L’époque du militant politique qui colle des affiches, sillonne les rues des villes et villages pour faire la promotion de son candidat et met la main à la poche pour faire triompher sa cause semble révolue dans l’Algérie électorale de 2014.
L’Algérie « post-décennie noire »patauge dans l’argent et tous les moyens sont bons pour obtenir sa part du gâteau. La campagne électorale étant propice à la dépense, beaucoup de « futés » n’ont pas de raison de s’en priver.
Il y a d’abord les classiques « placeurs » dans les fameuses «commissions de surveillance » et les bureaux de vote. Un filon porteur. A Alger, grâce à une connaissance proche d’un candidat qui peine à pourvoir les commissions communales de surveillance à Bouira et Blida, Hakim s’occupe de placer des copains. Ils toucheront 40.000 D.A chacun. Il leur est juste demandé de se déplacer à Lakhdaria ou Ahnif (wilaya de Bouira),par exemple, pour percevoir l’argent après leur enregistrement administratif. Le jeune démarcheur prélève une « dîme » de 10.000 D.A sur chaque « placement ».Un petit job tranquille en somme.
Le topo est un peu différent pourles colleurs d’affiches des candidats et les « déchireurs » de celles des candidats adverses.En rentrant chez lui, Mohammed, enseignant à la Faculté de droit à Tizi Ouzou tombe sur un groupe de jeunes qui s’occupe de couvrir tous les murs de la cité des affiches d’un des candidats. Quand il leur demande pourquoi ils font cela, la réponse de l’un de jeunes qu’il connait bien, est d’une simplicité déconcertante : « On ne fait rien de mal.On mange gratis à midi et le soir dans un bon restaurant, et on a 5.000 DA à chaque fin de journée. »
Des « tarifs » proportionnels aux « risques »
Dans les villes où la tension électorale n’est pas à son comble, les membres des équipes d’afficheurs,encadrés par « une personne sûre », reçoivent 1.000 D.A chacun pour une tournée d’environ deux heures. En revanche, dans les endroits jugés « chauds », les enchères montent rapidement, car il faut des personnes qui soient prêtes, le cas échéant, à se frotter aux troupes des candidats adverses. La mission étant d’afficher les portraits du candidat et recouvrir – ou déchirer – ceux des adversaires, les risques s’agressions sont plus élevés. Et les « rémunérations » montent en conséquence. De nuit, pour certains quartiers de la capitale par exemple, une équipe peut percevoir jusqu’à 50.000 DA pour arracher les affiches des concurrents et inonder l’endroit avec celles de « son » candidat.
Pour faire monter les enchères, les simulations d’agressions sont légion.« C’est de bonne guerre et cela ne dure que le temps d’une campane, » confie « un spécialiste »des bonnes affaires en période électorale à Bab Ezzouar, une banlieue de l’est d’Alger.
Les « remplisseurs » de salles de meetings
Remplir les salles de meetings est un vrai casse-tête pour les candidats. Même le camp présidentielpeine à mobiliser les foules.Probablement du fait de l’absence physique du candidat Abdelaziz Bouteflika pendant cette campagne,la classique réquisition des travailleurs des entreprises publiques ne suffit plus. Payer les « spectateurs » devient le moyen le plus sûr pour garnir des salles qui, autrement, resteraient vides. Pour rameuter la foule,rien ne remplace l’argent :1.000 dinars pour un badge qu’il faut restituer à l’entrée de la salle. Les vigiles chargés de la « sécurité », qui se recrutent en général dans le milieu des « baltaguia », louent leurs services à pas moins de 5.000 dinars par meeting.
Les risques encourus dans les lieux ouverts ou dans certaines régions « à risque » comme les Aurès, le Sud ou la Kabylie font monter la mise.
Le phénomène des salles de meeting dégarnies et de la perturbation des réunions électorales est le même dans l’émigration, en particulier en France.Assister à un meeting est rémunérée, au bas mot, à 50 euros,transport et sandwich compris. La « sécurité » est assurée par des sociétés privées qui se chargent de ramener une partie du public.Leur rémunération reste confidentielle.
Les « simulateurs » de vote
Si de nombreux jeunes, pas toujours désœuvrés d’ailleurs, arrivent à se faire un petit pactole pour « souffler », de nombreux d’observateurs impliqués dans cette campagne estiment que le gros de l’argent circule dans les sacs en plastique. Les circuits légaux n’interviennent qu’à la marge afin d’obtenir les quitus administratifs nécessaires pour justifier la « consommation » intégrale des subventions reçues des pouvoirs publics.
Assistera-t-on, le jour du vote, à des déplacements organisés et rémunérés pour « envahir » les bureaux de vote ? Nos spécialistes « es-campagne électorale » n’écartent pas cette possibilité : « L’argent circule à flots et rien n’empêcherait d’organiser et de filmer des bousculades au niveau de certains bureaux de vote le 17 avril, pour accompagner un taux de participation officiel acceptable ».