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Algérie – Les performances de l’équipe nationale de football suscitent passion et… déraison

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Créer de l’émotion, c’est l’essence même du sport. Mais ce n’est pas sans danger. Les performances de l’équipe d’Algérie en Coupe du monde ont montré la marge étroite entre excès et dérives.


 

La passion est source naturelle de dérives. La qualification de l’équipe nationale de football pour le second tour de la Coupe du monde l’a encore confirmé, cette semaine, en donnant lieu à des commentaires déraisonnables, à la limite du chauvinisme et du racisme. A côté de ces déclarations lourdes de sens, les envolées déplacées de dirigeants politiques et d’analystes paraissent inoffensives, même si elles paraissent aussi démesurées. Leur côté spontané et débridé en atténue la portée.

Entendre un commentateur dire que l’équipe d’Algérie est la meilleure qui ait jamais représenté l’Afrique en Coupe du monde est excessif. Mais dans le feu de l’action, cela peut s’expliquer. Faire de Feghouli l’équivalent de Mekhloufi ne semble pas justifié. De même, affirmer que Hallilodzic est le meilleur entraîneur jamais vu en Algérie est déplacé. Mais tout ceci ne prête pas à conséquence. Il s’agit d’humeurs d’un moment, suscitées par la passion, l’enthousiasme, l’admiration devant un geste technique ou l’émotion créée par une situation. Après tout, le football est destiné à cela aussi : pousser les hommes vers l’émotionnel, l’irrationnel, vers des attitudes que, dans d’autres circonstances, ils jugeraient parfaitement saugrenues. L’homme politique très réservé, l’intellectuel sobre, l’homme d’affaires le plus cynique cèdent alors le pas au supporter le plus chauvin, le plus malhonnête.

 

Le sens des mots

 

Plus contestables paraissent des affirmations selon lesquelles l’Algérie serait sur le point de créer l’histoire en cas de victoire contre l’Allemagne. Organiser des élections démocratiques, faire dix pour cent de croissance pendant dix ans, gagner la Coupe du monde avec tout ce que cela pourrait avoir comme retombées économiques et en termes d’image, pourraient justifier l’utilisation du terme « histoire ». Mais utiliser des termes d’une telle portée pour un huitième de finale de Coupe du monde est excessif. C’est historique dans le sens où c’est la première fois que ça arrive, mais ça ne va pas bousculer l’histoire.

Que dire alors de tous ces joueurs qui situent leurs exploits dans un contexte qui paraît pour le moins décalé. Nombre d’entre eux ont affirmé dédier la qualification au monde arabe et musulman. Pas à l’Afrique. Se sentir des affinités avec des peuples dont on partage langue et religion est légitime. Mais pourquoi occulter ceux qu’on représente officiellement?

Plus insidieux est le contenu implicite de ce message, qui voudrait que l’Algérie soit moins africaine qu’arabe ou musulmane. Ou pas africaine du tout. L’Afrique ? Non, c’est le Ghana et la Côte-d’Ivoire, selon une perception du monde très partagée. L’Algérie, c’est autre chose. Cette vision est partagée par les dirigeants et par le public algérien, qui se montre ouvertement raciste envers les subsahariens évoluant dans le championnat national.

 

Un public connaisseur ?

 

Le public est, quant à lui, l’un des grands sujets de controverse. Une affirmation, très répandue, voudrait qu’il soit « connaisseur ». La plupart des acteurs du football le disent. Du pur populisme pour s’attirer la sympathie du plus grand nombre. Le public algérien ne remplit même pas son rôle, qui est de soutenir son équipe, dans les moments d’euphorie, mais surtout dans les moments difficiles. C’est quand les vents sont contraires, quand la victoire vous tourne le dos, quand tout tourne de travers, que le rôle du public devient important. Le public algérien, lui, contribue souvent à accélérer la débandade, quand ce n’est pas lui qui la provoque. Il tourne le dos à son équipe dès qu’elle est dans la difficulté.

Le rôle des supporters n’est pas de décider de la composition de l’équipe, du choix des joueurs ou de la tactique à suivre. Ce sont des tâches confiées à d’autres cadres de l’équipe. C’est à l’entraîneur de décider de la philosophie du jeu et des choix pour chaque match. En ce sens, Hallilodzic a eu raison d’imposer ses choix, contre l’avis de la presse et du public. Il a eu raison non pas parce qu’il a obtenu des résultats mais parce qu’il a imposé sa ligne de conduite.

 

Intrusion de la politique

 

De là à lui élever une stèle, il y a un pas difficile à franchir. Un entraîneur de football offre beaucoup de joie, une émotion incomparable, mais de là à le mettre sur un pied d’égalité avec un homme qui a libéré son pays, de là à comparer une victoire en football à une victoire sur le système colonial, il y a des limites difficiles à franchir.

C’est l’exploitation politique et émotionnelle du football qui est alors en jeu. Une bonne performance de l’équipe nationale, c’est une année de stabilité en perspective, selon une croyance très répandue dans les pays du sud. Dans les pays riches, on estime qu’une Coupe du monde remportée représente un point de croissance. Ce qui contraint les dirigeants politiques à se montrer dans les tribunes lors des grands rendez-vous. Mais en fait, le président Abdelaziz Bouteflika se rendra-t-il au mythique Maracana si l’Algérie se qualifie pour la finale de la Coupe du monde ?

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