Avec près de 1.000 milliards de dollars (868 millions d’euros) d’investissements aux Etats-Unis, Ryad aurait beaucoup à perdre si cette loi venait à être mise en application.
La poussée de fièvre sur le marché pétrolier, où le cours du Brent est à son plus haut depuis 2014, pousse le Congrès américain à sortir des tiroirs une proposition de loi anti-Opep que l’on pensait enterrée depuis plus de 10 ans.
Une sous-commission du Sénat tient mercredi une audition sur cette loi dite Nopec (No Oil Producing and Exporting Cartels Act) – littéralement « Loi sur les cartels ne produisant et n’exportant pas de pétrole », qui aurait pour effet de lever l’immunité souveraine des Etats membres de l’Opep aux Etats-Unis.
La loi modifierait la législation antitrust pour permettre de poursuivre pour collusion les pays de l’Opep et elle interdirait de restreindre la production d’hydrocarbures ou d’en fixer les prix.
Rejetée jusqu’ici par le pouvoir soucieux de ménager l’Arabie saoudite, la proposition de loi pourrait trouver un nouvel écho auprès du président Donald Trump, qui s’en prend régulièrement à l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et à sa politique de prix.
« L’Opep est sa bête noire. Tout le monde se dit qu’il pourrait facilement soutenir le Nopec », dit Joe McMonigle, analyste spécialiste de l’énergie chez Hedgeye Potomac Research.
L’Arabie saoudite fait du lobbying auprès du gouvernement pour empêcher la loi de revenir sur la table, selon des sources au fait du dossier. Les compagnies pétrolières et lobbies du monde des affaires s’y opposent aussi, en mettant en avant le risque de représailles.
L’Opep contrôle la production de ses membres en leur assignant des objectifs. Depuis sa décision, fin 2016, de réduire ses pompages pour stabiliser l’offre mondiale, le cours du baril de Brent a rebondi de plus de 80% pour s’établir à 85 dollars mardi.
L’audition de mercredi devant la Sous-Commission du Sénat sur l’Antitrust, la Politique de la concurrence et les Droits des consommateurs devrait permettre de sonder la position de l’exécutif, dit Joe McMonigle. Les sénateurs entendront notamment Makan Delrahim, chef de la division Antitrust du département de la Justice, qui s’est par le passé exprimé en faveur d’une telle législation.
Veto en 2007
Une version du Nopec avait été votée par les deux chambres du Congrès en 2007 mais elle a été remisée quand le président George W. Bush a fait savoir qu’il opposerait son veto.
La possibilité d’un vote cette année est mince puisqu’il ne reste plus que 16 jours de session parlementaire en raison des élections de mi-mandat prévues le 6 novembre.
L’Arabie saoudite, premier exportateur mondial d’or noir, redoute que le Nopec devienne un nouveau Jasta (Justice Against Sponsors of Terrorism Act), du nom de ce texte de loi qui permet aux victimes des attentats du 11 septembre 2001 d’attaquer Ryad en justice.
C’est à cause de cette loi Jasta que la compagnie pétrolière Saudi Aramco hésitait à se faire coter à New York, dans le cadre de son projet d’introduction en Bourse qui a depuis été enterré.
Avec près de 1.000 milliards de dollars (868 millions d’euros) d’investissements aux Etats-Unis, Ryad aurait beaucoup à perdre si le Nopec prenait force de loi. Le ministre saoudien de l’Energie Khalid al-Falih a soulevé la question lors d’entretiens privés ces derniers mois avec des responsables américains, y compris le secrétaire à l’Energie Rick Perry, ont dit à Reuters deux sources sous couvert d’anonymat.
Deux organisations professionnelles de poids, la Chambre de Commerce américaine et l’American Petroleum Institute (API) ont d’ores et déjà plaidé contre la loi au Congrès en arguant que le boom de la production américaine de pétrole de schiste avait réduit l’influence de l’Opep.
Depuis que les Etats-Unis ont rétabli des sanctions contre l’Iran en mai, d’autres pays, dont l’Arabie saoudite, ont accepté d’augmenter leur production. Cela n’a pas permis d’enrayer la hausse des cours du pétrole.
Reuters