Près de trois mois après son incarcération, le journaliste et directeur de « Radio M » et de « Maghreb Emergent » est appelé demain 12 mars 2023 à la barre du tribunal de Sidi M’Hamed à Alger. En raison de nombreux dépassements et violations juridiques qui ont entaché son dossier, Ihsane El Kadi a décidé de garder le silence et ses avocats ont décidé de boycotter le procès. Un choix appelé « défense de rupture » ou « stratégie de rupture » pratiquée par Jacques Vergès du temps où il défendait les combattants du FLN, dont une certaine Djamila Bouhired.
C’est un procès qui s’annonce palpitant dans la mesure où il concerne celui d’un journaliste connu et à l’expérience, plus de 40 ans, avérée. Ce n’est sans doute pas sans raison que son arrestation, dans des conditions illégales, sa détention et la fermeture des locaux de ses deux médias a suscité non seulement l’indignation de l’opinion publique algérienne mais aussi celle de la communauté internationale. Des lettres ouvertes, pétitions, conférences et rassemblements ont été organisés en Algérie et ailleurs pour dénoncer sa détention et réclamer sa libération.
Dans le cadre d’une campagne « pour la libération urgente » de Ihsane El Kadi, l’ONG internationale Reporters sans Frontières (RSF) a saisi l’ONU et a publié une lettre ouverte signée de 16 patrons de rédactions de 14 pays, dont Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix, qui appelle à la libération de leur confrère incarcéré. RSF a également lancé une pétition qui a dépassé les 10000 signatures.
Parce que traité publiquement de « Khabardji » par Abdelmadjid Tebboune, le journaliste Ihsane El Kadi a fait le choix d’un procès de rupture impliquant qu’il ne reconnaît pas la légitimité du pouvoir judiciaire qui « l’a privé de sa liberté, de sa liberté d’expression et des conditions d’un procès équitable », comme le stipulent la Constitution et les conventions ratifiées par l’Algérie. Il s’agit aussi pour lui et sa défense de tenir à témoin l’opinion nationale et internationale sur les multiples violations de Loi qui ont entaché son dossier. Une stratégie adoptée par le célèbre avocat Jaques Vergés du temps où il défendait des militants du FLN. Dans le procès de rupture, l’accusé devient ainsi accusateur, en ce sens qu’il met en avant, outre les violations de la Loi, le caractère politique de son procès d’autant que le dossier, de l’avis des ses avocats, est vide.
Une démarche expliquée dans le détail par le collectif de défense du journaliste. Dans un communiqué publié jeudi 9 mars, le collectif a souligné que suite aux «violations juridiques qui ont entaché l’affaire à commencer par son arrestation, son placement sous mandat de dépôt, en passant par la mise sous scellés du siège de “Interface Médias” sans décision judiciaire comme l’exigent la Constitution et la Loi sur l’information » et en l’absence des «conditions et garanties d’un procès équitable citées dans les articles 41 de la Constitution et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que l’Algérie a ratifiés et qui sont applicables en vertu de l’article 171 de la Constitution algérienne et de l’article 1 du Code de procédure pénale, », le collectif décide de boycotter le procès.
Poursuivi pour une prétendue « réception de fonds et d’avantages de provenance étrangère aux fins de se livrer à une propagande politique » et « réception de fonds pour accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale et au fonctionnement normal des institutions », Ihsane EL Kadi est placé en mandat de dépôt depuis le 29 décembre 2022. Quant aux locaux de Radio M et de Maghreb Emergent, ils ont été scellés le 24 du même mois, sans décision judiciaire, en présence du journaliste menotté. Il a été arrêté chez lui quelques heures plutôt par les services de direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
A la veille de ce procès, RSF a appelé à sa libération, tandis que le journal Orient XXI lui a exprimé son « soutien indéfectible ». Selon le collectif de défense international de Ihsane El Kadi, le journaliste est poursuivi en représailles de ses opinions politiques. Dans un communiqué, publié jeudi, le collectif a appelé les autorités algériennes à faire bénéficier le journaliste, comme tout justiciable, des garanties d’un procès équitable telles que prévues dans la législation algérienne. Nous « appelons de nouveau à la libération immédiate d’Ihsane El Kadi » et nous « demandons la mainlevée des scellés de Radio M et de Maghreb Émergent, qui pénalisent plus d’une trentaine de salariés et leurs familles » ont ajouté les avocats du collectif.