L’Algérie ne subventionne pas seulement les pauvres. Désormais, la Banque d’Algérie va subventionner les riches, en leur offrant la possibilité de transférer des capitaux à l’étranger.
La Banque d’Algérie ne se contente pas de prêter aux riches, elle leur fait des cadeaux. D’immenses cadeaux qu’ils ont réussi à obtenir grâce à un lobbying très efficace, mené par le patronat algérien pour obtenir le droit de transférer de l’argent à l’étranger, sous forme de capitaux à investir. Et la victoire, consacrée par une circulaire de la Banque d’Algérie autorisant ces investissements, est un véritable coup de maître.
Les patrons vont ainsi pouvoir travailler à l’international, avec le concours de l’Etat algérien, alors qu’ils multiplient leurs critiques contre le gouvernement. Car même si la bureaucratie de la Banque d’Algérie garde, en pratique, un droit de regard sur la procédure mise en place, le coup est réussi. Et c’est désormais l’Etat qui va offrir à ceux qui organisent le transfert d’argent vers l’étranger la moitié des fonds souhaités. Un joli cadeau à ceux qui exportent des devises.
Ce coup est devenu possible grâce au taux de change artificiel pratiqué par la Banque d’Algérie. La parité actuelle, 105 dinars pour un euro, est maintenue, alors qu’au taux réel, il faut 160 dinars pour un euro. La différence entre le taux réel et le taux officiel est de près de 50%. Officiellement, le taux officiel est maintenu pour aider les couches les plus défavorisées. Cela entre dans le cadre des mesures multiformes destinées à soutenir les prix de certains produits, en vue de préserver la paix sociale.
Mais concrètement, cette mesure va avoir une nouvelle signification avec la dernière mesure de la Banque d’Algérie. Prenons l’exemple d’un investisseur qui a besoin de 10 millions d’euros pour racheter une affaire à l’étranger. Il présente un dossier qui, une fois accepté, lui permet de verser un milliard de dinars pour avoir l’équivalent en euros. S’il devait acheter les devises sur le marché informel, il lui faudrait 1,5 milliards de dinars. L’Etat algérien lui a donc fait un cadeau d’un demi-milliard de dinars.
Campagne habile du patronat
Le patronat a su mener sa campagne. Il a présenté l’affaire sous un jour très favorable : il s’agit de de donner aux Algériens la possibilité d’investir à l’étranger. Pourquoi les empêcher? Et qui peut les en empêcher? Qui peut être contre cette idée? Comment ne pas approuver ceux qui plaident pour le déploiement d’entreprises algériennes à l’international ? Dans un monde qui parle « doing business », qui utilise le langage FMI et Banque Mondiale, et où il est question d’offrir des facilités aux entreprises pour créer de la richesse, personne ne peut s’opposer à une telle demande. Surtout pas l’Etat algérien, si décrié pour les multiples entraves, et les « dos d’âne » administratifs mis en place par Ahmed Ouyahia et ses compagnons.
Mais ce qu’ont obtenu les patrons, c’est, en réalité, la possibilité de transférer à l’étranger des dinars achetés au taux officiel. Des dinars subventionnés. Pour les pauvres, l’Algérie subventionne le pain et le lait. Et pour les riches, elle subventionne l’achat d’usines et le transfert de devises. Ce qui risque de donner lieu à une évasion massive de capitaux.
La Banque d’Algérie pourra toujours dire, selon une formule très algérienne, qu’elle a mis en place les « mécanismes nécessaires » pour contrôler les flux financiers ainsi générés. On parlera de balance devises et de délais légaux de rapatriement. Mais dans l’Algérie post-Chakib Khelil, personne ne croira à l’efficacité de ces mécanismes, qui ne s’appliqueront jamais. Du moins pas aux amis. Et puis, il s’agit, aujourd’hui, de faire sortir l’argent. Comment faire en sorte qu’il ne revienne pas? On verra bien le moment venu. Le FCE planchera sur le dossier dans quelques années. Il trouvera la solution.
Les alternatives existent
Etait-il possible de faire autrement ? Bien sûr. Laisser glisser le dinar pour l’amener à un niveau proche de sa valeur réelle, tout en menant les correctifs nécessaires au plan interne, pour amortir les répercussions inévitables de cette évolution. Et permettre ensuite aux investisseurs de transférer autant d’argent qu’ils veulent, au taux réel du dinar. Une dévalorisation progressive du dinar permet, en outre, de décourager les importations, et par ricochet, de revaloriser la production locale, seule issue pour le pays sur le long terme. C’est une démarche préconisée par tous les spécialistes soucieux de relancer réellement la production interne.
Dans le pire des cas, il était possible, pour parer à l’urgence, si urgence il y a, de recourir à une mauvaise solution, pour une période transitoire : mettre en place deux taux de change, et se fixer un calendrier pour éliminer l’écart dans un délai rapproché. Mais dans tous les cas de figure, unifier les deux taux sur une période raisonnable, pour permettre aux chefs d’entreprises de travailler sur des bases transparentes, publiques. A charge pour eux d’investir où ils veulent, là où les conditions sont les plus attractives.
Mais pour l’heure, ils vont se satisfaire de ce que fait la bureaucratie algérienne. Celle-ci leur a permis de se déployer pour aspirer la rente ; elle va leur offrir les mécanismes pour transférer l’argent vers l’extérieur. Peut-on le leur reprocher? Assurément pas. Les patrons défendent leurs intérêts, et ils le font de manière efficace. Ils ont compris qu’ils ne trouveront jamais meilleur allié que la bureaucratie type Ouyahia, qui affiche pourtant une hostilité teintée de mépris à l’égard de ce qu’elle qualifie de « limonadiers ».