Offensive économique, volonté politique d’isoler diplomatiquement l’Algérie ou les deux à la fois ? La récente tournée africaine du roi Mohamed VI (Mali, Guinée, Côte d’Ivoire et Gabon) qui fait suite à celle de mars 2013 (Sénégal, Côte d’Ivoire et Gabon) est loin d’être passée inaperçue sur le plan continental mais aussi international.
De nombreux commentateurs ont voulu y voir une stratégie destinée à imposer peu à peu le Royaume chérifien dans une zone géographique marquée par la disparition du régime de Mouammar Kadhafi et l’incertitude politique qui affecte l’Algérie. Pour mémoire, le Maroc n’a toujours pas réussi à inverser le rapport de force au sein de l’Union africaine (UA) à propos du Sahara Occidental, ce dernier restant membre de cette Organisation ce qui pousse Rabat à maintenir son refus d’y faire son retour officiel. Les voyages du souverain chérifien s’inscriraient donc dans un plan de reconquête patiente de voix au sein de l’UA même si, outre l’Algérie, la République arabe sahraouie démocratique (Rasd) bénéficie auprès de l’Afrique du sud d’un soutien des plus influents (la position du Nigéria, autre poids lourd de l’UA semble moins affirmée).
Une logique d’expansion économique
Reste que ces périples relèvent aussi d’une logique d’expansion économique dont les prémisses remontent à la fin des années 1980. Très présents au Maroc, de nombreux groupes français ont considéré le Royaume comme un relais dans leur stratégie de conquête des marchés subsahariens. Mais, peu à peu, ce sont les entreprises marocaines, publiques (à l’image de l’Office national de l’électricité, ONE) puis privées, qui ont développé leurs activités au sud du Sahara avec comme cibles prioritaires les pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) et ceux de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Banques, assurances, BTP, technologies de l’information et de la communication (TIC) et transport aérien, sont les secteurs ciblés par les entreprises marocaines, l’extension africaine de la Royal Air Maroc (RAM) et de Maroc Télécom étant deux exemples emblématiques de cette recherche de nouveaux débouchés. D’autres acteurs sont aussi porteurs du positionnement marocain en Afrique à l’image d’Attijariwafa Bank et de la BMCE pour les banques ou encore du groupe Alliances qui a obtenu plusieurs contrats importants pour la construction de logements sociaux en Afrique de l’ouest. Dans un contexte marqué par une croissance économique soutenue en Afrique subsaharienne (6% de moyenne en 2013), les échanges commerciaux entre le Maroc et le Continent progressent en moyenne de 20% et l’Afrique compte aujourd’hui pour 7% des exportations marocaines. Pour Rabat, l’objectif est d’arriver à 20% en 2018 afin de compenser l’atonie de la demande européenne qui reste, il faut le rappeler, le premier partenaire économique du Royaume.
La Tunisie, l’Egypte et l’Algérie restent les principaux débouchés
Mais ces chiffres ne doivent pas faire oublier une réalité incontournable : malgré le potentiel de l’Afrique subsaharienne, la Tunisie, l’Egypte et… l’Algérie restent les principaux débouchés africains pour les exportations marocaines. Pour la Confédération générale des entreprises du Maroc (Cgem), l’Algérie demeure d’ailleurs, sur le papier, le marché le plus prometteur pour les produits et services marocains. A la condition, bien sûr, qu’une normalisation puisse intervenir entre les deux pays ce qui est une autre affaire. « L’Afrique subsaharienne est un pari à long terme notamment avec les infrastructures et le logement, deux secteurs qui dépendent d’un maintien d’une forte croissance et d’une amélioration de la gouvernance, reconnaît un cadre de la BMCE. Mais l’Algérie, cela pourrait être de l’immédiat au vu des besoins de ce pays. Il y a une complémentarité économique potentielle entre lui et le Maroc qui n’est malheureusement pas exploitée ». Par ailleurs, avec un stock 800 millions de dollars, le Maroc est désormais le second pourvoyeur sur le continent d’Investissements directs étrangers (IDE) derrière l’Afrique du Sud. Un chiffre conséquent mais qui le laisse loin derrière des acteurs de poids comme la Chine, le Brésil ou l’Inde voire la Turquie dont l’encours d’IDE pourrait dépasser le milliard de dollars en 2014. Pour autant, les progrès marocains en Afrique subsaharienne se renforcent année après année. En témoigne la décision de l’Etat ivoirien de donner mandat à Attijariwafa Bank pour la levée de capitaux sur les marchés internationaux. Un « deal » qui démontre que bien des choses ont changé en Afrique avec la rencontre d’un savoir-faire marocain en matière de finances internationales et de la décision d’un gouvernement africain de faire confiance à un acteur économique du continent.