L’avocat Khaled Bourayou, un des ténors du barreau d’Alger, estime que le président est « impotent », et ne peut diriger le pays. Quant à Abdelmoumène Khalifa, il a choisi de négocier, mais « il se leurre ».
L’avocat Khaled Bourayou est tranché. Le président Abdelaziz Bouteflika est « impotent », et son état de santé ne lui permet pas d’exercer la charge « exigeante » de président de la république. Intervenant dans le débat sur la candidature du chef de l’Etat pour un quatrième mandat, Me Bourayoua établit, sur Radio M, « une différence entre le droit à la candidature et la recevabilité de la candidature ».
Pour l’avocat, « il faut que le conseil constitutionnel joue son rôle ». Il rappelle que « les affaires de l’Etat sont extrêmement exigeantes » au plan physique, et qu’on « ne peut pas faire campagne par défaut, par substitution ». Interrogé pour savoir si, de son point de vue, « les capacités mentales du président Bouteflika sont atteintes, il répond, tranché : «absolument ». Pour lui, « le président est amoindri, impotent ». Il déplore aussi que la candidature du chef de l’Etat soit entourée de « mensonges ». Il répète plusieurs fois ce mot, et dénonce « le mensonge, l’imposture, qui devient une règle de gestion du système».
Selon lui, la dérive a pris un tournant marqué en 2008. « L’acte majeur, c’est la violation de la constitution », avec l’amendement de 2008, qui « supprime les deux mandats » pour permettre au président Bouteflika de briguer un troisième mandat. «La substance de cette révision » pose problème, c’est une « dérive extrêmement grave » en matière de « libertés et des droits », dit-il.
La justice « totalement soumise à l’exécutif »
Remonter la pente sera très complexe, selon Khaled Bourayou. La refonte du système « doit être globale, et doit inclure le système judiciaire », dit-il. Il faut « permettre au juge d’être libre de sa décision (…) nous ne sommes pas dans un état de droit, mais dans un état de police, d’abus d’autorité ». Selon lui, le président Bouteflika« a bouclé l’administration et les libertés ».
« Le système actuel joue sur la fibre sécuritaire, la sécurité l’emporte sur les libertés », affirme également Me Bourayou, qui se demande si la répression qui s’est abattue sur les manifestants hostiles au quatrième mandat du président Bouteflika aurait été utilisée « contre des citoyens qui seraient venus appuyer » le chef de l’Etat. Pour lui, « la justice est totalement soumise à l’exécutif, totalement instrumentalisée ; elle peut même régler des comptes ».
Il se montre également désabusé sur un apport éventuel de la corporation des avocats à une refonte du système. Me Sellini, bâtonnier d’Alger, « en est à son quatrième ou cinquième mandat », celui de Constantine à son onzième mandat, dit-il. « Les bâtonniers sont dans une situation aussi grave, sinon plus grave, que celle du président de la république. Qu’attendre de la corporation dans ce cas? », se demande-t-il.
Le règne de la corruption
En matière de corruption, le diagnostic de Me Bourayou est sans appel. « Jamais, au grand jamais l’Algérie n’a connu une période aussi florissante » en matière de corruption, dit-il, utilisant cette formule radicale : « la corruption est arrivée à mettre le système politique dans le système de corruption ». « Dans les autres pays, la justice révèle les affaires de corruption ; en Algérie, elle les noie », dit-il, ajoutant cette sentence : « le système judiciaire travaille pour les puissants ».
Evoquant l’affaire de l’autoroute est-ouest, Me Bourayou met en cause l’ancien ministre des travaux publics et actuel ministre des transports, Amar Ghoul. L’avocat affirme que cette affaire « n’a pas tout révélé. Une partie est entre les mains de la justice, une autre partie, qui touche de gros calibres, n’est pas encore entre les mains de la justice, elle concerne des ministres. Ce sont des ministres qui sont impliqués, le secrétaire général du ministère (des travaux publics, en détention) a été jeté en pâture par un témoin, lui aussi accusé de corruption », a-t-il affirmé.
Khalifa veut négocier, mais il «se leurre»
Dans l’affaire Khalifa, qui doit être rejugée, « il y a un ministre impliqué. Il a été renvoyé devant un tribunal correctionnel, où il bénéficie d’un non-lieu », s’étonne Me Bourayou. Cette décision montre, selon lui, qu’il « y a interférence de l’exécutif dans le dossier ». Toujours dans l’affaire Khalifa, Abdelouahab Keramane, l’ancien gouvernement de la Banque d’Algérie, condamné à vingt ans de prison par contumace, a été poursuivi en septembre 2003 quand « il est devenu membre de la campagne de Benflis », candidat à l’élection présidentielle de 2004, et candidat en 2014, affirme Me Bourayou.
L’extradition de Abdelmoumène Khalifa vers l’Algérie, qui permet de rouvrir le dossier, n’apportera pas de changement pour le principal accusé, estime Me Bouraou. Selon lui, Khalifa a choisi un système de défense « basé sur la négociation ». Il a des « révélations extrêmement graves » à faire concernant le sommet de l’Etat. Il gardera le silence, « mais il sera condamné ; il se leurre », dit-il. Me Bourayou n’attend pas grand-chose du procès, et a décidé en conséquence de faire « en sorte que le procès se tienne dans la presse ».