Quel impact aurait sur l’économie la décision le retour du crédit à la consommation décidé par le gouvernement? Peu d’impacts, répond Abderrahmane Mebtoul*, pour qui les campagnes « consommons national » ne peuvent réussir que dans des économies où l’offre est abondante, ce qui est loin d’être le cas de l’économie algérienne, selon lui.
Le crédit à la consommation a été défini par le gouvernement comme étant toute vente de biens ou services dont le paiement est échelonné, différé ou fractionné ; ce terme s’applique aux crédits accordés aux particuliers dont la durée est supérieure à 3 mois et n’excède pas 60 mois. Le contrat de vente ou de prestation de services doit préciser si le crédit couvre partiellement ou en totalité le montant du bien ou du service objet de la transaction. Le bénéficiaire du crédit à la consommation est défini comme étant toute personne physique qui, pour l’acquisition d’un bien ou d’un service, agit dans un but privé en dehors de ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales. Quant aux entreprises éligibles au crédit à la consommation, ce sont celles qui exercent une activité de production ou de services sur le territoire national, et qui produisent ou assemblent des biens destinés à la vente aux particuliers et qui vendent avec factures. Le montant mensuel global de remboursement du crédit contracté par l’emprunteur ne peut en aucun cas dépasser 30% des revenus mensuels nets régulièrement perçus, afin d’éviter le surendettement.
Le surendettement est défini comme une situation d’accumulation de dettes caractérisée par l’impossibilité manifeste pour le consommateur de bonne foi de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir, créant un déséquilibre de son budget ne lui permettant plus de faire face à toutes ses échéances de paiement. Rappelons ici que le gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Laksaci, avait annoncé, le 17 août 2014, que le retour au crédit à la consommation sera accompagné par l’entrée en service de la centrale des risques prévue dès le deuxième semestre de 2015. La centrale des risques fournira des éclairages aux banques et permettra de connaître le stock des crédits de chaque client qui aura un numéro bancaire unique. Elle permettra également l’élaboration d’une liste noire qui regroupera les clients qui ont un endettement excessif et seront interdits à nouveau de prêt du fait qu’ils auront dépassé un certain seuil. La saisie des biens hypothéqués, qui est un élément normal dans la gestion des crédits, est le dernier recours pour recouvrer les crédits accordés, avait rassuré Mohamed Laksaci, selon qui les banques algériennes ont recours à cette solution avec beaucoup de prudence.
Une offre nationale très faible
Dans les pays développés, le crédit à la consommation dynamise l’économie par la consommation (théorie keynésienne de la relance de la demande globale consommation et investissement) mais en Algérie le blocage est d’ordre systémique. En témoigne la dévaluation de la monnaie nationale, qui, dans les pays à économie productive, constitue un dumping à l’exportation (yuan chinois) : cette monnaie est passée de 4,94 dinars un dollar en 1971 à 12,19 dinars un dollar en 1990 et à plus de 95 dinars un dollar durant le premier trimestre 2015 sans que les exportations soient dynamisées pour autant.
Le problème pour l’Algérie réside dans la faiblesse de l’offre de la production locale ; le modèle keynésien de relance de la production par la consommation, qui part de l’hypothèse de l »existence d’une offre sous-utilisée, n’est pas transposable dans notre pays qui souffre d’absence de facteurs de production compétitifs en termes de coût-qualité. Les exportations d’hydrocarbures représentent 98% de la valeur des exportations et sur les 2% d’exportations hors hydrocarbures, plus de 50% proviennent des dérivées d’hydrocarbures ! La rente pétro-gazière permet d’assurer l’importation de 70% des besoins des ménages et des entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%.
J’attire l’attention du gouvernement sur la nécessité d’« appliquer avec précaution cette mesure car cet octroi de crédits peut entraîner l’accroissement des importations de matières premières et peut donc créer des tensions au niveau de la balance des paiements. Par ailleurs, il existe un lien entre la logique rentière et la sphère informelle à dominance marchande, avec des influences au niveau de certains segments du pouvoir, sphère qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation et 65% des segments des produits de première nécessité, pénalisant les activités productives. Face à la détérioration du pouvoir d’achat, ne risque-t-on pas d’amplifier l’emprise du crédit informel, avec des taux d’usure (1) ?
Obliger les entreprises à augmenter le taux d’intégration de leurs produits
La suppression du crédit à la consommation est-elle la solution adéquate pour contenir les importations ? Pour bon nombre d’experts, le crédit à la consommation peut s’avérer d’un impact limité sans objectif stratégique, puisque il n’est pas imposé de taux d’intégration pour les produits concernés (ce taux aurait été prévu à environ 40% initialement). J’avais proposé au gouvernement que soit conclu un contrat avec les unités qui ont au départ un taux d’intégration faible de 15%, contrat qui leur ferait obligation, au cours d’une période déterminée, d’un transfert technologique, managérial et d’une balance devises positive, avec le but de faire passer ce taux progressivement à 20 puis à 40/50%.
La question essentielle qui se pose est celle de la transition vers une économie hors rente assortie d’une transition énergétique du fait de la faiblesse de la croissance moyenne (inférieur à 3% entre 2000 et 2015 malgré une dépense publique sans précédent depuis l’indépendance politique). L’Algérie ne peut continuer à ce rythme de dépenses. Sans compter qu’avec la chute du cours des hydrocarbures il y a un risque d’épuisement du Fonds de régulation des recettes courant 2016 (48 milliards de dollars à fin 2014, alors que le déficit budgétaire de la loi de finances 2015 dépasse 44 milliards de dollars à un cours de 95 dinars pour un dollar). Il y a également un risque d’épuisement des réserves de change avant 2020 (entre juillet et décembre 2014 15,6 milliards de dollars ont été épuisés et, selon le FMI pour le mois de janvier 2015, plus de 11 milliards de dollars).
L’on doit impérativement lever toutes les contraintes pesant sur l’environnement des affaires, réformer le système financier et le système socio-éducatif, et résoudre le problème du foncier, dans le but d’encourager l’économie de la connaissance et l’entreprise créatrice de richesses, qu’elle soit publique ou privée, locale ou internationale. Il est temps de changer de cap en évitant de miser sur l’unique dépense monétaire et uniquement sur les infrastructures qui ne sont qu’un moyen de développement.
Mieux affecter les subventions
L’amélioration du pouvoir d’achat des Algériens passe inéluctablement par un retour à une croissance réelle hors hydrocarbures. Ceci pose le problème des subventions qui avec les transferts sociaux ont représentées en 2014 environ 60 milliards de dollars (27-28% du produit intérieur brut). Selon la Banque mondiale, pour les carburants uniquement, le montant a dépassé les 20 milliards de dollars l’année dernière, et selon le PDG de Sonelgaz, du fait du prix de l’électricité plafonné depuis 2005, le déficit de cette société est passé de 44 milliards de dinars en 2012 à 80 milliards de dinars en 2014.
Un débat national sur les subventions généralisées, non ciblées, est urgent. Il y a lieu de prévoir la budgétisation des subventions par le Parlement, avec une affectation précise et datée par une Chambre de compensation aux secteurs inducteurs et les catégories les plus vulnérables afin d’éviter le gaspillage et les fuites hors des frontières. C’est que le taux d’inflation officiel est compressé artificiellement par les subventions via la rente des hydrocarbures, sans lesquelles il dépasserait les 10%. Le cadre macro-économique est également relativement stabilisé par cette rente, et cette stabilisation n’est qu’éphémère sans profondes réformes structurelles.
Notes
(1) Cf. notre étude sur la sphère informelle, Institut français des relations internationales (IFRI), décembre 2013.
* Professeur des Universités et expert international en management stratégique.