La Libye n’en finit pas de sombrer dans le chaos. Un chaos qui déborde largement de ses frontières, et fait peser un risque extrêmement élevé sur ses voisins. En premier lieu l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie, mais aussi l’Europe. Face à cet état de fait, une monarchie constitutionnelle apparaît comme l’ultime solution « libyo-libyenne », avant que la communauté internationale ne soit obligée d’intervenir militairement.
EIIL en Libye ?
La 3ème Conférence ministérielle des pays voisins de la Libye, qui a eu lieu à huis clos les 13 et 14 juillet à Hammamet en Tunisie, a pris fin sur une résolution portant sur la création de deux commissions, l’une sécuritaire présidée par l’Algérie et une deuxième politique présidée par l’Egypte. Le 7 juillet, le journal arabophone algérien El Khabar a rapporté qu’une rencontre a réuni, au début du mois, toujours en Tunisie, des responsables des services de renseignements algériens, égyptiens et tunisiens. Cette activité diplomatique et sécuritaire accrue autour de la question libyenne n’est pas fortuite. En effet, des rapports de renseignements occidentaux affirment qu’Abu Bakr Al-Baghdadi aurait l’intention d’installer une « antenne » de l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL) en Libye, profitant de l’anarchie ambiante, la profusion des armes, et comptant surtout sur les djihadistes libyens et tunisiens qui retournent dans leurs pays, après leur séjour en Syrie dans les rangs de cette organisation.
« Le calife (autoproclamé) de tous les musulmans », souhaiterait en effet se servir de la Libye comme quartier général dans sa « conquête » de l’Afrique du Nord, et essayer de rallier à sa cause tous les djihadistes de la région. Et les premiers signes ne se sont pas fait attendre. Il y a quelques semaines, et avant même la proclamation du Califat, Abi Abdallah Othmane El Assimi, juge religieux d’AQMI pour la région Centre, est venu apporter son soutien, via un message audio posté sur Youtube, à l’EIIL dans son bras de fer (lutte d’influence) avec Al-Qaïda et son chef Aymen Al-Zawahiri.
L’hypothèse de la création d’une « filiale » maghrébine de l’EIIL laisse imaginer le pire ! D’abord pour les Libyens, qui verront un nouveau conflit s’ajouter sur leur territoire. Celui opposant comme en Syrie, l’EIIL à Al-Qaïda, cette dernière étant déjà bien implantée au Sud et à l’Est du pays. Ensuite pour l’Algérie et l’Égypte, qui partagent respectivement 1947 km et 1115 km de frontières avec la Libye. Ces deux pays, à qui on pourrait ajouter la Tunisie, livrent une lutte implacable contre le terrorisme islamiste sur leurs territoires. Et il est difficile de les imaginer rester les bras croisés, devant un ennemi tout à fait capable de prendre le contrôle total d’une grande partie d’un pays, comme il est en train de le faire en Irak.
L’Algérie, qui n’a pas encore pansé toutes les blessures de l’attaque de janvier 2013 sur le site gazier de Tiguentourine (très proche du territoire libyen), a déjà déployé 20 000 soldats sur ses frontières. Par ailleurs, selon le journal francophone algérien El Watan, l’armée algérienne est intervenue, aux côtés des forces américaines et françaises, dans l’Ouest libyen le 29 mai dernier contre les djihadistes. Une information vite démentie par les autorités algériennes, mais qui a le mérite de lancer le débat en Algérie et ailleurs, sur l’option d’une intervention militaire internationale ou régionale en Libye.
Quelle solution pour le(s) problème(s) libyen(s) ?
Depuis le dimanche 13 juillet, de violents combats opposent des milices pour le contrôle de l’aéroport de Tripoli, partiellement détruit, empêchant même le Ministre des affaires étrangères libyen d’assister à la réunion de Hammamet. Le 15 juillet, une dépêche de l’agence officielle libyenne LANA annonce que le gouvernement envisageait un éventuel appel à des forces internationales !
En janvier dernier déjà, avant de quitter son poste de chef d’état major de l’armée française, l’amiral Edouard Guillaud indiquait qu’il allait « falloir que la communauté internationale y aille …..mais avec l’accord des autorités libyennes » . Un avis que partagent beaucoup de ceux qui pensent que cette situation n’a que trop duré, et que l’on ne peut pas attendre indéfiniment une solution, que les gouvernements qui se sont succédés à la tête de la Libye depuis 2011 ont du mal à trouver. C’est le cas du général Haftar qui dirige l’opération « Dignité » contre les milices islamistes à Benghazi, et qui appelle l’Égypte à intervenir en Libye. D’autres, comme Abdelhakim Belhadj, vétéran d’Al-Qaïda en Afghanistan et en Irak, et actuel président du parti Hizb El-Watan, sont farouchement contre, et un groupe sur Facebook « Ensemble contre l’intervention des forces étrangères en Libye » a même vu le jour.
Il est vrai que la question d’une intervention étrangère représente un clivage de plus au sein de la société libyenne, déjà très divisée. Nous avons par ailleurs vu par le passé les limites de ce genre d’opérations, notamment en Afghanistan et bien avant en Somalie. La tâche va s’avérer rapidement très difficile au regard du nombre de milices, de l’absence quasi totale de l’État, des constructions ethniques et tribales très compliquées et des réseaux de trafics (armes, drogues, immigration clandestine) très lucratifs. D’autant plus que la présence de forces armées étrangères, de surcroit occidentales, pourrait jeter le peu de jeunes libyens, qui n’ont pas encore une kalachnikov entre les mains dans les bras des djihadistes, toutes tendances confondues, prêts à leur servir la ritournelle « des infidèles, venus coloniser une terre d’Islam et piller ses richesses« .
Mais avant que l’on parle de cette option, que tout le monde semble vouloir éviter si possible, a-t-on exploité toutes les autres pistes, pour une sortie de crise consensuelle ?
Al-Sanoussi : la solution libyo-libyenne…
La réponse est venue d’un officiel libyen ! Mohamed Abdelaziz, Ministre des affaires étrangères, à l’occasion du 25 ème sommet de la ligue arabe, tenu au Koweït fin mars dernier. Le Ministre, dans une interview accordée au journal saoudien Al-Hayat, appelle au retour à un système de monarchie constitutionnelle : « Au regard du chaos et du désordre résultant de la destruction des institutions par le défunt régime, le retour au système de la monarchie constitutionnelle constitue la seule solution » .Il a indiqué également que des contacts étaient en cours avec les chefs et dignitaires des tribus libyennes ainsi qu’avec la famille Al-Sanoussi.
L’idée est en effet extrêmement intéressante, la famille des Al-Sanoussi, dirigeante de la confrérie musulmane réformiste Al-Sanussia, jouit de beaucoup d’influence dans les quatre coins de la Libye et même au-delà, dans les pays de la région. Le Roi Idriss 1er a réussi à unifier les trois provinces libyennes (Cyrénaïque, Tripolitaine et Fezzan) en faisant adopter la constitution du 7 octobre 1951 donnant naissance au Royaume-Uni de Libye. Au-delà du parcours nationaliste du Cheikh Idriss tout au long de la première moitié du 20ème siècle, sa confrérie, via ses zawias (loges) réparties dans tout le pays, a toujours œuvré pour le règlement des conflits entres les tribus. Une autorité morale dont a grandement, et urgemment, besoin aujourd’hui la Libye.
La sortie médiatique de Mohamed Abdelaziz n’est certainement pas fortuite, car quelques semaines avant les déclarations du Ministre, un décret rendu public par le gouvernement libyen annonce la réhabilitation du Roi déchu Mohamed Idriss Al-Sanoussi en lui rendant sa nationalité, et en restituant les bien confisqués par Kadhafi à ses héritiers.
Le projet prôné par Mohamed Abdelaziz, et par une partie des élites politiques libyennes, est de s’inspirer de la constitution de 1951 en lui apportant les amendements nécessaires, afin de mettre sur pied une monarchie constitutionnelle, avec un gouvernement qui détiendrait le pouvoir exécutif, et un Roi, comme autorité morale, garant de la constitution, de la démocratie et de l’unité de la nation libyenne.
L’idée, qui fait son chemin au sein de l’establishment, apparaît comme un rayon de soleil dans les ténèbres libyennes….
(*) Malik IBRAHIM, Consultant-Analyste Risque Pays