En Algérie, l’élection présidentielle se décide avant l’urne. 2014 n’échappera pas à cette règle, mais 2014 peut aussi marquer l’amorce d’un retour vers des normes institutionnelles.
Un discours, de plus en plus violent, se développe à l’encontre du président Abdelaziz Bouteflika. Une dérive lente, mais réelle, particulièrement visible à travers les réseaux sociaux, où l’attitude du chef de l’Etat est commentée de manière acerbe, et où sa volonté supposée de briguer un quatrième mandat est systématiquement raillée. On ne s’attaque plus à l’homme politique, à son projet, à son bilan, à sa méthode de gouverner, à la faiblesse, supposée ou réelle, de son programme politique, et aux résultats contestables de ses trois mandats. On s’en prend désormais à son âge, à son incapacité physique, voire à sa famille et à son origine. On lui reproche de ne pas avoir été à l’université, en oubliant que pour toute une génération, le slogan en vogue était de dire : « avec un diplôme en plus, on ne fera pas de meilleurs cadavres ».
Ce discours au-dessous de la ceinture constitue un mélange douteux, qui débouche forcément sur des conclusions hasardeuses. M. Bouteflika est né à Oujda ? On en conclut que ce sont des marocains qui gouvernent l’Algérie. Il a été moudjahid ? Donc, le pays ne se relèvera pas tant qu’il ne s’est pas débarrassé de cette génération qui a confisqué le pouvoir depuis l’indépendance. Il a été choisi par l’armée ? Vivement un pays débarrassé de l’armée, une espèce de Suède où l’armée servirait la soupe par les jours de grand froid et aiderait les personnes âgées durant les journées de canicule.
M. Bouteflika a mis en place, tant bien que mal, une politique de réconciliation nationale ? Il faut y mettre fin et reprendre la guerre là où elle était, avant sa prise de pouvoir. Il a tenté d’établir des relations apaisées avec la France ? Il faut tout remettre à plat. Il a voulu établir un partenariat stratégique avec les Etats-Unis ? Il faut en conclure qu’il a soumis le pays à la volonté américaine, pourvu que Washington l’appuie pour un nouveau mandat.
Indigence politique
Cette vision primaire de la politique est encouragée, il est vrai, par un pouvoir qui a perdu toute crédibilité. Un pouvoir aphone, incapable de délivrer le moindre message, et qui sombre dans le ridicule, avec des personnages tellement « fakakir » sur le plan politique et intellectuel qu’ils n’ont pas besoin de contradicteur pour montrer leur indigence.
En ce début 2014, et à trois mois d’une échéance qui aura un impact majeur sur l’avenir politique du pays, il serait utile de revenir à des idées plus saines de la politique. Pour rappeler que M. Bouteflika n’est pas critiquable en raison de son âge. Nelson Mandela est devenu président à l’âge de 76 ans, et Bachar El-Assad avait à peine dépassé la trentaine quand il a accédé au pouvoir.
Le président Bouteflika n’est pas critiquable non plus parce qu’il est malade, mais parce que son état de santé ne lui permet d’exercer une fonction aussi lourde que celle de président de la république. Il a officiellement la charge de représenter l’Algérie et défendre ses intérêts dans les forums internationaux. Il n’en a plus la capacité physique. C’est suffisant comme argument. S’en prendre à lui en utilisant des termes blessants devient superflu. En plus, ce n’est ni moral, ni efficace. Bien au contraire. Cela le conforte, et cela permet, surtout, d’occulter les intérêts qui se cachent derrière sa candidature, et d’éviter tout débat politique sérieux sur l’avenir du pays.
Revenir aux normes
De quoi a besoin l’Algérie aujourd’hui ? S’il fallait concentrer toutes les questions politiques et économiques en un seul point, on pourrait dire que l’Algérie a besoin de revenir aux normes. A des règles claires, connues, que tout le monde doit respecter. Le pays a besoin de revenir à un fonctionnement institutionnel, dans lequel le citoyen connaitrait ses droits et devoirs. Qu’il s’agisse d’accéder au travail, au logement, ou d’investir, de voyager et de s’exprimer, rien ne devrait se faire en dehors de la loi et des institutions. Toute décision politique ou économique doit être prise de manière publique, dans un cadre institutionnel, et assumée par celui qui en a la charge. Un proche du président Bouteflika reconnaissait récemment qu’il existe en Algérie deux centres de pouvoir, l’un institutionnel mais formel, l’autre réel.
En cette semaine de voeux, souhaitons que 2014 marque le recul des centres de pouvoirs informels au profit de ceux, institutionnels. L’élection présidentielle d’avril 2014, dans laquelle le pouvoir informel aura encore un poids décisif, pourrait constituer le début de ce processus qui, à terme, ferait de l’Algérie un pays « normal ».