En se rendant au cimetière d’El-Alia pour inhumer symboliquement sa candidature, Kamel Benkoussa a consacré la disparition de l’économie de la campagne pour l’élection présidentielle du 17 avril.
Le geste fort de cet ancien trader, formé à l’économie libérale, était un aveu d’impuissance face à l’énorme machine qui s’était mise en branle avec l’annonce de la candidature du président Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat. Les polémiques qui ont entouré cette candidature, l’effet Sellal et la dérive politique ont achevé de réduire l’économie à la marge.
Pourtant, la situation semblait prometteuse. Le premier homme politique à annoncer sa candidature dès décembre 2012, l’ancien premier ministre Ahmed Benbitour, a fait toute sa carrière dans l’économie. Même quand il était chef de gouvernement de M. Abdelaziz Bouteflika, il était entendu qu’il s’occupe des affaires économiques, les questions sécuritaires, diplomatiques et les grandes questions politiques revenant au chef de l’Etat. Mais M. Benbitour n’a même pas réussi à réunir les signatures nécessaires à une candidature.
Ali Benouari est lui aussi passé à la trappe. Ancien ministre du budget, installé en Suisse, il voulait concourir en espérant apporter ce que contenait un des modèles les plus enviés au monde. Son discours est toutefois demeuré inaudible, face à une scène politique qui ne jurait que par le quatrième mandat. M. Benouari a finalement décidé de soutenir Ali Benflis, qui a longtemps fait figure de candidat le plus sérieux face au président Bouteflika. Mais M. Benflis n’a pas non plus réussi à imposer un débat économique. Son profil de juriste, qui a fait un bout de chemin avec le président Bouteflika, le pousse naturellement à se positionner sur d’autres thématiques.
Benkoussa, branché sur un modèle pas connecté à l’Algérie
Candidat à la candidature, Kamel Benkoussa apporté avec lui un vent de fraicheur. Praticien d’un modèle économique pratiquement inconnu en Algérie, branché sur un modèle auquel l’Algérie n’a jamais réussi à se connecter, ce trader de 41 ans s’est rapidement retrouvé réduit à un territoire très réduit. La bureaucratie qui gère l’économie algérienne voyait d’un mauvais œil cet intrus qui voulait importer des méthodes apprises à la City de Londres.
Pourtant, l’homme se garde bien de vouloir importer un modèle tout prêt. « Je suis pour une Algérie de valeurs sociales et une Algérie qui avance », dit-il, promettant un marquage strict pour démystifier l’action gouvernementale. « Nous allons confronter chaque chiffre, chaque donnée et chaque bilan que ce gouvernement mettra en avant dans l’illusion de faire croire aux Algériens que l’Algérie va bien. L’Algérie va mal. L’Algérie est en danger. Elle a besoin de tous les Algériens », dit-il. Mais la chute a été brutale, et son discours n’a eu aucun effet.
A l’opposé de Kamel Benkoussa, Louisa Hanoune veut, elle aussi, insister sur le volet économique, mais elle porte un discours à l’ancienne. Se voulant représentante des classes laborieuses, à la tête de son Parti des Travailleurs, elle soutient une des organisations les plus contestées du pays, l’UGTA, et son patron, Abdelmadjd Sidi-Saïd, qui a publiquement reconnu des malversations dans l’affaire Khalifa.
Les zigzags de Louisa Hanoune
Louisa Hanoune ne se contente pas de ce paradoxe. Elle a critiqué le libéralisme économique mené par les ministres Chakib Khelil et Abdelhamid Temmar, mais elle a soutenu le président Bouteflika. Même si ses proches tentent de donner une cohérence théorique à son dogmatisme -refus de tout ce qui vient de l’extérieur et rejet de tout ce qui divise les travailleurs-, ses virages sont devenus incompréhensibles pour la grande masse des travailleurs, confrontés à un monde du travail qui a radicalement changé.
Louisa Hanoune est devenue une alliée de la bureaucratie, qui se contente de distribuer la rente tout en gérant un système miné par la corruption. A l’inverse, elle a une hantise, le patronat. Les organisations patronales soutiennent pour la plupart le président Bouteflika, même si elles font semblant d’organiser des rencontres avec les autres candidats. Le FCE, organisation la plus médiatique, a rallié le président Bouteflika, après un faux suspense qui a duré plusieurs mois. « Le FCE y a perdu une partie de sa crédibilité, mais il a gagné beaucoup d’argent », affirme un économiste. « Nombre d’entreprises affiliées aux organisations patronales vivent d’aides directes ou indirectes de l’Etat, d’exonérations diverses, et de commandes publiques qui peuvent être remises en causes », estime un économiste. « Objectivement, ces organisations ont intérêt à voter pour le futur vainqueur. Elles préfèrent occulter le débat économique au profit d’un candidat ami », dit-il.
Nabni, vaille que vaille
Seul ilot de débat économique, Nabni tente de maintenir le cap, avec l’appui de quelques économiques indépendants. Très éloigné de la politique économique du gouvernement, Nabni affirme la nécessité de réformer profondément la gestion économique du pays. Ses publications sont très attendues, et ont fini par acquérir une certaine notoriété, en raison notamment de leur caractère pédagogique.
Plusieurs candidats à la présidentielle ont tenté un rapprochement avec Nabni, mais le think-tank a prudemment gardé ses distances. Ses membres qui seraient amenés à s’engager avec un candidat devraient « mettre en veilleuse » leur appartenance à l’organisation. Mais ils risquent de ne pas être nombreux à le faire, tant la conviction est ancrée que l’élection sera une simple formalité. « Nabni préfère perdre une élection déjà perdue, mais se préserver », affirme un proche de l’organisation pour qui, « visiblement, il n’y a pas de place pour Nabni dans une élection où une bourde de Sellal prend plus d’espace que le meilleur plaidoyer économique».