L’amnistie fiscale, les frères Barberousse et le général Toufik dans le désordre - Maghreb Emergent

L’amnistie fiscale, les frères Barberousse et le général Toufik dans le désordre

Algérie Economique
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La semaine économique (*) commentée par El Kadi Ihsane.

L’opération de « bancarisation » de l’argent flottant de l’économie informelle est un grand succès. Ou un grand flop. Impossible de juger. Aucun objectif chiffré n’a été publié par le ministère des finances, promoteur de cette mesure dans la LFC 2015. Conséquence, les premières indications livrées cette semaine par le président de l’association des banques et des établissements financiers (ABEF), Boualem Djebbar, accentuent la perplexité. Le par ailleurs PDG de Badr Bank, évoque des chiffres épars dans certaines agences de son réseau qui vont de 10 millions à 200 millions de dinars de placements au titres de l’opération de Mise en Conformité Fiscale Volontaire (MCFV). « Après un mois du lancement de l’opération cela est prometteur». Plus précis, le patron du CPA, Omar Boudieb est tout aussi optimiste. 300 millions de dinars placés et plus de deux milliards de dinars de promesses de placements au Crédit populaire d’Algérie. Un optimiste loin d’être partagé. Au sein même des instances officielles. Les impôts ne jubilent pas. Abderrahmane Raouia, le patron du fisc, parle de période d’observation et son directeur informatique de « début timide ». La question est donc bien posée. A partir de quel seuil peut on dire que Abderrahmane Benkhalfa est entrain de gagner son pari d’assécher une partie de l’argent de l’informel qui ne rentre jamais en banque ? Adel Si-Bouekaz, PDG de Nomad Capital, a annoncé sur RadioM, que cette opération de la MCFV pouvait réserver de « belles surprises » au trésor public et aux banques. Pour cet expert des montages financiers, le « milliard de dollars » peut être dépassé. Il s’agit bien de 100 milliards de dinars environ au taux de change actuel. Les paris sont pris. Toutefois, Adel Si Bouekaz pointe l’origine des hésitations des candidats déposants : le texte de loi exclu l’argent dont l’origine est lié à un délit. Or la fraude fiscale est un délit punit par la loi. Une épée de Damocles qui refroidit les ardeurs de « repentance fiscale ». Autre faiblesse signalée du dispositif, le très lent délai de l’opération qui courre jusqu’à la fin de l’année prochaine. Cela peut même pousser à faire tourner encore plus de flux dans l’informel en attendant de le blanchir à l’approche de la clôture du délai de grâce. Contre 7% forfaitairement retenu sur le montant apporté en banque, il y a des secteurs d’activité qui peuvent continuer à utiliser comme « effet de levier » cet argent disponible encore durant prés de 18 mois avant de le bancariser en fin de période. Ou pas. La MCFV sera-t-elle amendée dans la prochaine loi de finances ? Si la timidité constatée au premier mois venait à se poursuivre au début de l’automne, alors bien sur il faudra sauver cette opération phare du début de « mandat » de Benkhalfa. Et améliorer son efficacité. En France et en Italie, les gouvernements utilisent les dispositifs de retour des exilés fiscaux comme complément d’ajustement dans leurs budgets. Les objectifs sont fixés à l’avance. Et la machine travaille pour les réaliser.

 

Il y a exactement 500 ans, année pour année débutait en 1515 l’histoire turque de l’Algérie. Les frères Barberousse arrivaient à Alger pour la protéger des Espagnols, après avoir libérés Jijel d’un début de présence Gênoise. Le gouvernement algérien préfère ne pas célébrer ce tournant dans l’histoire du pays qui a peut être différé de trois siècles la mise sous-tutelle coloniale de l’Algérie, selon un calendrier espagnol différent de celui du capitalisme, déjà industriel, français du début du 19e siècle. En 2015, la Turquie est une grande puissance de retour en Méditerranée. Que peut-elle apporter à l’Algérie ? A l’inverse d’il y a 500 ans, non plus la défense face à l’Europe mais l’esprit de conquête de ce continent, second PIB de la planète. Dans la même semaine la France et la Turquie ont tenu le haut de l’actualité en Algérie. Dans le sillage de la délégation sénatoriale française conduite par le président du sénat, Gérard Larcher, les opportunités d’investissements français en Algérie. Et un mauvais plis qui se dessine : Lafarge, Alstom, Renault, Sanofi pour l’existant, Peugeot pour ce qui devrait arriver. Les engagements français en Algérie sont tournés vers le marché domestique. Peu d’ambitions à l’exportation. Or, Ahmed Ouyahia ne le comprendra jamais lui qui ne parle que des importations, il y’a mieux comme destin pour l’économie algérienne que de substituer ses importations. Cela s’appelle exporter. Les français ne le proposent pas suffisamment. Ils sont souvent dans une démarche de protection de leur marché, l’Europe. Et c’est la où arrivent les frères Barberousse. A Relizane quelques jours avant la visite de Gérard Larcher, est née à Relizane « L’algérienne de sport’s wear Tayal », une joint venture entre l’entreprise publique du textile et le groupe turc « Taipa » spécialisé dans le tissage. 115 milliards de dinars d’investissement prévus sur 250 hectares à Sidi Khettab, 25 000 emplois sur les huit unités prévues. Mais surtout un business plan tourné prioritairement vers l’exportation, en priorité vers l’Europe. Les turcs n’ont pas peur de retraverser la mer. L’histoire dans la bonne boucle.

 

Au moment de chuter dans la rédaction de la semaine de l’économie, une nouvelle qui transcende les rubriques, le général Toufik est mis à la retraite par la présidence de la république. Incidence sur la conjoncture de l’économie ? A priori aucune. Routine institutionnelle. Dans le respect des formes. Gouvernance solide. Cela est donc censé inspirer confiance aux investisseurs. Il n’ y a pas d’homme indispensable dans le système. Sa cybernétique est plus forte. Cependant, du strict point de vue de l’analyse des rapports de force, il est difficile de ne pas noter que le mécanisme qui a emporté le général Toufik et la partie du DRS qui lui sera resté la plus loyale, est plutôt un mécanisme vertueux. C’est celui des enquêtes contre la corruption qui ont ciblé, à partir de 2008, le proche voisinage du président Bouteflika. Le modus vivendi par lequel le président Bouteflika a protégé le DRS des risques de poursuites à l’international pour des méthodes de lutte anti-terroristes extra-légales s’est rompu avec l’affaire Khelil. Jamais l’enquête n’aurait du s’autoriser d’aller aussi loin, de mettre en doute le choix présidentiel en cet homme. Un ami d’enfance. Ceux qui connaissent bien le président savaient que Toufik était fini lorsque ses limiers ont cerné Khelil. Il aurait du alors pousser son avantage. Trop compliqué pour ce militaire d’ordre. Si le signal donné par ce départ est que le business peut rester en Algérie, pour le moment à l’abri, des soubresauts politiques, ce n’est sans doute pas le seul. La direction de l’investigation économique du DRS a été dissoute. Ses méthodes, la transparence de son statut sont bien sur sujets à caution. Il n’en reste pas moins qu’une forme est avorté d’intelligence économique qui peut, à côté de la presse des ONG et de l’opposition politique, prévenir l’Algérie des dérapages de la corruption. L’Algérie est un pays ou les corrompus sont très puissants. Surtout s’ils sont liés à la famille de Bouteflika. C’est aussi le message de la semaine.

 

(*) Chronique publiée par El Watan du 14 septembre 2015.

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