La semaine économique* commentée par El Kadi Ihsane.
Le secteur financier algérien n’a pas vraiment connu de résilience après la faillite frauduleuse de Khalifa Bank en 2003. Le début, la semaine dernière, du second procès de cette faillite est l’occasion d’en revisiter les préjudices indirects. Le principal est qu’en 2015 le secteur privé bancaire est exclusivement étranger en Algérie. Mais ce n’est bien sûr pas la seule raison. Le secteur bancaire algérien est devenu dual. D’un côté, les banques publiques qui tournent lentement avec les dépôts des institutionnels et des entreprises publiques, de l’autre les banques privées qui font de la performance opérationnelle, en particulier dans le financement du commerce extérieur. Cela ressemble à une caricature. Mais la réalité n’en est pas loin. Les deux secteurs, public et privé, ne se fréquentent pas. Chacun ses clients et son périmètre d’affaires. Même le marché interbancaire ou les banques sont supposées s’échanger leurs excédents est restée sous cloche depuis 2009 et la LFC. Instruction non écrite.
Ce climat d’apartheid et de défiance, prégnant dans le secteur, est aujourd’hui un obstacle archaïque devant les nouveaux besoins de financements de l’économie algérienne à l’ère du pétrole décoté. L’émergence d’un marché financier a été contrariée par, entre autres, le quasi-arrêt depuis plus de cinq ans des opérations de levée de capitaux par les entreprises publiques sur le marché obligataire. Le tableau de santé de la place s’est rapidement retourné sans que la conjoncture ne l’intègre vraiment. La place d’Alger n’est plus en surliquidité. Elle n’est pas loin d’être sous-liquide. En un mot, les banques n’ont plus assez d’épargne pour proposer des crédits. Rachid Sekkak, expert financier, y a fait allusion plusieurs fois. Et ce n’est pas vrai pour les banques privées seulement, dont la marge a baissé avec les contraintes sur le financement du commerce extérieur.
Les liquidités des banques publiques ont été méthodiquement siphonnées ces derniers mois par les appels de capitaux du Fonds national de l’investissement (FNI), notamment pour financer son acquisition de près de la moitié du capital d’OTA (Djezzy). Les dépôts de Sonatrach irriguent moins le marché. Les dinars en réserve pour financer de nouvelles opérations se raréfient. Les déclarations des membres du gouvernement qui annoncent le retour vers le marché pour le financement des prochains projets d’équipement publics laissent dubitatifs les staffs de banques. Ils ont du mal à placer des dépôts à terme et des bons de caisse auprès de leurs clients.
Du mal à constituer des dépôts suffisants pour songer ensuite à acheter du papier sur le marché. Celui de Sonelgaz ou celui de l’Entreprise du métro d’Alger. Là n’est plus la question. Prêter devient difficile. Cela arrive au moment où justement la diversification recherchée requiert le plus adéquat de l’accompagnement bancaire. La place financière d’Alger a pris un coup de bambou en 2003 avec la chute de Khalifa et n’a pas fini depuis de faire profil bas. La hausse des prix du pétrole est venue masquer le traumatisme rapidement. Aujourd’hui, elle est face à ses vulnérabilités. Il reste juste à espérer que ce second procès ne va pas achever de l’ossifier.
Le salon du Batimatec a confirmé la santé insolente du bâtiment et des travaux publics en Algérie en 2015. Il est donc un peu normal qu’on y trouve un modèle d’entreprise privée qui, dans le capitalisme algérien, raconte un autre itinéraire possible que celui de la comète Khalifa. Ce modèle, c’est sans celui de GSH, le groupe des sociétés Hasnaoui, leader de l’industrie du bâtiment. En marge du Bâtimatec, GSH a organisé la célébration de son 40e anniversaire. Une opportunité ici pour faire une coupe géologique de l’entrepreneuriat algérien qui marche. Un jeune ingénieur en génie hydraulique, Brahim Hasnaoui, crée son entreprise et soumissionne pour une étude de transfert d’eau pour le nouveau projet Sonelec qui s’implante à Sidi Bel Abbès. Il est retenu, et le directeur du projet, futur directeur général, Mohamed Ghrib, tenu par des délais d’enfer, prend un risque insensé à l’aune de la période de Boumediène. Il confie la réalisation du projet à la boîte du jeune ingénieur : «Si tu échoue, nous irons tous les deux en prison».
Un peu plus tard, un wali fait de même. Pour tenir son planning de réalisation de logements sociaux à Sidi Bel Abbes, il fait confiance à la déjà très dynamique entreprise du jeune Hasnaoui. Deux donneurs d’ordre public ou semi-public ont permis à un futur grand groupe de taille régionale de naître et de grandir. C’était le temps béni où la collaboration entre le public et le privé pouvait être bénéfique à tous.
Lorsque les acteurs, de part et d’autre, avaient l’éthique et l’intelligence de travailler pour le développement de l’Algérie. Aujourd’hui, le groupe Hasnaoui cumule plus de 15 filiales, achète des entreprises au Portugal et en Espagne pour en transférer le savoir-faire en Algérie dans divers métiers de la filière du bâtiment, et abrite de la R et D dans la biotechnologie. GSH a beaucoup dépensé pour localiser en Algérie une production de la semence de base de la pomme de terre, ou pour développer des variétés résistances de plantes fourragères pour améliorer les parcours pour le cheptel de la steppe. Dans la semaine des grands procès de la corruption, les remerciements émus de Brahim Hasnaoui aux acteurs publics, aux hommes qui ont permis à son groupe de naître et de grandir sonnaient comme un requiem pour une Algérie qui a disparu. Celle où le souvenir encore vif des martyrs rendait les Algériens meilleurs.
L’économiste Nouriel Roubini annonce l’entrée du dollar dans la guerre mondiale des monnaies. Roubini est connu pour être l’oracle qui a prédit la crise financière de 2008 aux Etats-Unis. Il y a des raisons donc de le prendre au sérieux. La Fed, la Banque centrale américaine, a mal digéré les résultats de la croissance américaine au premier trimestre. Un tassement que les analystes lient au dollar cher. Les conjoncturistes pensaient que la vigueur de la reprise américaine pouvait résister bien plus longtemps à la dépréciation rapide du yen et de l’euro face au billet vert. Erreur. Les exportations américaines ont freiné brutalement et la consommation intérieure n’a pas pris le relais.
La Fed va donc organiser, selon l’oracle Roubini, dans les semaines qui viennent, un atterrissage d’urgence du dollar. Une mauvaise nouvelle pour les finances extérieures de l’Algérie. Mais qui sait ? Peut-être qu’entre-temps le pétrole sera reparti vers le haut. C’est la prière secrète du gouvernement.
(*) Article publié le 11 mai 2015 sur le quotidien El Watan.