Cet article* fait le point sur le gaz de schiste en Algérie, ainsi que sur les risques multiformes inhérents à son exploitation. L’auteure s’interroge : « Souhaiterait-on faire du Sud algérien un terrain d’expérimentation pour de nouvelles techniques, qui, jusqu’à présent, n’ont pas fait leurs preuves : fluoropropane, stimulation électrique, hélium, toutes aussi nuisibles que la fracturation hydraulique ? » Cela rappelle, observe-t-elle, « la dramatique période des essais nucléaires de Reggane dans les années 1960, dont la population locale souffre encore ».
Le rapport de juin 2013 de l’EIA, Energy Information Administration des Etats-Unis, fait état d’un potentiel gazier immense en Algérie (707 trillions m3), la plaçant en 3ème réserve mondiale de gaz de schiste après la Chine (1.115 trillions m3) et l’Argentine (802 trillions m3). Les réserves se situent dans 7 bassins : Mouydir, Ahnet, Berkine-Ghadames, Timimoun, Reggane et de Tindouf avec des réserves techniquement récupérables.
Très peu de temps après, en septembre 2013, le ministre de l’Energie et des Mines indiquait que l’Algérie était assez avancée pour proposer des projets concrets d’hydrocarbures. Il a été conforté par son collègue ministre des Ressources en eau, qui soutenait sans réserves le projet, affirmant qu’il disposait de suffisamment de garanties. Ont été prévus des forages de puits-pilotes pour tester la productivité des bassins prioritaires. Le premier s’est fait dans le bassin de Berkine-Ghadames, partagé entre l’Algérie, la Tunisie et la Lybie, suivi par d’autres tests dans les bassins d’Illizi, Timimoun, Ahnet et de Mouydir.
A rappeler que la nouvelle loi sur les hydrocarbures, publiée en mars dernier dans le Journal officiel, autorise l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels mais soumet l’utilisation de la technique de la fracturation hydraulique à l’accord du Conseil des ministres, tandis que l’Autorité de régulation des hydrocarbures (ARH) est chargée de veiller au respect de l’environnement lors des opérations d’exploration et d’exploitation du gaz de schiste.
L’objectif annoncé du gouvernement, une production de 60 milliards m3/an, se traduirait par le forage de 12.000 puits sur une durée de 50 ans, d’après le président du directoire d’Alfnat, Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures, et un investissement qui nécessiterait la mobilisation de 300 milliards de dollars sur 50 ans. Par ailleurs, pour la mise en exécution du projet, le pays a envoyé dix-huit cadres aux Etats-Unis pour y suivre une formation en la matière. Une deuxième vague de cadres devrait entamer une formation dans ce même pays en février 2014.
Voilà le tableau qui se dresse devant les habitants du grand sud algérien, qui compte plus de 500.000 habitants.
Le grand sud algérien est une région au climat désertique. Il n’y pleut quasiment pas, de sorte que les palmeraies actuelles sont exclusivement irriguées par les canaux de drainage souterrains appelés « foggara », creusés par la main d’œuvre ramenée d’Afrique noire à partir des premiers siècles de l’ère chrétienne. Ces canaux rabattent, à l’amont des palmeraies, les eaux de la partie superficielle de la nappe Albienne qui est une nappe fossile piégée dans les roches depuis des dizaines de milliers d’années.
L’agriculture et le tourisme sont les seules ressources possibles pour la plus grande partie de la population, dont le taux de chômage actuel est dramatiquement élevé. Le sous-sol de la région, riche en gaz et accessoirement en pétrole, est couvert par des périmètres de concession accordés en 2011-2012 aux grands groupes mondiaux qui sont tous présents (le Norvégien STATOIL, l’Américain HALLIBURTON, l’Espagnol REPSOL, les Français TOTAL et GDF-SUEZ, etc. pour les gisements de Timimoun, Ahnet et Reggane et Mouydir).
Quelle est la position du gouvernement algérien ?
« C’est une option stratégique et l’Algérie a décidé souverainement d’aller vers l’exploitation du gaz de schiste », a déclaré le ministre des Ressources en eau, M. Necib. Il a estimé que l’exploitation du gaz de schiste en Algérie ne posait « aucun problème », que » l’eau sera recyclée » et qu' »il n’y a pas un impact signifiant parce que le gaz de schiste ne sera pas exploité dans les zones urbaines, » mais « aux fins fonds de désert ». !!! Comme chacun le sait, dans le désert il n’y a rien, donc pas grave si on le saccage !!!
La décision des autorités algérienne de passer le cap de l’exploitation des hydrocarbures de schiste n’a pas fait l’objet d’un débat public. A l’image de la plupart des décisions à caractère économique et stratégique prises auparavant par le gouvernement. Pour les autorités, ces annonces ont pour objectif de « rassurer » l’opinion sur l’existence encore de réserves importantes d’hydrocarbures en Algérie. Des réserves qui continueront à financer les investissements publics et les transferts sociaux, au moment où des informations de plus en plus alarmistes pointent le déclin pétro-gazier du pays.
L’exploitation des hydrocarbures schisteux peut aussi être interprétée comme un signe de plus, de l’absence de volonté politique, d’entamer en urgence la transition vers un autre modèle de croissance économique complètement déconnecté de la rente pétrolière.
Les craintes des agriculteurs
Il est nécessaire de faire un petit rappel du modèle d’irrigation développé dans ces régions désertiques, les foggaras. L’eau sillonne les seguias (conduite d’irrigation). Dans chaque oasis, elle est acheminée vers la multitude des jardins. Elle provient principalement du plateau de Tadmaït, comme l’explique Moussa, un ancien hydraulicien aujourd’hui à la retraite. « Les maîtres de la foggara ont inventé, dans les temps anciens, un système pour ramener l’eau des profondeurs. Une fois à l’entrée des palmeraies, l’eau est équitablement distribuée grâce à la kassria (répartiteur). C’est une sorte de plateforme qui garantit à tout agriculteur de bénéficier d’un débit d’eau nécessaire pour sa culture », explique un ancien hydaulicien. Pour Kamel, un agriculteur du village de Ouled Saïd, c’est le grand regret et l’étonnement. « Si nos ancêtres ont mis tout leur savoir-faire pour permettre à nos oasis de profiter d’une eau douce, pourquoi les dirigeants du pays veulent exploiter une source d’énergie qui risque de nous appauvrir et de nous contraindre à quitter nos villages ? »
Or, la seule technique actuelle assurant une exploitation rentable des gaz de schiste est celle de la fracturation hydraulique :
– d’une part, cette technique nécessite d’énormes quantités d’eau (10 à 20.000m3/puits) – alors que le Sahara est une région en stress hydrique ;
– d’autre part, elle est extrêmement polluante car, jusqu’à 1.000 produits très toxiques sont mélangés à l’eau, mélange injecté sous très forte pression à plus de 2000 m sous terre. Parmi les produits utilisés, certains sont cancérogènes, d’autres neurotoxiques ou toxiques pour la reproduction.
Souhaiterait-on faire du sud algérien un terrain d’expérimentation pour de nouvelles techniques, qui, jusqu’à présent, n’ont pas fait leurs preuves ? Fluoropropane, stimulation électrique, hélium, toutes aussi nuisibles que la fracturation hydraulique ? Cela rappelle la dramatique période des essais nucléaires de Reggane, dans les années 1960, dont la population locale souffre encore.
Et comment la population va-t-elle survivre ? Seule l’eau des nappes fossiles (c’est-à-dire qui ne se renouvellent pas) permet la vie dans le désert. Il est donc impensable que ces nappes phréatiques soient polluées et impropres à la consommation, car si elles le sont, c’est irrémédiable.
Résistances et alternatives
De plus en plus d’agriculteurs sont informés des projets gouvernementaux et prennent conscience du véritable cauchemar que leur réserve la mise en route de l’exploitation des hydrocarbures et gaz de schiste. Or, le développement de cette région, et de l’Algérie, n’a pas besoin de gaz de schiste. Elle a des potentiels agricoles très importants. « Il existe dans notre région des centaines d’oasis. Elles font travailler des milliers de personnes. Une fois les eaux des nappes polluées, cela signifiera la fin de l’agriculture. Que feront les habitants ? Il ne leur restera que l’exode. Le gouvernement ferait mieux de multiplier les projets agricoles dans le Sahara. Cela créerait des postes d’emploi permanents et pourrait permettre au pays d’en finir avec les importations de denrées alimentaires. Cette eau est le véritable moteur de développement du pays », déclare Mohammed.
Dans la capitale du Touat, Adrar, les palmeraies se situent dans divers villages entourant le chef-lieu de la wilaya. Dans les anciens ksour (vieilles forteresses), les agriculteurs comptent beaucoup sur le dynamisme de Mohad Gasemi, le président du bureau régional de l’Association de promotion de l’activité agricole (APAA).
Le tourisme, peu exploité, pourrait aussi participer au développement du pays…. Plutôt que de rester à vivre de la rente. Pour Chems Eddine Chitour, spécialiste en énergie, professeur émérite de l’Ecole nationale polytechnique, les gisements potentiels de l’Algérie en gaz de schiste qui sont estimés à 21.000 milliards de mètres cubes sont une façon de faire perdurer la rente. « C’est une nouvelle rente qui se profile », nous dit-il, et « une véritable fuite en avant, car à travers cette décision, on dit aux citoyens : il y a du gaz de schiste, continuez à compter sur la rente. » « C’est un drame ! » selon lui car « le gouvernement donne à travers le recours à l’exploration des hydrocarbures non conventionnels, un très mauvais signal à la population ». « Au lieu de dire que la rente est derrière nous et de réhabiliter l’effort et l’économie d’énergie, on ne fait que renvoyer aux calendes grecques une remise en ordre de ce pays. »
(*)Jacqueline Balvet est dirigeante d’Attac France
Cet article a été publié initialement sur Non au Gaz de schiste. Le titre est de la rédaction de Maghreb Emergent.