« Des dizaines de millions de personnes ont un téléphone dans la poche, il n’y a aucune raison pour que ces personnes n’aient pas un compte en banque lié à leur téléphone ».
Le deuxième Colloque algéro-français sur la monétique et les systèmes de paiement électroniques, organisé à la fin septembre à l’hôtel El Aurassi, a été l’occasion de débattre de l’opportunité de développer le payement électronique en Algérie et l’élan que cela va donner au e-commerce qui en est à ses balbutiement, et qui reste fortement entravé par l’absence de moyen de payement en ligne.
Le mobile comme solution de payement mais aussi comme moyen d’accélérer la bancarisation de la population revenait sans cesse dans les débats animés par des experts des systèmes de paiement électroniques, venus essentiellement de France. « Des dizaines de millions de personnes ont un téléphone dans la poche, il n’y a aucune raison pour que ces dizaines de millions de personnes n’aient pas un compte en banque lié à leur téléphone », affirme Yves Bonnet, CEO de la plateforme digitale TagPay. Encore faut-il ne pas reprendre le modèle du Kenya avec le M-Pesa.
Selon cet expert, le contexte de création du moyen de payement par mobile au Kenya, le M-Pesa est bien particulier. C’est en effet durant la crise monétaire qu’a connue ce pays qu’est né M-Pesa qui a très vite pris beaucoup d’ampleur au point de peser gros sur l’économie du pays où 35 % du PIB transite par cette solution de paiement mobile. « Ce moyen de payement est le résultat d’une absence de régulation bancaire. Il faut une régulation et l’objectif ne doit pas être celui de reproduire le M-Pesa », assène-t-il.
Pour lui, si les pouvoirs publics veulent bancariser la population et développer le payement électronique, la régulation est essentielle et la Banque centrale a un rôle à jouer. « Et il n’y a pas de régulateur qui ne veut pas bancariser les populations », tranche-t-il.
Abondant dans le même sens, Guillaume Vitse, CEO de HTS Expert Consulting, affirme que ce genre d’entreprise rapporte beaucoup à une économie comme le Kenya, mais fragilise aussi tout un pays lorsque cette micro-finance évolue dans l’informel.
L’exemple de la Tunisie a été également cité. La solution Mobiflouss née du partenariat entre l’opérateur de téléphonie mobile Ooredoo et la poste tunisienne qui donne la possibilité d’encaisser, via une carte, les mandats, payer des factures, transférer de l’argent.
La portabilité du numéro mobile est essentielle
Mais la question fondamentale est à quel point l’Algérie est-elle en mesure de sauter les étapes pour former des écosystèmes viables de l’économie numérique ? Le frein fondamental est l’absence du payement électronique. « Par le saut technologique », répond Nigel Riveley, Directeur des services financiers Europe et Afrique de Fime SAS, une société spécialisée dans les outils de tests et de conseils en moyens de payement. « On peut sauter certaines étapes du point de vue technologique. Notamment en transformant le téléphone mobile en carte de payement pour faire les transactions », explique-t-il.
Selon lui, les gens qui ont un téléphone mobile intelligent sont beaucoup plus nombreux que ceux qui ont des cartes bancaires. « La nouvelle tendance dans le payement électronique pour 2018 est d’utiliser son numéro de téléphone pour s’authentifier dans les transactions avec les tiers. Ça devient un passeport pour faire toutes sortes de transactions. C’est pour cette raison que la portabilité du numéro est essentielle », explique-t-il.
Et il n’y a pas de crainte, selon lui, de voir ces nouvelles technologies boudées. « Il ne faut pas sous-estimer les capacités des gens à utiliser les nouvelles technologies dans le payement. L’Algérie est un pays qui a adopté rapidement le mobile », renchérit Abdelkader Dali, CEO de Sofrecom, filiale du groupe Orange spécialisée dans le développement et l’intégration de solutions IT.
Se mettre en GIE pour un développement massif
Selon M. Dali, l’avènement du moyen de payement électronique, qu’il soit e-paiement ou m-paiement, permettra à un pan important de l’économie nationale de se développer. « En Algérie, il y a 20 millions de devices (terminaux, ndlr) intelligents. Ce sont autant de clients à aller chercher. Qu’on soit opérateur télécom ou banque, le potentiel est important », affirme-t-il.
Se lancer seul avant que l’écosystème ne soit mis en place ? Selon les expériences à l’étranger, l’acteur économie qui prend les devants, en devient leader et jouera un rôle important sur le marché au plan commercial. « Au Congo, la banque qui a fait sa transformation digitale est devenue la banque la plus importante du pays », explique Yves Bonnet.
« Mais pour donner un élan massif au paiement électronique, les banques doivent se mettre en groupement d’intérêts économique (GIE) sur des éléments non concurrentiels. C’est ce qu’a été fait en France », explique pour sa part Guillaume Vitse. Et de conclure : « Il faut un maximum de porteurs et de commerçants équipés en moyens de paiement électronique pour avoir une force de frappe ».