La propagande expliquée à un procureur de la République - Maghreb Emergent

La propagande expliquée à un procureur de la République

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Durant le procès en appel d’El Kadi Ihsane, le procureur de la République a entamé son réquisitoire en évoquant le rôle de la presse dans la société en rappelant qu’elle est traditionnellement considérée comme le « quatrième pouvoir ».

Pour illustrer son assertion, il rappelle le rôle de la presse américaine dans la justification de l’invasion de l’Irak. A partir de cela, le procureur s’embarque dans un développement qui décrit la presse algérienne, du moins dans sa partie audiovisuelle, comme mineure – de par sa jeunesse (sic) – qui aurait besoin de la tutelle des pouvoirs publics pour qu’elle ne dérive pas. Il a ainsi justifié la nécessité d’un agrément, à « l’image d’une armurerie qui aurait besoin de l’agrément du ministère de la défense nationale pour vendre des armes ». 

Le choix de commencer le réquisitoire par l’idée qu’il se fait du rôle de la presse est une preuve criante que le procès de Ihsane El Kadi est bien celui d’un journaliste et d’un patron de presse qui gère des médias qui gênent et qui écrit des articles qui « font mal ».

Bien pire, l’image de la presse que le procureur a défendue est à l’opposé d’une relation apaisée avec le peu de médias libres qui existent encore et qui conduirait, à moyen terme, à une entame de liberté de la presse. Bien plus, les propos du procureur découlent en droite ligne des politiques publiques en matière de production artistique, d’édition et de presse. Toutes se caractérisent par une forte tendance à un contrôle excessif, voire à une caporalisation totale, qui est en fait une forme de censure qui cache à peine son nom.

C’est dans un second temps que le procureur a essayé de se rattraper, en vain, en rappelant que ce n’est pas au journaliste que la justice s’attaque mais à la personne elle-même. Selon l’accusation, El-Kadi est soupçonné d’« avoir reçu des sommes d’argent et des privilèges de la part de personnes et d’organisations dans le pays et à l’étranger afin de se livrer à des activités susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’Etat et à sa stabilité ». El-Kadi est accusé de « financement étranger de son entreprise », au titre de l’article 95 bis du Code pénal. Ce texte prévoit une peine de prison de cinq à sept ans pour « quiconque reçoit des fonds, un don ou un avantage… pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’Etat, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale ».

Les avocats, dont Maitre Zoubida Assoul, ont vite fait de démonter l’argumentaire du procureur en dénonçant fortement la confusion faite entre la personne morale et la personne physique qui a abouti à perquisitionner les locaux d’Interface Médias et à mettre sous scellés cette SPA dont Ihsane El Kadi est juste le directeur général.

C’est une autre preuve flagrante que ce sont bien les médias d’Interface Médias qui sont visés dans le but de les faire taire. Maitre Assoul a rappelé que le journaliste, embarqué de chez lui à minuit et demi, a été gardé dans les locaux de la DGSI pendant cinq jours sans qu’il ait été interrogé une seule fois. Ce n’est qu’après avoir fouillé son téléphone mobile (autre irrégularité juridique) et trouvé un échange avec sa fille Tinhinane, également actionnaire de la société, qu’il a été mis sous mandat de dépôt, au titre de l’article 95 bis du Code pénal. Les avocats ont, de la même manière, démontré qu’il n’y avait rien d’étrange dans l’envoi d’une aide financière d’une fille à son père et encore moins aucun étranger.

Dans sa plaidoirie, Maitre Abdelaghani Badi, de la même manière que ses confrères Assoul, Samaïl, Ait Larbi et Zahi, remis en cause le manque de précision des articles qui ont amendé récemment le code pénal, tels que le 95 bis ainsi que leur constitutionnalité. Il a considéré cet article comme une loi des âges les plus sombres de l’histoire de l’humanité tant il est éloigné des standards juridiques et législatifs des sociétés modernes. Il a ensuite dénoncé l’absence totale de preuves relatives à des « activités susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’Etat et à sa stabilité » ou encore à «la sécurité de l’Etat, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale ».

C’est selon lui une injustice totale et un motif plus que probant pour annuler les poursuites et libérer El Kadi Ihsane. Il a démontré que El Kadi Ihsane, les articles qu’il a signés, ceux publiés sur les médias qu’il dirige ainsi que les émissions produites et diffusées sur Radio M, n’ont à aucun moment été accusés de faire de la propagande, de diffamer ou même fait l’objet de demandes de mises au point. Pour Maitre Badi, le terme même de propagande n’est plus utilisé, du point de vue institutionnel, dans aucun pays depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Il a rappelé que le dernier état à avoir un ministère de la propagande a été le Troisième Reich de Adolf Hitler. Du point de vue de ce qui définit la propagande, Maitre Badi estime que ce sont les médias publics qui doivent être accusés d’en faire parce que ce sont ceux-là qui « mentent au peuple à longueur de journée ».

Selon maitre Badi, le procès de El Kadi Ihsane se base sur un dossier complètement vide qui rappelle, au même titre que de nombreux procès de la dernière période, les heures les plus sombres de la justice en Algérie. Il a évoqué pour l’exemple le procès de Chabani, fusillé en septembre 1964 après un procès sommaire, et les procès de la Cour de Sureté de l’Etat, supprimée en 1989, mais qui a condamné un, grand nombre d’opposants dès sa création en 1975.

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