Le chef de l’Etat appartient à la République, pas au clan ou à la tribu. Tout ce qui le concerne doit être géré sur un plan strictement institutionnel.
L’état de santé du président Abdelaziz Bouteflika est au cœur de l’actualité politique en Algérie. C’est un facteur bloquant sur le plan politique, économique, institutionnel et même au plan des idées. Tout un pan de la vie du pays y est lié. En premier lieu, la possibilité d’amorcer un virage pour lancer les réformes nécessaires ou non. Le départ du président Bouteflika est devenu une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour entamer le changement.
Et c’est dans cette conjoncture que le chef de l’Etat décide de se rendre à l’étranger pour des contrôles médicaux, dans une quasi-clandestinité. Ce choix est totalement incongru. Comment envisager un tel voyage sans l’annoncer ni en donner le contenu ? Y a-t-il mauvaise évaluation de la situation ? Pensait-on qu’il serait possible de garder secret ce voyage, malgré l’Internet, Facebook, Twitter, les chaînes de télé en continu, les services spéciaux de tous les pays du monde ? C’est complètement absurde.
En fait, ceux qui ont été maintenus dans l’ignorance, ce sont les Algériens. Les dirigeants français savaient tout, évidemment. Et bien à l’avance. Cela va de soi. Avec eux, leurs « amis » : Américains, Anglais, Allemands, et pourquoi pas Israéliens. Chacun a les lobbies qu’il peut. Vouloir garder secret ce voyage, dans de telles conditions, c’est dire aux Algériens qu’on a quelque chose à cacher. Mépris ? Erreur d’appréciation ? Manque de concertation ? Dysfonctionnement ?
Un décision non institutionnelle
En tout état de cause, un pouvoir peut manœuvrer, dribbler, mais il n’a pas besoin d’humilier les institutions. Le président Bouteflika s’est incrusté, l’Algérie est contrainte de le subir, de faire avec, tant pis. Mais pourquoi en rajouter ? Pourquoi rappeler aux Algériens qu’en quinze ans de pouvoir, l’Algérie n’a pas été capable de construire un hôpital susceptible de soigner le chef de l’Etat ?
Et puis, qui prend ces décisions absurdes ? A l’évidence, tous les regards se tournent vers Saïd Bouteflika. C’est le nouveau grand chambellan du système. Il s’agit donc de décisions non institutionnelles. Il y a visiblement interférence entre une gestion familiale et une gestion des affaires de l’Etat. Un mélange explosif, qui mène inévitablement vers la régression institutionnelle. Un président de la république appartient à la république, pas à la famille, à la tribu ou au clan. Il doit s’élever et tirer les autres vers le haut, non se laisser entraîner dans des situations comme celles dans lesquelles patauge M. Bouteflika.
Défaillances en chaîne
D’autre part, si cette nouvelle hospitalisation du président Bouteflika à Grenoble a confirmé le niveau zéro de la communication officielle, elle a aussi révélé des faillites en cascade. Inutile de revenir sur le comportement de certains médias, journaux et télés, ainsi que des hommes politiques qui ont soutenu que le chef de l’Etat se trouvait à Alger et travaillait normalement. Ceux-là sont sortis depuis longtemps de la norme admise.
Mais le gouvernement, le Parlement, la presse et les partis ont subi un revers collectif cuisant. Aucun ministre n’a donné l’impression d’être informé de ce qui se passait ni n’a senti le besoin de partager sa perplexité avec les Algériens. Aucun parti de gouvernement n’a été mis dans la confidence. Ne parlons pas de l’opposition. Quant à la presse, elle n’a rien vu venir, et elle a été contrainte de s’appuyer sur un journal régional français. Aucun média n’a envoyé une équipe sur place, à l’aéroport de Grenoble, ni dans les aéroports algériens où le président Bouteflika était supposé atterrir. Rappeler que Hamid Grine n’a pas fait mieux, ce qui n’est pas une consolation.