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La non-présidence Bouteflika ou le coût économique de l’irresponsabilité

Par Maghreb Émergent
septembre 30, 2014
La non-présidence Bouteflika ou le coût économique de l’irresponsabilité

La dernière semaine a montré ce que l’Algérie sait depuis longtemps : Elle n’a pas de timonier au gouvernail. Ce n’est pas sans frais. L’impact de l’affaire Hervé Gourdel n’équivaudra pas celui de Tiguentourine en janvier 2013. Dans le premier cas, l’Algérie redevient une destination à éviter ; dans le second, elle a perdu 8% de sa production gazière pour 18 mois. Mais pour autant, l’accumulation des deux drames agrège une somme dialectiquement supérieure à l’addition des deux. L’Algérie n’est pas gouvernée en mode conventionnel. Son Président est absent. Son Premier ministre ne fait pas sérieux. Et le tout ne va pas sans coûts. Car cela se perçoit de plus en plus clairement au-delà du pays, chez les partenaires d’Alger.

Les dégâts de court terme sont déjà là. L’assassinat d’Hervé Gourdel sinistre la saison du tourisme saharien. Moins de 3000 visiteurs étrangers attendus ? Certes ce n’est pas beaucoup, mais un écosystème fragile en vit, à Tamanrasset et à Djanet. Le début de la feuille de route qui fera des revenus du tourisme une première source d’appoint à la baisse des revenus énergétiques est encore reporté. La vérité, c’est qu’au gouvernement, personne ne s’en affole. Un embargo sur les visas pour les touristes étrangers était organisé par le ministère des Affaires étrangères. Il précédait celui qui va arriver, de facto, avec le warning sur l’Algérie que les chancelleries occidentales distillent à tour de rôle, après les images horribles de la semaine dernière.

Le gouvernement, dominé par le point de vue sécuritaire, ne voulait pas de touristes étrangers pour ne pas avoir à veiller à leur intégrité physique. Il est servi. Au delà de toute espérance. Mais pourquoi donc la non-présidence Bouteflika a-t-elle un coût dans ce cas ? Parce que la prospective la plus optimiste dit qu’il faut changer de cap totalement sur la question. Les revenus du tourisme sont un enjeu stratégique pour l’Algérie dans dix ans. Et donc les dépenses pour sanctuariser le territoire sont déjà équivalentes, aujourd’hui, à de la séismique 3D pour trouver du gaz ou du pétrole. Pour la promotion du tourisme comme pour la circulation des capitaux, la fin des monopoles publics non nécessaires, ou encore le rétablissement du commerce terrestre légal avec le Maroc, il faut avoir conscience du choc des finances publiques qui approche. Et avoir les moyens politiques d’en réduire le coût économique et social. La non-présidence de Bouteflika n’a ni conscience ni agenda.

Le budget prévisionnel de la loi de finances pour 2015 ignore le choc qui arrive :  Il reprend la formule des années du pétrole à plus 100 dollars et de la production à plus de 210 millions de tonnes d’équivalent pétrole (Mtep) et y adosse un train de vie encore plus coûteux. La non-présidence ne peut pas introduire les corrections dans les finances publiques. Personne, dans la non-présidence, ne veut prendre la responsabilité de détricoter le mode d’allocation des ressources qui a rallongé les années Bouteflika sur le dos d’une cavalerie de subventions. Conséquence : la loi de finances pour 2015 ressemble à un coup de poker de la comptabilité nationale.

Exactement le même que celui de la loi de finances pour 1984 qui n’avait pas intégré l’inflexion du marché pétrolier de 1983 annonçant le contrechoc de décembre 1985. Le prix du brut ne devrait pas revenir au dessus des 100 dollars avant le second semestre 2015, prédisent une majorité d’analystes. Conjoncture mondiale dépressive. Et la reprise américaine, plus ferme que prévu, n’y changera rien. Les USA seront bientôt autosuffisants en hydrocarbures. Dans ce trou d’air de neuf mois minimum, le plancher du prix du baril, lui, est flou. Il pourrait passer durablement sous les 89 dollars où se situait vaguement, il y a deux ans, le point d’équilibre du budget algérien. Cela préoccupe Youcef Yousfi, qui dit suivre «avec attention» la situation. Mais n’a aucune incidence sur les prévisions de dépenses pour l’année qui vient.

Un doux suicide entre amis. Le scénario du milieu des années 1980 n’aura donc servi à rien. L’engagement d’une nouvelle politique économique n’a donc commencé qu’en 1986, lorsque l’étau de la dette s’était resserré sur la Banque d’Algérie. Mais il a fallu trois ans, une révolte urbaine, une libération de l’expression démocratique et l’arrivée du gouvernement des réformes en 1989 pour que le nouveau cap économique, en situation de rareté de la rente pétrolière, se mette en route. Surtout, il a fallu la décision, finalement bonifiée par le temps, d’un président peu compétent, Chadli Bendjedid, mais patriote et plein de bon sens, pour faire le virage de l’auto-ajustement. Trop tard. En 2014, sans Président aux affaires, sans rareté encore palpable de la rente pétrolière, aucun changement de cap à l’horizon. Le choc est désormais une certitude.

L’économie rentière algérienne est en fin de vie. Les Algériens ont besoin de développer rapidement de nouvelles sources de revenus extérieures pour prendre le relais : Et bien plus vite que ce que chacun le croit. L’assassinat répétitif de l’Algérie comme future grande destination touristique est aussi préjudiciable que des puits de pétrole asséchés. Le changement de cap économique — «la désintoxication de la rente», dit le porte-parole du think tank Nabni — nécessite une très puissante gouvernance politique. Légitime et éclairée. Les événements de ces deux dernières années démontrent toutes les semaines que c’est ce dont le pays manque le plus. La non-présidence Bouteflika a bien sûr un coût. Les Algériens l’ont connu dans les années 1980 avec la crise de la dette et l’austérité dramatique de la décennie qui a suivi. Ce coût est celui de l’irresponsabilité.

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