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Le plus gros préjudice de Sonatrach sous Khelil est une remontée des eaux

Par Yacine Temlali
mars 22, 2015
Le plus gros préjudice de Sonatrach sous Khelil est une remontée des eaux

Un commentaire de l’actualité économique nationale et internationale par El Kadi Ihsane, directeur de Maghreb Emergent. Au menu : le procès de l’affaire Sonatrach 1, les effets positifs de l’appréciation du dollar sur les finances extérieures algériennes et, enfin, la nécessaire légalisation de la situation des travailleurs subsahariens établis irrégulièrement en Algérie.

 

 

Le procès Sonatrach 1 s’est ouvert à Alger dimanche dernier. Il peut se résumer en une phrase de Mohamed Meziane, ex-PDG de Sonatrach au cœur de l’ordonnance de renvoi, lui et ses deux enfants écroués depuis 2010 : « Je suis du genre qui respecte beaucoup sa hiérarchie. » Mohamed Meziane n’était pas le patron de Sonatrach, il était celui qui applique les ordres de son ministre de l’Energie, Chakib Khelil, dans les petites et les grandes décisions. Avec son directeur de cabinet, Réda Hameche comme véritable fondé de pouvoir au sein de la compagnie. Mohamed Meziane a donc couvert, par sa fonction, des surfacturations à la pelle durant les sept ans où il a « dirigé » Sonatrach. Par pente naturelle, il a mis le doigt dans l’engrenage. En confiant des marchés à ses deux fils. Scénario quasi banale dans l’Algérie de Abdelaziz Bouteflika.

Le plus gros préjudice de cette chaîne informelle de commandement Khelil-Hameche-Meziane n’est pourtant pas là. Peut être même pas dans les pots-de-vin versés par Saipem – 60% plus cher que la concurrence – pour obtenir un important contrat de transport par canalisations. Le préjudice névralgique de la gouvernance du secteur énergétique par Chakib Khelil et son réseau est un préjudice stratégique. Il est lié à son choix unilatéral de poursuivre un plateau de production de gaz naturel excessivement élevé afin d’afficher des chiffres à l’exportation en hausse continuelle. Chakib Khelil voulait, dès 2006, exporter 85 milliards de M3 de gaz naturel en 2012. Mais les quantités additionnelles de gaz, provenant notamment des nouveaux gisements du Sud-ouest, de Gassi Touil et du développement de Tiguentourine, ont tardé à arriver. Chakib Khellil s’est « rabattu sur la bête » : Hassi R’mel. 60% des 80 milliards de m3 de gaz naturel extraits tous les ans depuis plus de deux décennies à Hassi R’mel étaient réinjectés. Cyclage indispensable pour maintenir une pression suffisante dans les puits qui protège la récupération des réserves en place. C’est cette règle prudentielle vitale que Chakib Khelil a piétiné. Pour pouvoir exporter plus. Nazim Zouiouèche, PDG de Sonatrach dans les années 90, a donné, pour la première fois cette semaine, une estimation quantitative du risque encouru. « 1500 milliards de m3 de gaz pourraient être piégés à Hassi R’mel si rien n’est fait », a-t-il déclaré mercredi sur Radio M. Piégés par quoi ? Par la remontée des eaux rendue possible faute de réinjection suffisante de gaz naturel comme cela se faisait auparavant.

Dans la chaîne de commandement du secteur de l’énergie Chakib Khelil était l’ordonnateur de cette politique aventureuse de surproduction qui a blessé « la bête » Hassi R’mel. Mais « il n’a pas agi seul » selon Abdellatif Benachenhou, qui s’exprimait sur la même antenne. Le Président de la république et le pouvoir dans sa globalité ont laissé faire. En attendant, il faudra se contenter de parler, à la cour d’Alger, du système de vidéosurveillance vendu par les fils Meziane à leur père.

L’évènement économique majeur de la semaine est, bien sûr, l’arrivée à quasi-parité du dollar et de l’euro vendredi dernier. Pour souvenir, l’euro valait 1,37 dollar en mars 2014. Il ne valait plus que 1,06 à la clôture des marchés vendredi soir. Cette perte de valeur de l’euro était attendue mais sans doute pas à cette amplitude. 24% de perte de valeur face au dollar en presque une année. Au square Port Saïd, à Alger, le marché noir des devises s’est ajusté tous les jours. Le dollar était sur le point de franchir la barrière des 150 dinars dimanche dernier. Un rapproché spectaculaire avec la parité euro-dinar qui domine le marché depuis 2001 et le passage à l’euro.

Le rapprochement de la parité euro-dollar a été amorcé, il y a un an, par la fin de la politique de la Reserve Fédérale (FED) de facilité de financement aux Etats-Unis. Le dollar adossé à des taux d’intérêts en légère hausse est redevenu attractif pour les investisseurs. Et il s’est redressé face à l’euro. Ce rapprochement s’est brutalement accéléré depuis l’annonce par la Banque centrale européenne de son intention de soutenir les liquidités des banques européennes en achetant des actifs de dettes. Gros coup de mou de l’Euro.

La tendance va-t-elle se stabiliser ? Goldman Sachs prévoit que la stagnation en Europe va se poursuivre et tirer encore l’euro vers un plus bas historique face au dollar d’ici à 2017. Il suffirait, selon la banque d’affaires, de 0,80 dollar pour acheter un euro. Cette évolution, si elle se confirmait serait clairement une bonne nouvelle pour les équilibres extérieurs de l’Algérie. Alger exporterait en devise plus forte et importerait en devise moins fortes. C’est déjà le cas au premier trimestre 2015. Le manque à gagner de 45 dollars par baril de brut en moyenne par rapport au 1er trimestre de 2014 reste, bien sûr, béant. L’autre paramètre qui aurait pu l’atténuer est, bien sûr, un début de remontée des exportations de gaz naturel en volume. Ce n’est toujours pas le cas. De plus en plus la faute à une consommation énergétique domestique l’une des plus gaspilleuses du monde. Et là, même le dollar qui remonte face à l’Euro ne peut rien faire.

Issa, un jeune Nigérien d’Agadez rapatrié en décembre dernier, est de retour à Alger. Un travail l’y attendait. Aussitôt arrivé parmi sa famille au Niger, il est revenu en Algérie. Toujours clandestinement. La frontière terrestre est fermée. Le voyage par avion et avec visa par Niamey coûte dix fois plus cher. Il existe un marché du travail pour les voisins subsahariens de l’Algérie. Seul le gouvernement algérien refuse de l’admettre et de le réglementer. Retard de paradigme. Le Maroc a réformé sa législation sur le séjour des étrangers non réguliers. Les think tank marocains ont fini par convaincre, en 2014, les autorités qu’il y avait plus à gagner en régulant une partie de cette immigration qui ne peut plus passer en Europe, pour l’absorber par le marché du travail marocain demandeur sur de nombreux métiers.

Alger est encore bornée sur ce front. Un colloque sur l’intégration économique africaine s’est tenu la semaine dernière à Alger, à l’initiative de la Fédération des cadres du secteur des finances. La perception se précise. Il faut changer totalement de regard sur le partenariat économique avec l’Afrique. Sans doute d’abord en admettant que l’Algérie a besoin de main- d’œuvre immigrée. La circulation des hommes précède toujours celle des marchandises et des capitaux.

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