie prévoit 37% en 2030, mais d’où viendront les 63% si ce n’est des hydrocarbures ? Il faudra alors investir plus de 60 milliards de dollars dans ce secteur : à partir de quelle rente et probablement au détriment de quel secteur ? Au prix actuel de l’énergie, il faudra aussi passer par leur subvention au même titre que l’énergie non renouvelable, d’où la nécessité de puiser dans la rente actuelle à moins de pratiquer la vérité des prix mais à quel « prix » ?
– L’Algérie est en face d’une transition énergétique impérative, au même titre que tous les pays du monde, et chacun d’entre eux la construit sur la base de ses ressources naturelles, de ses ressources financières, de ses richesses hors hydrocarbures et de ses capacités humaines. Elle n’a malheureusement que ses hydrocarbures, dont les recettes passées ont été presque entièrement englouties dans du social même si d’énormes infrastructures ont été aussi réalisées, mais sans retour de nouvelles richesses pour le moment. Les recettes futures sont aujourd’hui incertaines à cause de la crise pétrolière dont on ne connaît pas l’issue. Voilà donc pourquoi on ne peut avancer que si on décide de faire appel, dans cette phase de transition, à toutes les ressources existantes, toutes les formes d’énergie, toutes les compétences humaines disponibles mais à adapter aux nouveaux défis.
– La transition énergétique est tout simplement une formule à plusieurs inconnues, dont les paramètres techniques relèvent des acteurs et opérateurs économiques de tous les secteurs et de la société civile. Les inconnues sont géopolitiques et relèvent des autorités politiques, mais le défi est commun car « le fruit d’un arbre n’est dans la graine ni dans le bois, mais simplement dans le meilleur usage qu’on en fait ».
(*) Ancien PDG de Sonatrach et ancien ministre des Ressources en eau.
Le titre est de la rédaction de Maghreb Emergent.