Les candidats à la Présidence oublient que l’Algérie a signé un accord d’association avec l’UE et qu’elle va adhérer à l’OMC - Maghreb Emergent

Les candidats à la Présidence oublient que l’Algérie a signé un accord d’association avec l’UE et qu’elle va adhérer à l’OMC

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Abderrahmane Mebtoul* estime que les promesses de la « majorité des candidats » à la Présidence ne tiennent pas compte de la perspective de chute des recettes d’hydrocarbures prédite par le FMI et la Banque mondiale, qui prévoient, pour 2017-2020, un cours de pétrole à prix constants entre 80 et 90 dollars le baril. Pour lui, contrairement aux discours électoraux « euphoriques », l’Algérie « devrait connaître des ajustements économiques et sociaux douloureux entre 2015-2020 ».

 

 

Se cantonnant dans des discours d’ordre général, avec des promesses portées par l’illusion de la distribution de la rente des hydrocarbures qu’ils ne pourront pas tenir car des tensions budgétaires sont à prévoir entre 2015-2025, la majorité des candidats aux prochaines présidentielles n’abordent pas sérieusement les incidences des nouvelles mutations géostratégiques mondiales. Concrètement, ils ignorent les incidences opérationnelles tant de l’accord d’association avec l’Union européenne (UE), applicable depuis le 1er septembre 2005 et qui prévoit le tarif douanier zéro en 2020 (au lieu de 2017 initialement), que de l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Or, cet accord et cette adhésion auront un impact stratégique sur le devenir du pays.

Le 12e round des négociations multilatérales pour l’accession de l’Algérie à l’OMC viennent de se tenir à Genève (fin mars 2014), suivi par une série de négociations bilatérales avec 11 pays membres – dont l’Indonésie, les Etats-Unis, l’Equateur, l’Argentine, le Japon, le Salvador, l’Australie , la Corée du Sud, le Canada, la Nouvelle-Zélande et la Turquie – mais avec des résultats mitigés. L’Algérie est observatrice depuis 1986 et a entamé le processus d’adhésion en 1995. Le groupe de travail chargé de son accession à l’OMC a tenu 11 réunions officielles, la première en avril 1998, ainsi que deux réunions informelles. Parallèlement à ces réunions, l’Algérie avait tenu des réunions bilatérales avec plusieurs pays, dont 13 en 2013, et signé des accords bilatéraux avec Cuba, le Brésil, l’Uruguay, la Suisse et le Venezuela. A fin 2013, elle a répondu à 1933 questions dont la majorité portait sur des informations concernant les codes et règlementations du commerce en vigueur et des éclairages concernant son système du commerce extérieur.

L’Algérie a-t-elle une stratégie d’adaptation, évitant ce pilotage à vue, au gré de la conjoncture, pour bénéficier des effets de cette adhésion. Pour le quotidien économique et financier britannique le Financial Times, les dirigeants algériens actuels ressemblent à « un chauffeur saisissant les commandes au volant, les yeux fixés sur le rétroviseur, incapable de se concentrer sur les problèmes à venir ». 

Je distinguerais les incidences générales des incidences sur les services énergétiques. En ce qui concerne les incidences générales, nous aurons :premièrement, l’interdiction du recours à la « dualité des prix » pour les ressources naturelles, en particulier le pétrole et le gaz (prix internes plus bas que ceux à l’exportation) ; deuxièmement, l’élimination générale des restrictions quantitatives au commerce (à l’import et à l’export) ; troisièmement, l’obligation de mettre en place des normes de qualité pour protéger la santé tant des hommes que des animaux (règles sanitaires et phytosanitaires) ; quatrièmement, la liberté de mouvement des capitaux et des biens ; cinquièmement, la protection de l’environnement, introduite récemment par l’OMC ; et, enfin, sixièmement, la protection de la propriété intellectuelle, les pays membres s’engageant à la lutte contre le piratage qui renvoie à la construction de l’Etat de droit et, donc, à l’intégration de la sphère informelle, qui contrôle plus de 50% de la superficie économique.

 

Le coût du démantèlement se fera sentir dès 2020

 

Les conséquences de ces accords sont donc :

– Le démantèlement des droits de douane et des taxes pour les produits industriels et manufacturés sur une période de transition rentrant dans le cadre des Accords de Doha.

– Les relations de partenariat entre les deux parties seront basées sur l’initiative privée. Tous les monopoles d’Etat à caractère commercial sont ajustés progressivement pour qu’à la fin de la cinquième année après l’entrée en vigueur de l’accord, n’existe plus de discrimination en ce qui concerne les conditions d’approvisionnement et de commercialisation des marchandises entre les ressortissants des Etats membres.

Les accords dont il est question plus haut devraient faire passer les industries algériennes du statut d’industries protégées à celui d’industries totalement ouvertes à la concurrence internationale. Ils prévoient, à l’horizon 2017-2020, la suppression totale des obstacles tarifaires et non tarifaires, avec d’énormes défis pour les entreprises industrielles de notre pays.

En ce qui concerne les incidences sur les services énergétiques, l’Algérie se doit d’être attentive à la nouvelle stratégie gazière qui semble se dessiner, tant au niveau européen qu’au niveau mondial, et donc intégrer l’ensemble des paramètres et variables qui traceront la future carte énergétique du monde. Si ces accords ne peuvent avoir que peu d’impacts sur le marché des hydrocarbures en amont, déjà inséré dans une logique mondiale (pétrole), il en va autrement de tous les produits pétroliers et gaziers à l’aval qui vont être soumis à la concurrence internationale. Ainsi sera interdite la dualité des prix, mesure par laquelle un gouvernement maintient des prix internes à des niveaux plus bas que ceux qui auraient été déterminés par les forces du marché. Autre incidence, l’Algérie devra ouvrir à la concurrence le marché des services énergétiques et s’engager à mettre en œuvre les différentes recommandations contenues dans les chartes sur l’énergie, dont les incidences directes sont la directive gaz-électricité régissant l’UE.

Dans ce cadre, il ya lieu de dépasser la situation socio-économique actuelle, impliquant de profondes réformes politiques, si l’on veut éviter les effets pervers tant de l’accord d’association avec l’UE que de la future adhésion à l’OMC. Selon la Banque mondiale (BM), de 1999 à 2012, l’Algérie a perçu davantage de ressources que pendant les 36 années précédentes. Les exportations d’hydrocarbures ont rapporté entre 1999 et 2012 environ 751 milliards de dollars, mais le pays importe 70% des besoins des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%. Nous assistons à une désindustralisation, le secteur industriel représentant moins de 5% du produit intérieur brut ; il est constitué de PMI-PME pour plus de 95%, le petit commerce-services avoisinant 83% de la superficie économique globale.

Certes, les ressources ont augmenté mais le niveau de vie des Algériens n’a pas augmenté proportionnellement. Sur la période 1999-2012, alors que les ressources de l’Algérie ont triplé, le niveau de vie, n’a été multiplié que par 1,5 selon des données fournies par l’Office national des statistiques (ONS). Des ressources limitées qui, à terme, vont s’estomper selon les projections des organismes internationaux. Encore que les données globales voilent une concentration du revenu national au profit d’une minorité rentière car l’important est de saisir les liens entre le mode d’accumulation, la répartition du revenu national et le modèle de consommation à la fois spatial et par couches sociales.

 

Des tensions sociales à venir

 

Les tensions sociales risquent d’être aigues à l’horizon 2017. Selon l’ONS et la Banque mondiale, officiellementle chômage a baissé pour atteindre 9,8% en 2013, mais ce taux voile une dure réalité: un large secteur informel, à dominance marchande, constitué de travailleurs précaires, souvent illégaux, représentant environ 52% de la population active, sans compter les sureffectifs dans les administrations et les entreprises publiques. Pour la BM, sur le plan budgétaire, l’adoption de politiques expansionnistes a permis, certes, à l’économie algérienne de se redresser, toujours artificiellement grâce à la rente des hydrocarbures, mais elle a creusé le déficit, qui a atteint un niveau record de 4% du PIB en 2012 et devrait se maintenir à ce pourcentage en 2014-2015 compte tenu, toujours selon la BM, de la baisse des recettes tirées des hydrocarbures. Selon le rapport 2014 de l’Institut de la finance internationale (IFF), l’équilibre budgétaire n’est possible au rythme de la dépense en Algérie qu’avec un cours du pétrole de 110-120 dollars le baril, ce qui rejoint le rapport de l’OPEP de juin 2013. Pour preuve, le déficit budgétaire a été de 29 milliards de dollars en 2013, couvert à 92,3% par le prélèvement sur le Fonds de régulation des recettes de l’Etat, lui-même artificiellement gonflé par le dérapage du dinar par rapport au dollar du fait que la fiscalité des hydrocarbures est reconvertie en dinar dévalué.

Les dépenses publiques, inégalées depuis l’indépendance, se situent autour de 40% du PIB et sont consacrées à plus de 70% aux infrastructures, avec des surcoûts exorbitants. Les subventions représentaient plus de 15% du PIB en 2012 et pèsent sur les finances publiques, ce qui souligne l’urgence d’une politique plus réaliste allant vers des allocations financières au profit de la connaissance et des entreprises et vers des subventions ciblées. Les subventions et les transferts sociaux directs et indirects représentaient, selon le Premier ministre algérien, 30% du PIB en 2013, soit 70 milliards de dollars, ce qui est impossible à tenir entre 2015-2020.

Comment concrétiser toutes ces promesses utopiques des candidats à l’élection présidentielle et peut-on continuer à ignorer les liens entre les rémunérations et la productivité du travail , à soutenir des taux d’intérêt bonifiés et à assainir les entreprises publiques qui ont coûté au Trésor public plus de 60 milliards de dollars entre 1971-2013 et dont plus de 70% sont revenues à la case-départ ? L’Algérie, entre 2000 et 2013, a connu un taux de croissance mitigé de 3%, malgré une dépense publique de 630 milliards de dollars (parts en devises et en dinars, budgets d’équipement et de fonctionnement) alors que ce taux aurait dû dépasser 10%, les 5-6% de croissance hors hydrocarbures étant eux-mêmes tirés à 80% par la dépense publique via les recettes de la fiscalité pétro-gazière.

Le constat, en ce mois d’avril 2014, après plus de 50 années d’indépendance politique, est le suivant : l’Etat est riche d’environ 192 milliards de dollars de réserves de change (fin janvier 2013), non compris les 173 tonnes d’or, mais les hydrocarbures représentent 97-98% des exportations totales. La dépréciation du dinar de plus de 300% par rapport aux devises fortes depuis les années 1990 aurait dû constituer un dumping à l’exportation selon les lois économiques universelles. Elle n’a pas eu cet effet, ce qui montre que le blocage est d’ordre systémique.

Pour peu que les réformes micro-économiques et institutionnelles (les équilibres macro-économiques et macro-sociaux actuels étant éphémères sans réformes structurelles) soient engagées, l’ensemble des contraintes imposées aussi bien par l’accord d’association avec l’UE que par une éventuelle adhésion à l’OMC peuvent arrimer l’économie algérienne à l’économie mondiale et jouer un rôle d’entraînement du développement économique et du progrès social. Concrètement, cela passe par la mise en place d’une véritable économie de marché concurrentielle à finalité sociale dans le cadre de la mondialisation. L’Algérie est toujours dans cette interminable transition depuis 1986 (ni économie administrée ni économie de marché), d’où les difficultés de régulation. Cela montre l’urgence d’une production et d’une exportation hors hydrocarbures, d’une action pour plus de cohésion sociale évitant cette répartition inégalitaire de la rente et renvoyant à un réaménagement profond des structures du pouvoir actuel.

Une autre politique salariale, inexistante à ce jour, est urgente afin de favoriser le travail et le savoir, fondement de la dynamique de l’entreprise. Il existe un lien dialectique entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle spéculative. Le rétablissement de la confiance, par l’instauration d’un Etat de droit et la participation citoyenne, est la condition d’un développement durable prenant en compte la protection de l’environnement, les industries écologiques étant créatrices de valeur ajoutée. C’est également la condition de l’atténuation du chômage et de la pauvreté, dont on ne mesure pas l’ampleur, les taux officiels fictifs tant du chômage que de l’inflation étant dus à la dominance des emplois-rentes et des subventions généralisées sans ciblage.

Une gouvernance renouvelée devant réhabiliter la planification stratégique, l’insertion au sein de grands espaces (le grand Maghreb, pont entre l’Europe et l’Afrique), avec une réorientation de la politique socio-économique, s’impose en urgence pour des raisons de sécurité nationale. La chute des recettes d’hydrocarbures est inéluctable : le Fonds monétaire internationale et la Banque mondiale prévoient pour la période 2017-2020 un cours du pétrole à prix constants entre 80 et 90 dollars le baril, le prix du gaz, qui sera déconnecté du prix de cession du pétrole, étant encore plus bas. L’Algérie, contrairement aux discours euphoriques des candidats à l’élection présidentielle, devrait connaître des ajustements économiques et sociaux douloureux entre 2015-2020, nécessitant un sacrifice partagé et donc le langage de vérité car il n’est plus possible de continuer à distribuer des revenus sans contreparties productives et à conduire ainsi le pays vers suicide collectif.

 

(*) Professeur des Universités, expert international en management stratégique.

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