Le gouvernement algérien planche sur un plan quinquennal, sans référentiel théorique : Comme d’habitude. L’Algérie officielle a réfléchi deux fois depuis l’indépendance. La première, au milieu des années 70’ avec la stratégie des industries industrialisantes. La seconde, à la fin des années 80’ avec les cahiers de la Réforme. Dans les deux cas, il existait un cadre théorique référentiel pour décider des politiques publiques sur la perspective décennale. Ce moment essentiel a disparu depuis 20 ans. Le FMI a vendu un prêt-à-porter pour l’Algérie pour la rendre solvable à ses créanciers. Puis, une fois le solde rétabli, plus rien. La théorie économique est pourtant au cœur des choix de stratégies de développement. C’est, par exemple, une des théories d’universitaires nord-américains qui dictent depuis 2009 la politique d’austérité en zone euro. Elle est basée sur l’étude selon laquelle les pays dont l’endettement public dépasse les 90% du PIB ont une croissance plus faible que celle des pays en dessous de ce ratio d’endettement public.
Conséquence, la contraction de la dette publique est devenue pour Bruxelles, mais aussi pour le FMI, la priorité des priorités. Le problème est que cette traque du déficit public s’est déroulée dans un contexte européen récessif provoqué par la crise financière et la raréfaction du crédit aux entreprises. Mais pas seulement. La théorie s’est avérée biaisée. Comme l’a avoué il y a un an Olivier Blanchard, l’économiste en chef de la Banque mondiale. Les pays à la dette publique la plus forte ne sont pas obligatoirement ceux qui ont la croissance la plus molle d’une part, et l’effet dépressif de la réduction des déficits publics sur l’activité a été largement sous-estimé. Voir le cauchemar de la Grèce.
Dans les logiciels du FMI, une baisse de 1% du déficit (rapporté au PIB) n’entraînerait pas plus de 2% de baisse du PIB sur une année. Dans les faits, la baisse de la richesse produite à cause des coupes budgétaires a été bien supérieure. La question, dans le cas algérien, est donc de savoir sur quel schéma théorique travaille le gouvernement, celui de la rareté budgétaire, comme en Grèce et dans le sud de l’Europe, ou celui de l’abondance, comme les dix dernières années. L’expérience européenne montre que les erreurs de politiques publiques peuvent être dramatiques. Avant et pendant la crise. En Grèce, il ne fallait donc sûrement pas aggraver la baisse d’activité importée de l’Europe et de son modèle en fin de vie par une austérité aussi impitoyable dans les dépenses publiques. En Algérie, l’enjeu est différent. Il consiste à ne pas se retrouver dans moins de dix ans dans la situation de la Grèce.
Tout le monde l’aura compris, le gouvernement va encore dépenser sans réfléchir : Avec Abdelmalek Sellal à sa tête, il est, il faut l’admettre, difficile d’imaginer qu’il puisse en être autrement. Il pourrait pourtant commencer par évaluer le multiplicateur de ses dépenses budgétaires sur le taux de croissance. Il est l’un des plus faibles au monde. L’incidence d’un dinar de plus dépensé par le Trésor public sur un dinar de plus généré par le PIB est à peine supérieur à 1. Sur ce plan, Abdelatif Benachenhou n’avait pas tout faux lorsque ministre des Finances il traînait des pieds en 2003 pour lancer de grands travaux publics financés par le budget de l’Etat. Et résistait à la hausse des salaires. Pour lui, ce sont les partenaires commerciaux de l’Algérie qui en profiteraient. A cause d’une — inévitable ? — expansion des exportations. Là où il y a eu exagérations dans la coupe des dépenses budgétaires, il y a un risque inverse en Algérie.
En insistant sur ce biais, cette chronique ne vise pas à appauvrir les Algériens avant que les exportations énergétiques s’effondrent. Elle espère obtenir un ajustement en douceur du niveau de vie de l’Etat à son niveau de revenu du moyen terme. Mais cela ne suffit clairement plus pour éviter un effondrement des finances publiques autour de 2020. Il faut inventer une nouvelle compétitivité qui n’est plus seulement celle des ressources naturelles. La théorie économique guide aussi ces choix-là. Elle a un point de vue sur les déficits cumulatifs, mais aussi les excédents consolidés. Dans le cas de l’Algérie, cela crée un effet d’éviction de l’investissement productif. Car importer coûte moins cher.
Les acteurs économiques sont rationnels. Ils vont vers le meilleur rendement de court terme. La première recommandation d’une politique «contra cyclique» du syndrome hollandais est sans doute d’éviter la conversion mécanique des moyens de paiement extérieurs en importations. Rendre le conteneur plus cher passe par une dévaluation modulée du dinar avant tout autre politique incitative de l’investissement en Algérie. Là aussi, il faut calculer le multiplicateur d’une telle décision sur le commerce extérieur. Travailler donc sa théorie. Comment tirer le meilleur profit d’un positionnement low-coast plus marqué ? L’Algérie a fait disparaître tout instrument de le savoir. Le gouvernement planche sur la répartition des enveloppes pour le prochain plan quinquennal. Il y a dix ans, son homologue de la Grèce faisait pareil.
Le PDG de Sonelgaz, Nourredine Boutarfa, a promis un été sans tensions sur l’approvisionnement en électricité : Les premiers délestages estivaux sont déjà intervenus dans la couronne algéroise la première semaine du Ramadhan. Le risque d’une tension plus forte est latent. C’est l’occasion de rappeler ici la déroute stratégique de Youcef Yousfi, le ministre du Carbone, qui a inauguré à Adrar, cette semaine, la première ferme éolienne algérienne. En 2014, le pays n’a toujours pas fait décoller son industrie du solaire thermique. La porte d’entrée du renouvelable partout dans le monde. Utiliser du gaz, et donc de l’électricité, et inversement de l’électricité et donc du gaz, pour chauffer l’eau durant l’été est un geste économiquement absurde dans un pays comme l’Algérie entre mai et octobre.
Le mécanisme d’aide à l’installation des chauffe-eau solaires est peu connu, peu incitatif et trop centralisé (Aprue). Bref, c’est un échec aussi tonitruant que l’opération Ousratic. Sauf que, combiné à la gestion de Chakib Khelil, ses conséquences sont dramatiques sur l’accélération de l’épuisement de Hassi R’mel. Le gouvernement n’a pas de feuille de route sur les énergies renouvelables. Pas de ministre de l’Environnement digne, un ministre de l’Energie qui pense que le gaz de schiste est la solution. Que dit la théorie économique ici ? Rien. Elle n’a jamais prévu un tel aveuglement chez des acteurs publics.
Article paru dans le quotidien El Watan