La spectaculaire fronde des policiers algériens annonce un nouveau cycle d’arbitrages budgétaires les prochains mois : Et rien n’indique qu’il se fera au profit de la rationalité qu’invoque la conjoncture. Bien au contraire. Un microcycle économique de quatre ans vient de se boucler. L’Algérie est symboliquement revenue à l’avant-Printemps arabe en quelques mois. Quatrième mandat autoritaire et dilution des effets de la redistribution accélérée de l’année 2011. Petit rappel. Fin décembre 2010, le général-major Hamel a annoncé publiquement, non sans une pointe de fierté, une augmentation de salaire de 50% pour les policiers. L’annonce tombe à pic, les URS – maintien de l’ordre public – sont confrontés dès la semaine suivante à la plus importante vague d’émeutes dans le pays depuis le Printemps noir de Kabylie, en 2001.
La colère des jeunes déclassés des banlieues populaires des grandes villes du pays est largement braquée contre les policiers. Leur augmentation de salaire est mal passée chez les chômeurs. Sous la pression, le gouvernement décide que les jeunes émeutiers ont réagi à la hausse du prix de l’huile et du sucre à cause de la lutte contre l’informel. Et lâche toutes les vannes de la subvention et de l’aide directe (Ansej). Les marges de manœuvre budgétaires le permettaient alors, après un gros rebond des exportations énergétiques en 2010. Ce n’est plus le cas en 2014. Résumons-nous. Un nouveau cycle de pressions sociales à impact politique se dessine cet automne, quatre ans après la grosse alerte du Printemps arabe et des émeutes de janvier 2011. La fronde des policiers en est une préfiguration alarmante. La recette qui a marché en 2011 — l’arrosage budgétaire — est, aujourd’hui, aventureuse sur le plan de la comptabilité nationale.
Les cours du brut continuent de descendre, les volumes de gaz manquent, les coûts d’importation ne désenflent pas, la fiscalité hors hydrocarbures n’émerge pas. C’est pourtant cette recette de 2011 qui est déjà enclenchée avec la réponse favorable aux revendications des policiers. Grand bien leur fasse. Il y a sans doute des économies à réaliser dans d’autres dépenses publiques pour rendre soutenable une nouvelle hausse des salaires. Personne n’est en mesure, politiquement, de suggérer ce plan d’économie habile. Ou un quelconque retour à la rationalité. Ni Bouteflika, ni Sellal, ni Yousfi. Conséquence : le mouvement des policiers est bien parti pour rentrer sans doute dans l’histoire comme celui qui aura accéléré le choc. Celui de l’économie algérienne avec l’iceberg qui se rapproche sur son inflexible trajectoire.
La semaine n’était pas bonne : Et pas seulement à cause de la promesse de nouveaux dérapages dans les dépenses de fonctionnement de l’Etat algérien. Pas seulement parce que les signes les plus redoutables continuent de venir de la conjoncture économique mondiale. Symbole de la séquence doute qui s’installe à nouveau, le mini-krach boursier mondial de mercredi et jeudi derniers. La chute des cours était bien sûr plus forte sur les places européennes. Une perte de 3 à 4% des capitalisations boursières en deux jours de Madrid à Francfort en passant par Paris et Londres. C’est là que se lit, depuis la crise souveraine de 2010-2012, l’avenir de la mondialisation capitaliste.
Les investisseurs ont décidé de sortir du marché des actions au bout de sept semaines de rentrée économique et sociale chargées de mauvaises nouvelles. Certes, la prévision de croissance mondiale pour 2014 est encore supérieure à 3%. Mais tout se passe en dehors du monde riche. Qui n’a pas fini de payer la facture des 30 années de croissance molle tirée par le crédit facile. Le doute est donc de retour. Il fallait s’y attendre. Ces deux dernières années, le redressement américain a été porté par un dispositif d’aide à l’activité sans précédent dans l’histoire, le QE, «quantitative easing», qui faisait de la Reserve Bank une machine à refinancer le système bancaire et l’investissement à raison de 80 milliards de dollars par mois.
La machine s’arrête après avoir réduit son débit. Et, de partout, les marchés se réveillent brutalement pour dire qu’ils ne sont pas guéris. Toujours «addict» aux taux d’intérêt proche de zéro et au jet d’eau fédéral. En réalité, la purge n’est pas terminée. Mme Merkel l’a rappelé sèchement, jeudi dernier, aggravant la déprime boursière. L’heure n’est pas encore venue de réduire l’étau sur les déficits publics en Europe. La relance attendra. Dans un monde où les moteurs se nivellent par le toussotement. La Chine ralentit, les émergents se replient, la reprise américaine est fragile. Ce monde en convalescence depuis cinq ans ressemble à un patient suspecté d’avoir contracté le virus Ebola. Il fait peur. Pas de panique. Il faut juste le comprendre.
Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, n’est pas algérien. Mais son école, celle de Toulouse, va venir en Algérie : C’est la bonne nouvelle de la semaine. L’Algérie est bien orientée dans son partenariat universitaire. Son ministère de l’Industrie a fait appel, en décembre 2013, à la Toulouse School of Economics (TSE) pour l’accompagner, dans le cadre de la coopération Algérie-France, pour créer une Ecole nationale d’économie industrielle (ENEI). Heureux hasard ? Le président de la TSE est le tout frais lauréat du prix Nobel d’économie 2014. Jean Tirole est un académicien au long cours qui a fait de l’étude du fonctionnement des marchés et de leur régulation son domaine d’expertise. Il travaille en particulier sur l’économie industrielle. Il a réussi à construire un îlot d’excellence à Toulouse avec la TSE, au point d’être recommandé par son gouvernement dans les partenariats internationaux comme celui qui lie, sur le plan universitaire, Alger à Paris depuis plusieurs années. L’ENEI est positionnée pour former des cadres des secteurs public et privé et de l’administration liés aux problématiques d’économie industrielle. Le protocole d’accord ne dit pas si Jean Tirole viendra y donner des cours de temps à autre. Les prix Nobel ne courent pas les estrades à Alger.