Commentant l’annonce par le ministère de l’Energie d’une production gazière algérienne atteignant 151 m3 en 2019, l’auteur de cette contribution* rappelle certains faits contredisant l’optimisme officiel, notamment l’explosion de la consommation intérieure.
Le 7 février 2015, un communiqué du ministère de l’Energie rapporté par l’agence de presse de presse APS annonçait : « L’Algérie devrait atteindre une production de 151 milliards de mètres cubes de gaz naturel en 2019. Durant l’année 2014, nous avons produit l’équivalent de 131 milliards de m3 de gaz naturel, dont 27 milliards de m3 ont été exportés via gazoduc et 28 millions de m3 sous forme de GNL via des méthaniers. » Cette production, précisait le communiqué, concerne, entre autres, les champs gaziers développés situés à Tinhert (Illizi), Gassi Touil (Ouargla), Ahnet (In Salah), Menzel Ledjmet-Est (Illizi) et Bir Berkine (Ouargla).
Afin d’éclairer l’opinion publique sur cette question, je voudrais faire un certain nombre de remarques au sujet de cette annonce.
L’OPEP, malgré ses importantes réserves, ne commercialise actuellement que 33% au niveau mondial, 67% étant accaparées par les pays non-OPEP, notamment la Russie et les USA avec le gaz de schiste (approchant la production de l’Arabie Saoudite). Au Sein de l’OPEP, l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe accaparent plus de 60% de la production. D’ailleurs, il a été constaté que lorsque l’OPEP baissait son quota, c’était souvent la Russie et les autres pays de cette organisation – dont certains n’ont jamais respecté la discipline – qui augmentaient les leurs.
L’Algérie, qui représente moins de 4% du quota OPEP, aurait, selon des sources crédibles, entre 3.000 et 3.500 milliards de mètres cubes gazeux de réserves pour le gaz conventionnel (le chiffre de 4.500 milliards, de source BP, date de 1999 et n’a pas été actualisé). Le champ d’Hassi R’Mel est en déclin après avoir produit 170 millions de mètres cubes par jour pendant 30 ans (il en est de même du champ pétrolier de Hassi Messaoud, où les réserves de pétrole sont estimées à moins de 12 milliards de barils).
Un pays peut découvrir des milliers de gisements mais non rentables financièrement selon le vecteur coût-prix international (le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole). Plus le prix international est haut, plus les réserves marginales deviennent rentables et vice versa : un prix bas rend non rentables les gisements marginaux.
Selon les informations que j’ai recueillies auprès des experts de l’AIE et d’organismes indépendants, l’invocation du pic énergétique, valable dans les années 1970-1990, n’est plus d’actualité, du moins jusqu’à l’horizon 2030. Il s’agit d’éviter des solutions à des problèmes mal posés. Ceux qui prédisent un baril de pétrole à 200 dollars induisent en erreur l’opinion publique algérienne mais pas les experts internationaux. Ils vivent d’illusions, méconnaissent les mécanismes fondamentaux qui régissent les mutations énergétiques mondiales, dans lesquelles il existe un prix de substitution rendant rentable d’autres sources d’énergie. Car si les hydrocarbures ont remplacé le charbon en partie, ce n’est pas parce qu’il n’y avait plus de charbon (plus de 200 ans de réserves), mais parc que leur coût était plus rentable.
J’affirme, avec de nombreux experts, que le cours du pétrole, qui doivent toujours être calculés à prix constants 2015 (le cours de 20 dollars en 1980 équivaut à plus de 90 dollars d’aujourd’hui), n’atteindra jamais 200 dollars tant pour des raisons économiques que géostratégiques. Les quatre fondamentaux dialectiquement liées sont la croissance de l’économie mondiale, les énergies substituables pour un nouveau mode de croissance, de nouveaux procédés technologiques réduisant les coûts et accroissant les réserves et, enfin, les enjeux géostratégiques futurs.
Une consommation gazière intérieure en pleine croissance
Les exportations en volume connaissent une baisse ou une stagnation, n’arrivant pas à dépasser les 55 milliards de mètres cubes gazeux entre 2010 et 2014 (la hausse des prix a voilé, par le passé, cette situation). Concernant le gaz de schiste, le coût d’un puits actuellement dépasserait les 15 millions de dollars, contre un coût moyen fluctuant entre 5 et 7 millions de dollars aux USA selon les gisements. Sans oublier qu’il faudrait résoudre la question des impacts négatifs de son exploitation sur l’environnement et éviter qu’elle ne pollue l’eau du Sahara, qui n’est pas renouvelable.
Si l’on s’en tient aux prévisions du ministère de l’Energie, les exportations gazières prévues entre 2016 et 2020 seraient de 85 milliards de mètres cubes gazeux. La consommation intérieure actuelle en Algérie est d’environ 35 milliards de mètres cubes gazeux allant, selon les extrapolations du ministère de l’Energie et de Sonatrach, vers 55 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2020. Cette consommation pourrait même s’avérer encore plus importante: 75 milliards de mètres cubes horizon 2030 et plus de 120 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2040. Il faudrait ainsi produire 140 milliards de mètres cubes horizon 2020, plus de 160 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2030 et plus 200 milliards de mètres cubes gazeux sous l’hypothèse du même volume d’exportations et au rythme de la consommation intérieure actuel. Paradoxe : entre 2010 et 2015, les ménages consomment plus que les activités économiques traduisant la désindustrialisation du pays. C’est là la conséquence du maintien de la politique actuelle des subventions : le prix de l’électricité est plafonné depuis 2005 et les carburants sont soutenus par l’Etat.
Si l’on s’en tient aux prévisions de Sonatrach, horizon 2020, en cas de maintien de la politique de prévision des exportations de 85 milliards de mètres cubes gazeux, nous aurons un excédent de 11 milliards de mètres cubes gazeux, un déficit de plus de 9 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2030 et 49 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2040.
En résumé, le problème stratégique engageant l’avenir du pays est le suivant : au vu des nouvelles mutations énergétiques mondiales, de l’évolution du prix de cession du gaz, indexé sur celui du pétrole, de l’importance de l’investissement, qui devra être rentable, nous devons penser à impulser les segments hors rente dans le cadre des valeurs internationales. L’Algérie a-t-elle les capacités de produire 151 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2020, 160 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2030, sans repenser son modèle de consommation et sa politique énergétique ?
(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management stratégique.