L’alibi électoral passé, les années FMI nouvel horizon algérien (analyse) - Maghreb Emergent

L’alibi électoral passé, les années FMI nouvel horizon algérien (analyse)

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La chronique hebdomadaire d’El Kadi Ihsane explique pourquoi les élections du 04 mai n’auront été d’aucune utilité à ce qui fait la priorité de l’heure en Algérie.

 

Le gouvernement algérien a perdu en 2017 un quadrimestre dans sa course contre la montre face aux effets du contre-choc pétrolier. Pause électorale ? En réalité, pas seulement. L’échéance des législatives a fonctionné comme un prétexte prêt à l’emploi. Elle a maquillé temporairement l’incapacité à engager la transition vers le nouveau modèle de croissance souhaité, basé sur une allocation plus compétitive des ressources vers l’investissement productif. Le gouvernement Sellal a coupé au plus court pour calmer les angoisses perceptibles dans le sérail.

Il a hachuré dans les importations au-delà de la courbe dessinée dans le plan de cadrage triennal budgétaire de la task force économique auprès du Premier ministre. Il a bloqué le paiement de ses fournisseurs nationaux et étrangers dans les programmes d’équipement de l’Etat à 20% des montants dus en 2016. Un coup de frein récessif irraisonné face à des revenus énergétiques qui se redressent paresseusement. Les réformes en stand-by sont légion.

Sur le front de l’offre nationale de biens et de services, l’ouverture à l’investissement du secteur privé dans les nombreux secteurs qui lui sont toujours fermés (banques, transports aériens et maritimes, enseignement supérieur, réseaux et datas centers, etc.). Pas d’arbitrage politique. Sur le front du changement du modèle de financement des grands équipements publics, le projet de loi sur les partenariats publics-privés (PPP), annoncé dans la foulée de la loi sur les PME, est toujours en souffrance au ministère de l’Industrie. Abdelaziz Bouteflika ne veut pas entendre parler de privatisations.

Et quelqu’un, pas seulement Louisa Hanoune, lui a soufflé à l’oreille que les PPP étaient des privatisations déguisées. Ce qui est une incompréhension cruelle d’un mode d’attraction de l’épargne privée pour réaliser ce qui l’était auparavant strictement avec de l’argent public. A l’arrêt. Enfin, sur le front de la mobilisation des capitaux étrangers pour soutenir l’effort d’investissement en Algérie, le code des investissements de 2016 a expurgé le 49-51 pour le laisser à la discrétion des lois de finances, sans que la LF pour 2017 ne trouve la lucidité d’enchaîner pour enrayer la baisse historique des IDE depuis la LFC de 2009. Conséquence, 2017 est déjà une année au tiers perdu. Elle durcit l’austérité sans créer les mécanismes incitatifs d’une relance de l’investissement privé largement soutenu jusque-là par la commande publique.

Rien faire avec ce vote

Rien de ce qui s’est produit dans le scénario électoral du 4 mai ne permet d’entrevoir en Algérie une accélération de l’auto-ajustement productif pour rattraper le temps perdu. C’est le grand tort des élections fermées. Elles sont illisibles. Le taux d’abstention, bien supérieur aux 67% consentis officiellement, indique le divorce politique entre un pouvoir vieux et usé et une population bridée et désabusée. Sans que la ventilation du vote résiduel permette de soutenir valablement si les Algériens sont favorables à une politique économique de rupture avec celle qui a aggravé la dépendance de l’activité à la dépense publique.

Le débat des législatives, sans portée politique réelle, n’a jamais pu opposer, face à la crise, un programme de défense de la demande solvable (PT) à un programme de renforcement de l’offre domestique de biens et de services (MPA, RCD). Un programme de repli protectionniste à un programme d’insertion à l’économie mondiale. Il aurait fallu pour cela que ce clivage soit fait par une majorité cohérente, d’un côté, et une opposition fédérée, de l’autre.

Conséquence, personne ne sait ce que veulent les Algériens. Sauvegarder le modèle biaisé des coûts des facteurs au risque de se crasher comme en 1988-1994, ou engager une transition vers un modèle non déformant de l’affectation des ressources et des revenus de sorte que l’investissement reparte  ? Même la progression de 50% du score du RND de Ahmed Ouyahia ne permet aucun épilogue sérieux. Trop peu de voix. Tout au plus pourrait-on supputer un stress au sein des élites du pouvoir et de leur base sociale la plus fidèle dont l’intitulé serait  :  «Les choses deviennent trop sérieuses pour les laisser entre les mains d’un FLN chaotique, autour du duo Sellal-Ould Abbès».

Une sorte de demande subliminale de rigueur dans la gouvernance politique qu’incarnerait le RND et son chef Ahmed Ouyahia. L’enjeu économique et social en temps de crise aurait mérité une implication plus forte des électeurs. Les Algériens savent que l’inflexion de la politique économique, son cap, ses revirements, ne se décident pas dans la majorité parlementaire, mais dans le cercle présidentiel, avec voix prépondérante à Abdelaziz Bouteflika lorsqu’il peut l’élever.

Contrairement à ce qu’affirmait de manière scolastique sur un plateau de TV le député Tâazibt, du PT, la spectaculaire désaffection populaire pour le vote n’est pas l’expression de la colère contre les politiques d’austérité engagées par le gouvernement depuis 18 mois. Elle est l’expression lucide que ce n’est pas à l’Assemblée nationale que va se construire le rapport de force pour résister à ces politiques décriées. En ne votant pas, il enlève au pouvoir politique un sondage en taille réelle pour humer le fond de l’air et arbitrer économiquement.  Le pouvoir politique ne peut donc stratégiquement rien faire avec le vote du 4 mai. Surtout pas s’asseoir dessus.

Les deux outrances arrivistes de Ahmed Ouyahia

Au temps perdu depuis juin 2014 pour esquisser une réponse s’est ajouté le temps perdu depuis un an pour mettre en œuvre un nouveau modèle souhaité, le tout aggravé par une pause électorale rédhibitoire. Que va-t-il donc advenir de la gouvernance économique de l’Algérie dans un tel contexte de rupture civique consommée ? Le logiciel d’un virage réformateur vers l’auto-ajustement productif n’est pas disponible dans la base de données des ressources politiques du pouvoir.

Ahmed Ouyahia, qui se positionne désormais à nouveau en recours, détient deux expertises inutiles aujourd’hui. L’une arrive trop tôt, l’application zélée de la feuille de route du FMI. On l’appellera après la cessation de paiement dans trois ou quatre ans. Mais l’Algérie sera sans doute ailleurs. L’autre arrive trop tard, le plan de dépenses de fonctionnement le plus irresponsable depuis l’indépendance entre 2010 et 2012, résonance paniquée du printemps arabe.

L’alternance économique interne au régime combine, avec le chef du RND, les deux outrances arrivistes du soumis au rééchelonnement qui ne cherchent jamais à déplaire à ses bailleurs de fonds, et du «nouveau riche» qui dépense sans réfléchir pour faire plaisir à son président de la République. Les créateurs intelligents de richesses pro-business, comme les gouvernements de centre gauche sud-américains des années Lula, ou des régimes semi-autoritaires d’Asie de la période des années 2000 n’existent pas au FLN et au RND. Dans la majorité du gouvernement en Algérie, le logiciel d’action est éprouvé.

Un gouvernement de walis configuré pour la répartition de la dépense. Incompatible avec la nécessité de faire émerger de nouveaux marchés, de nouveaux acteurs. Maintenant que le prétexte de la pause électorale est derrière nous, il faudra bien faire semblant de reprendre le chantier de la réforme. En attendant les premiers soubresauts tectoniques de l’Algérie qui n’a pas été aux urnes le 4 mai.

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